L' HOMMAGE de POZNAŃ 

à ses CRYPTANALYSTES


C'est à la visite (virtuelle) d'un monument très récent que vous convie le  Mathouriste dans cette page: il a été inauguré le 10 Novembre 2007. La date -veille de la fête nationale Polonaise- ne doit rien au hasard, puisque cette stèle est dédiée à la mémoire de trois mathématiciens de ce pays qui ont mis leur science au service d'une patrie  sous la menace pressante de l'Allemagne nazie. Le lieu non plus, car il a été érigé devant le château impérial de Poznań, siège de l'Institut de Mathématiques de l'université de cette ville, à l'époque (1932-1939) où  travaillaient les trois hommes. (Par la suite, ce château devait accueillir des personnalités nettement moins fréquentables: il fut aménagé en résidence pour Hitler...)


La stèle prismatique; en arrière-plan sur l'image centrale, le château impérial.

Mais qui sont les trois héros?

Laissons aux images le soin de les présenter (leurs portraits, datant à peu près de l'époque évoquée ici, proviennent des pages de Wikipedia qui leur sont consacrées):


 Marian Rejewski (1905 - 1980), Jerzy Różycki (1909 -1942) et Henryk Zygalski (1908 - 1978) sont les trois mathématiciens que le Bureau du Chiffre polonais, le  Biuro Szyfrów , recruta, à l'issue d'un séminaire ultra secret de formation à l'analyse des messages codés auquel assistaient 20 étudiants mathématiciens de 3ème ou 4ème année, tous de l'Université de Poznań. Pourquoi celle-ci? Parce qu'elle était située à l'Ouest de la Pologne, dans un territoire Allemand jusqu'en 1918 (le château impérial avait été construit pour Guillaume II en 1910)... donc tous ses étudiants avaient une connaissance parfaite de l'Allemand. Mais, si cela constituait un avantage appréciable (un déchiffreur doit pouvoir "raccrocher" des bribes imparfaites, inévitablement produite par ses tâtonnements, à des mots existant dans la langue codée; donc une meilleure connaissance accélère ses intuitions), l'idée la plus révolutionnaire du  Biuro Szyfrów était d'engager des mathématiciens plutôt que des linguistes pour réagir à l'autre révolution, la mécanisation du codage, incarnée par la machine Enigma (voir aussi l'article en Allemand, très riche en détails et illustrations) brevetée par l'ingénieur électricien Arthur Scherbius en 1918, et adoptée massivement par l'armée Allemande à partir de 1925, quand elle réalisa, avecc dix années de retard, comment la saisie de ses livres de code lors du naufrage de son croiseur Magdeburg, en 1914, avait donné à l'Angleterre un avantage décisif dans la guerre maritime.

"Ils se complétaient adirablement. Rejewski orientait les recherches et élaborait, sur des bases parfois fragmentaires, des théories que Zygalski passait au crible d'une analyse rigoureuse. Różycky apportait aux recherches la contribution d'un esprit extraordinairement intuitif."
David KAHN, La Guerre des Codes Secrets.

Le Biuro Szyfrów fut sans doute encouragé dans sa démarche par un précédent fructueux: son fondateur, un officier féru de cryptologie,. Jan Kowalewski avait eu recours à trois mathématicens de renom, Stefan Mazurkiewicz, Wacław Sierpiński et Stanisław Leśniewski dont l'aide avait été précieuse lors du conflit Ukraino-Polonais (1919-1921, une des nombreuses séquelles des questions pas ou mal résolues par le Traité de Versailles). Se sentant menacée à l'Est comme à l'Ouest par deux super-puissances (le Pacte-Germano-Soviétiquedevait lui donner tragiquement raison), la Pologne misait sur l'avance scientifique pour gagner, tout au moins, la bataille du renseignement.  Plusieurs années avant la guerre, nos trois mathématiciens avaient désossé le fonctionnement de la machine et mis au point des procédés de déchiffrage:

"Quand Hermann Göring se rendit à Varsovie en 1934, il était loin de se douter que ses communications étaient interceptées et déchiffrées. Alors qu'il déposait en compagnie d'autres dignitaires allemands une couronne sur la tombe du soldat inconnu près du Biuro Szyfrów, il était sous les yeux de Rejewski qui le regardait de sa fenêtre, jubilant à l'idée qu'il lisait ses correspondances les plus secrètes"
Simon SINGH, Histoire des Codes Secrets.


