Un Peu de Statique (plus ou moins) Empirique...
Au demeurant, cette remarque simple n'était pas nouvelle; le
premier à l'expliciter fut
Robert
Hooke (1635-1703), en 1675:
"Ut pendit continuum flexile, sic
stabit contiguum rigidum inversum."
que l'on pourrait
traduire approximativement par
"De
la même façon que pend un fil flexible,
s'élève l'arche rigide, mais de
manière
inversée." |
Ce principe est repris par
Bernard
Forest de Bélidor (1698-1761),
ingénieur militaire Français, dans un
traité publié en 1725.
|
|
Page de titre |
Planche de figures de l'ouvrage.
On reconnait, en bas, à gauche, la chaînette et la
courbe inversée. |
On y trouve au Livre II,
De
la Mécanique des Voûtes :
"PROBLÈME : Trouver quelle est la courbe qu'il conviendroit
de
donner à une Voûte, pour que tous les voussoirs,
étant égaux en pesanteur, soient en
équilibre?"
"Si
[...], à deux points C et D, [...], l'on attache les
extrémités d'une chaîne
composée de petits
couplets & qu'on leur laisse la liberté de prendre
la
situation qui leur convient, je dis qu'ils composernot tous ensemble
une courbe CFD, dont la figure représente celle qu'il faut
donner à une Voûte, pour que tous les voussoirs
soient en
équilibre quoiqu'égaux en pesanteur."
et un peu plus loin
"Prévenu
de cela, on sçait qu'on ne dérange rien dans
l'équilibre des puissances en changeant seulement leur
direction
en sens contraire: ainsi dans la suposition que tous les couplets sont
unis à ne pouvoir se déranger de la figure
curviligne
qu'ils composent tous ensemble, si l'on fait tourner la
chaîne
CFD sur la ligne CD comme sur un axe pour prendre la situation
opposée, mais toujours verticale CFD, tous les couplets, gardant
entr'eux la même situation qu'ils avoient auparavant,
tendront au
centre de la terre selon les mêmes lignes de direction;
& [...]
ils se maintiendront toujours en équilibre, & ils ne
feront
pas plus d'effort pour tomber que s'ils n'étoient point entretenus par quelque
cause qui les empêche de se déranger ."
|
sous le
titre:
les remarques suivantes:
Certes, comme nous le verrons bientôt, la
solution
mathématique était trouvée, mais il
n'est pas
évident que Bélidor en était averti:
alors qu'il
soulignait dans son livre l'intérêt pour les
ingénieurs d'être rompus à
l'Algèbre, et en
usait abondamment, il ne donnait pour tracer cette courbe que l'usage
d'une ficelle!
On retrouve la courbe caténaire dans les croquis de
Christopher
Wren
pour la construction du dôme de la cathédrale
Saint-Paul
de Londres ( étude: 1669 ; inauguration : 1708. La solution
mathématique interviendra entre les deux dates!). On sait
que
Wren et Hooke se sont fréquentés et ont
échangé des idées; Wren devait
être bien
informé du principe énoncé par Hooke.
Lorsqu'il
s'agit d'effectuer une vérification statique de
l'équilibre du dôme de Saint-Pierre de Rome
(construite en
1626) ,
Giovanni
Poleni utilise lui aussi cette courbe dans ses
figures (1748), ainsi que le principe de Hooke.
Un Défi Mathématique de la Nature
Quelle est donc la forme que prend une chaîne pendante, et
peut-on la calculer?
D'autres occasions se présentent de rencontrer cette
question lorsqu'on visite
les États-Unis, à preuve ces deux exemples ...
|
|
métro à
Chicago (Illinois)
N.B: le métro de New York peut convenir aussi! |
Costume de scène
d'Elvis Presley
Graceland, Memphis (Tennessee) |
Mais, comme on l'a vu, les Européens y ont
été
confrontés bien
avant.
Leibniz,
en préliminaire à sa
résolution, en souligne
l'intérêt (les
constructions
auxquelles il fait allusion sont celles des courbes, et non celle des
bâtiments.)
"Le Problème de la Courbe Funiculaire ou Chaînette présente un double
intérêt, premièrement celui
d'étendre l'art d'inventer, autrement dit
l'Analyse, jusqu'à présent incapable d'aborder
convenablement de telles
questions, deuxièmenent celui de faire progresser la
technique des
constructions. Je me suis aperçu en effet que la
fécondité de cette
courbe n'a d'égale que la facilité de
sa.réalisation, ce qui la met en
tête de toutes les Transcendantes. De fait, nous pouvons
l'obtenir et
la tracer à peu de frais, par une construction
de type physique, en
laissant pendre un fil ou mieux une chaînette (de longueur invariable)."
|
Galilée: Erreur ou... Approximation
Délibérée?