En 1932, le Biuro Szyfrów était installé dans le Palais Saxon de Varsovie; le monument au Soldat Inconnu était situé sous les arches.
Tout ce qu'il en reste aujourd'hui après sa destruction, consécutive au soulèvement de Varsovie (Décembre 1944): trois arches!


En 1939, les événements se précipitèrent: face au péril de plus en plus évident, le chef du renseignement Polonais, le lieutenant-colonel Langer, fit venir des Français et des Britanniques et leur révéla ce que ses alliés eux-mêmes ignoraient jusque là: que les Polonais avaient vaincu la machine, fabriqué des "Bombes" à déchiffrer et pris une dizaine d'années d'avance sur toutes les autres nations. Les plans  des "Bombes", ainsi que deux répliques des machines Enigma qu'ils avaient construites -et qui firent la stupéfaction de leurs visiteurs- furent expédiées sur le champ en France par la valise diplomatique; puis l'une d'elles traversa la Manche le 19 Août, dans les bagages de Sacha Guitry, qui partait en tournée en Angleterre: les ports étaient infestés d'espions, la discrétion de l'opération devait être la plus parfaite possible...

Le 1er Septembre, les troupes de Hitler envahissaient la Pologne, et le 17, jour où celles de Staline faisaient de même à l'Est, nos trois héros passaient la frontière Roumaine, puis rejoignaient la France, au PC Bruno, une cellule cryptographique installée au Chateau de Vignolles à Gretz-Armainvillers (Seine et Marne). Ils n'eurent évidemment pas le loisir d'y rester longtemps, et furent évacués en Algérie deux jours après l'armistice, le 24 Juin 1940. Mais ils reprirent du service dans une autre cellule située en Zone Libre, au Château des Fouzes à Uzès (Gard); dénommée Cadix, elle fonctionna jusqu'en Novembre 1942, date d'occupation totale de la France.

de gauche à droite: Henryk Zygalski, Jerzy Róźycky, Marian Rejewski, dans le jardin de Cadix à Uzès
 (la photo, rare, provient de la page "Cadix" de Wikipedia)


Rejewski et Zygalsky passèrent en Espagne où ils furent arrêtés, puis relâchés grâce à l'intervention de la Croix-Rouge. Ils purent rejoindre l'Angleterre, via le Portugal, et mettre leur savoir-faire à dispositions des équipes Anglaises de Bletchley Park, réunies autour d'Alan Turing. Néanmoins, ils ne se rendirent jamais sur place, et furent affectés au déchiffrement dans un bureau Polonais de la banlieue de Londres. Leur infortuné compagnon avait péri dans le naufrage du Lamorcière, qui le ramenait d'un voyage à Alger le 9 Janvier 1942.

Contre quel adversaire luttaient-ils?

La machine Enigma (voir aussi l'article en Allemand, très riche en détails et illustrations) a été brevetée par l'ingénieur électricien Arthur Scherbius en 1918; son idée, plutôt en avance sur son temps, était de la vendre aux banques et aux sociétés de commerce, pour sécuriser leurs transactions. Mais son succès fut assuré par l'armée allemande à partir de 1925, quand celle-ci réalisa, avec dix années de retard, comment la saisie de ses livres de code lors du naufrage de son croiseur Magdeburg, en 1914, avait donné à l'Angleterre un avantage décisif dans la guerre maritime. Le génie de sa conception était d'allier une efficacité redoutable, une grande simplicité d'utilisation, une robustesse "tout terrain", et une compacité facilitant transport et mise en œuvre.
De surcroît, la même machine code et décode, avec le même mode d'emploi. Un avantage évident pour les opérateurs... mais que les déchiffreurs allaient aussi exploiter comme une faiblesse du système!

Modèle de base à 3 rotors
Modèle à 4 rotors de la Kriegsmarine
(Bletchley Park, Angleterre)

Utilisation: on tape, sur son clavier de machine à écrire, le texte du message à coder. Pour chaque lettre frappée, une ampoule s'allume, sur l'une des rangées derrière le clavier, désignant la lettre correspondante du message codé; un deuxième opérateur, le télégraphiste, expédie le message ainsi transformé.

Principe du brouillage: il se fait en deux temps.
 1. Le caractère passe par un tableau d'échanges: situé à l'avant de la machine, il comporte 26 fiches-jacks, chacune correspondant à une lettre. On branche 10 cables reliant 2 à 2 certaines d'entres elles; ainsi 20 lettres sont échangées, et 6 laissées fixes, selon un choix entièrement paramétrable, changé chaque jour en opération militaire. Rien d'extraordinaire: c'est une substitution, procédé au moins aussi vieux que le...  Kama-Sutra, qui le recommande aux femmes pour leurs messages secrets. Ce prétraittement n'est là que pour augmenter le nombre total de combinaisons possibles et compliquer le travail du cryptanalyste; à lui seul, il ne résisterait pas à une cryptanalyse statistique, c'est à dire exploitant la fréquence des caractères dans une langue donnée.)




Le tableau frontal de connexions, nu.
idem, câblé
(Bletchley Park, Angleterre)

 2. La pièce maîtresse du disposif est l'ensemble de rotors de la machine; d'ailleurs, au tout début, il n'y avait que lui: le tableau précédent est un ajout pour complexifier le système. Chaque rotor a 26 positions -une par lettre- et un câblage interne propre échangeant les lettres. En enchaînant 3 rotors, on obtient 26 x 26 x 26 = 17576 possibilités différentes de codage. Pour augmenter encore ce nombre, ces trois rotors étaient choisis parmi 5; ce qui multiplie le nombre des possibilités par 5x4x3 = 60 (5 choix possibles pour le premier, 4 poour le second... car l'ordre importe). On comprend désormais que les 4 rotors (choisis, cette fois, parmi 6) de la marine augmentaient encore ce nombre, afin d'obtenir une sécurité renforcée: l'attaque des convois par des sous-marins épars se regroupant "en meute" nécessitait un volume relativement important de communications entre eux, donc une protection supplémentaire.



Rotors démontés. Observer la roue à cliquets...
Boîte à rotors (5 places)
(Bletchley Park, Angleterre)

Ce groupe de rotors est complété par un réflecteur, qui renvoie le courant à travers les  rotors; pièce essentielle pour que le même réglage des rotors permette à la fois de coder et décoder. Cela assurait la simplicité du processus, mais d'un autre côté engendrait une petite faiblesse: entre le message en clair et le crypté, les lettres étaient échangées par paires. Une conséquence était qu'aucune lettre ne restait inchangée.

3. Jusqu'ici, rien d'extraordinaire: on n'a fait qu'employer un alphabet de substitution, avec beaucoup d'alphabets possibles(chiffrage monoalphabétique). Mais cela ne servirait à rien contre l'attaque statistique. C'est le moment de se remémorer les cliquets sur le rotor: à chaque lettre frappée, le premier rotor avance d'une lettre, grâce à une ancre et un clquet. Le deuxième rotor ne bougera d'un cran qu'au bout d'un tour complet du premier, etc.... Ainsi, une même lettre donnée sera codée de façon différente dans ses occurences successives: le système fonctionne avec, non pas un seul alphabet de substitution (comme cela aurait été le cas en l'absence de rotation), mais plusieurs, en sautant de l'un à l'autre, en quelque sorte: on dit que le chiffrage est polyalphabétique.

Mise en œuvre:

Pour savoir quel câblage et quelle position de rotors adopter, on avait recours à un "carnet de codes", qui définissait les réglages pour chaque jour.
Mais ce premier réglage ne servait qu'à transmettre en crypté une nouvelle position des rotorsutilisée pour un message et un seul, qui suivait. De cette façon, deux messages distincts étaient codés différemment, ce qui défiait la cryptanalyse: en effet, plus un analyste dispose de messages codés avec la même clé, plus il a de chances de percer le mystère. Mais, sauf bêtise ou négligence -il y en eut quelques unes, et les alliés surent les exploiter- la masse des messages radios interceptés (ce qui était banal: une fois émises, les ondes sont "à tout le monde", comme pour la diffusion de musique!) ne donnait pas de renseignement sur une position des rotors toujours changeante.
À l'arrivée, avec les codes du jour, accordés avec ceux de l'émetteur par conséquent, on déchiffrait les 3 lettres donnant le positionnement des rotors (celles qu'il fallait apercevoir à travers la fenêtre de leur couvercle) ; on positionnait ainsi les rotors , et grâce à la conception "symétrique" de la machine, le message crypté redevenait clair.
Enigma , capot intérieur relevé: 

Au dessus du clavier de frappe (entrée du message), un deuxième "clavier", à la disposition identique (QWERTY) est formé par des lampes sous des cabochons translucides (flèche verte), chacun marqué par une lettre.  La frappe de la lettre en clair  allume la lettre substituée.

Cette position ouverte permet de changer et de régler les rotors: une fois disposés, ils laissent apparaître chacun une seule lettre à travers les petites fenêtres 
(flèche rouge).

(Bletchley Park, Angleterre)

(National Museum of Computing, Bletchley, GB)

Rejewski fut le premier à appliquer la théorie des Groupes à la cryptanalyse (voir l'article qu'il publia en 1980). Il fut aussi le concepteur des premières machines à briser le code, les fameuses "Bombes" (la terminologie devait être reprise en Angleterre, au centre de cryptanalyse de Bletchley Park, les machines Anglaises ayant beaucoup hérité des Polonaises -on verra dans quelles circonstances). Zygalski, de son côté, avait mis au point une technique à base de feuilles perforées, qu'il superposait puis faisait glisser les unes sur les autres pour découvrir les combinaisons. Les procédés restaient lents eu égard au nombre de combinaisons à tester, l'adjonction de rotors supplémentaires sur les Enigma compliqua la tâche, mais la machine n'était pas aussi invincible que les Allemands le croyaient.

Pourquoi un (des) hommage(s) si tardif(s)?

Les deux survivants poursuivirent leur existence loin des projecteurs: Zygalsky resta enseigner en Angleterre, tandis que Rejewski retourna en Pologne, occupant dans sa ville natale divers postes d'employé de bureau anonyme; on notera la publication tardive (1980) de son article. De façon générale, tous ceux qui avaient participé à des activités cryptographiques, et en tout premier lieu les Anglais de Bletchley Park, furent probablement soumis à une "obligation de réserve" et on parla peu de leurs travaux dans la période de l'immédiat après-guerre; peut-être le contexte de la Guerre Froide n'y est-il pas étranger. C'est le livre de David Kahn, paru aux USA en 1967 sous le titre The Codebreakers, qui réveilla l'intérêt pour Enigma. Quant au rôle des Polonais, on ne commença guère à en  reconnaître l'importance qu'à partir des années 2000: c'est en 2001 qu'une plaque commémorative fut posée sur la tombe de Rejewski, décédé en 1980; les articles quil avait rédigé sur la question furent publiés post mortem Zygalsky était resté tout aussi discret, même vis à vis de ses proches:

"Un des grands regret de ma vie est de n'avoir pas été assez conscient de son travail, à un âge où je pouvais le questionner à ce sujet, car il ne l'abordait jamais de lui-même. Il eut une attaque à 60 ans et fut, jusqu'à son décès, de moins en moins en état de communiquer; et c'est ainsi que j'ai manqué l'opportunité d'en savoir plus sur ce qu'il avait vraiment accompli."
Jeremy RUSSELL, neveu d'Henryk Zygalski
. Aussi a-t-il fallu attendre le tournant du siècle pour voir des monuments apparaître dans l'espace public, et, qui plus est marquer une reconnaissance internationale:

2002, Bletchley Park...

Le monument, très simple, se situe sur la gauche (lorsqu'on lui fait face)  du célèbre manoir qui abrita le QG du déchiffrement britnanique, là où l'équipe polonaise ne fut jamais invitée (Souci d'étanchéité? Prérogatives jalouses du gouvernement anglais?). Il a la forme d'un livre ouvert. La page de gauche, en Anglais, et la page de droite,  en Polonais, rendent hommage aux trois cryptographes. Au dessus du texte, une figure symbolise les connexions d'un rotor d'Enigma.



(Bletchley Park, Angleterre)

"Cette plaque commémore le travail de  Marian Rejewski, Jerzy Różycki, Henryk Zygalski, mathématiciens du service de renseignement polonais qui furent les premiers à décrypter le code de la machine Enigma.
Leur travail fut précieux pour les déchiffreurs de Bletchey Park et contribua à l'issue  victorieuse de la Seconde Guerre Mondiale."



Pour la première fois de leur vie, des membres de leurs familles ont visité Bletchley Park en Novembre 2014, et fleuri le monument en leur mémoire.

... et 2014, Varsovie...

Même tonalité de reconnaissance des Alliés lorsque furent dévoilées, le 5 Août 2014, deux plaques offertes par l'IEEE (site officiel) à leur mémoire devant l'Institut de Mathématiques de l'Académie des Sciences Polonaise à Varsovie; l'une est en Anglais, l'autre en Polonais, comme à Bletchley. Le  Mathouriste n'y était pas, aussi emprunterat-il deux vignettes à l'IEEE qui vous dirigeront vers le compte-rendu de l'évènement. Précisons que les plaques que cette organisation fait apposer en l'honneur de tous ceux qui ont fait avancer les sciences électriques, électoniques et informatiques sont toutes du même modèle (couleur, dimension); seul change le texte.



Source: Milestone Dedication in Warsaw, Poland, August 5, 2014. (IEEE)

2005,  Bydgoszcz:

Bydgoszcz, ville natale de Rejewski, lui a aussi rendu un touchant hommage, avec une statue inaugurée en 2005 et faisant volontairement écho (matériau, posture sur le banc) à celle d'Alan Turing à Manchester. Faute d'y être passé lui-même (ce n'est pas sans regrets!), le  Mathouriste vous invite à les comparer à partir des pages Wikipedia dont elles sont extraites, et que vous rejoindrez en cliquant sur chaque vignette. Notez la machine Enigma à côté de Rejewski, moins tragique que la pomme fatale que tient Turing...

Rejewski à Bydgoszcz, Turing à Manchester (source: Wikipedia)

2007, Poznań:

L'idée en fut proposée en 2002 par un groupe d'enthousiastes, comptant des cryptologues et des historiens. La Société des Amis de la Science de Poznań (Poznańskie Towarzystwo Przyjacioł Nauk, PTPN), qui devait fêter en 2007 son 150ème anniversaire, soutint le projet, et un concours fut lancé en 2003. Parmi 24 projets, le jury fixa son choix, à l'unanimité, sur celui de Graźyna Bielska-Kozakiewicz et Mariusz Kozakiewicz.
C'est, comme on l'a vu, un prisme, haut de 2,80m  dont la base est un triangle équilatéral de 1,20m de côté. Il y a, à l'évidence, un symbolisme fort dans cette symétrie sur la part égale des contributions des trois mathématiciens. Sur chacune des faces, un nom apparait, seul texte clair dans un flux de chiffres, apparemment sans signification cohérente (sauf si, ultime clin d'oeil, quelqu'un y avait crypté un texte d'hommage... ); et si cela vous saute aux yeux, c'est que le polissage des caractères en est différent: sobriété du moyen pour un effet pleinement réussi en plein jour, saisissant la nuit! Le jury a motivé son choix en soulignant que cette stèle "represente dans la forme la plus pure la pensée brillante des trois mathématiciens. L'artiste lui-même semble s'être mis en retrait pour permettre au spectateur de contempler la perfectionde la prouesse purement intellectuelle des trois cryptanalystes."
C'est en se penchant  sur la base du monument que le passant non averti découvre la justification de celui ci:
"À la mémoire des cryptanalystes Polonais et de leurs collaborateurs, Ils cassèrent le code de l'Enigma, contribuant par là à la victoire des Forces Alliées lors de la Seconde Guerre Mondiale. Leurs noms sont à jamais gravés dans les Annales de la Science."


Inscription en Anglais à la base du monument; si vous la préférez en Polonais... c'est sur une autre face!

Lors de la fondation, une autre plaque a été enterrée sous un angle, "pour marquer le souvenir de Marian Rejewski, Jerzy Roźycki et Henryk Zygalski [...].pour rappeler aux Polonais et au monde entier que la contribution Polonaise lors de la Seconde Guerre Mondiale ne s'est pas mesurée que par le courage et le sang de ses fils, mais aussi par leur savoir".
À la cérémonie d'inauguration étaient présents d'anciens collégues du Biuro Szyfrów, du PC Bruno, et de Cadix, ainsi que divers membres de leurs familles, dont la sœur de Rejewski et le fils de Roźycki.

Une formule-choc a qualifié les résultats de Rejewski comme "théorème qui a gagné la Seconde Guerre Mondiale". Lui même relativisait (un peu trop?) dans une lettre à un ami:
"‘On a fait beaucoup de bruit autour de notre victoire sur Enigma. En fait, nous n'avons rien fait de plus qu'appliquer ce que nous avions appris de nos professeurs,Krygowski et Abramowicz,  durant nos premières années d'études "
En outre, on pourrait sans doute en dire autant, avec une légitimité bien trempée, de la programmation linéaire de Georges Dantzig, ou du E = mc² clef de la bombe A. Eisenhower, lui, voyait dans la jeep l'outil décisif de cette guerre. Un historien concluait, non sans humour, que si chacun revendiquait pour ses inventions ou découvertes deux mois de guerre de moins, celle-ci avait sans doute pris fin dix bonnes années avant d'avoir commencé...  Cela n'enlève rien, ni au rôle stratégique capital du travail des Polonais, ni à l'importance nouvelle de Mathématiques réputées jusqu'alors abstraites et sans applications. Importance qui est même sans doute à l'origine de cette exagération: ces travaux marquent l'écroulement du vieux rêve pacifiste de Hardy de garder un coin de mathématiques pures, exempt d'applications militaires. Arithmétique, Théorie des Groupes faisaient une entrée fracassante dans un monde cryptographique; bientôt ce serait le tour de la théorie des corps de Galois!



Cyphers in the night
Exchangin' glances
Wond'ring
in the night
What were the chances
With breaking the codes
Before the night was through...
(petite fantaisie de l'auteur)

Quelques références (livres ou sites):

La littérature sur ENIGMA et Bletchley Park est immense, les sites Internet foisonnent désormais; en particulier on trouve "autour" de Bletchley Park des vidéos U-Tube, accessibles à tous puisqu'elles ont été réalisées lors de conférences au public en visite. Les articles de Wikipedia mentionnés plus haut sont aussi de bons points d'entrée dans le sujet.
Volontairement, nous ne mentionnons dans ce qui suit que ce qui touche spécifiquement aux trois mathématiciens Polonais évoqués.

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