Fort de son étude des trajectoires balistiques,
Galilée,
le premier à y réfléchir,
évoquait une parabole... Quoi de plus naturel, puisque cette
allusion apparait dans son ultime ouvrage
Discours sur Deux Sciences
Nouvelles (paru en 1638 à Leyde), qui traite de
la résistance des matériaux et du mouvement des
corps.
"En outre, je dois vous dire une
chose qui à la fois vous réjouira et vous
surprendra, à savoir qu'une
corde plus ou moins tendue a une forme qui approche d'assez près
une parabole...
...
la coïncidence est d'autant plus exacte que la parabole est
dessinée
avec une courbure moindre, ou, pour le dire autrement, qu'elle est plus
aplatie; en sorte que si l'élévation de la
parabole ne dépasse pas 45°,
la chaîne
s'ajuste sur la parabole presque à la perfection"
Nous avons mis en gras les expressions qui semblent
l'innocenter
de l'erreur de jugement qu'on lui reproche habituellement,
peut-être en raison d'une lecture un peu hâtive de
Leibniz.
Lequel poursuit son historique du problème en mentionnant
celui
qui trancha en 1627 la conjecture qu'il prêtait à
Galilée:
"Joachim
Jung,
éminent Philosophe et Mathématicien de ce
siècle
[...] se lança dans les calculs, fit des
expériences,
et disqualifia la parabole, mais sans lui substituer la
véritable courbe."
|
|
Arcs paraboliques de jets
d'eau... devant l'ancienne gare de Saint Louis!
Fontaine
de Carl Milles, qui collabora avec Eero Saarinen. Elle
évoque la rencontre du Missouri et du Mississipi. |
L'Histoire a des manières amusantes de se
répéter:
*
Saarinen avait initialement pensé, lui aussi,
à construire une arche parabolique... avant d'opter pour une
forme mécaniquement plus naturelle.
* Et, c'est encore plus drôle, des commentateurs
mal
avisés de son œuvre y virent l'écho des
arches du
grand pont sur le Mississippi . Or, pas de chance, une arche de pont
est
le plus souvent
parabolique.
Un argument heuristique simple est le suivant, dont le principe
mécanique est le même, mais dans l'ordre inverse,
que
celui formulé par Hooke: les cables d'un pont suspendu
prennent
naturellement la forme, non d'une chaînette (comme le fil qui
pend sous son seul poids propre... ) mais
d'une parabole, car ils sont
soumis au poids du tablier (leur poids propre étant
négligeable). Inversons maintenant le soutien, la
meilleure répartition des efforts se fera suivant une
parabole!
|
|
Eads Bridge, 1874.
Saint-Louis (Missouri) |
la fausse inspiration: les
arches paraboliques du pont.
la vraie, au premier plan: la chaîne pendante!
|
À défi, défi
et demi: Jakob Bernoulli et
Leibniz
La question de la
détermination
effective de la forme mathématique
exacte de la chaîne pendante est adressée par
Jakob
Bernoulli
à Leibniz
en
Mai 1690. Ce dernier y voit une occasion
rêvée de tester
l'efficacité du nouvel outil qu' il vient d'introduire, le
Calcul
Différentiel, qu'ils ne sont guère
que quatre
à maîtriser à ctte
époque: Newton, le grand rival
fondateur, les deux frères Bernoulli, Johann et
Jakob, et lui-même, qui ne manquera pas
de nous signaler sa
primauté dans la méthode comme dans l'application
(
le Mathouriste
a mis en gras ces discrets -hum- rappels dans la citation!)
"Depuis lors beaucoup
s'étaient
attaqués à cette question, mais personne ne
l'avait résolue, jusqu'à ce
que récemment un Mathématicien très
savant me donne l'occasion de la
traiter. En
effet le
célèbre Bernoulli, après avoir dans
différents problèmes employé avec
succès cette Analyse des infinis, s'exprimant par le
calcul différentiel, que j'ai contribué
à
introduire, m'a demandé publiquement dans les
Acta de Mai de
l'année
dernière, p. 218 et suivantes, d'examiner, en en faisant
l'épreuve, si notre calcul pouvait
s'étendre à un problème comme celui de
la
détermination de la Chalnette. Ayant tenté
l'expérience pour lui faire plaisir, non seulement je
parvins au résultat en étant, si je ne m'abuse, le premier à
résoudre ce célèbre
problème, mais je notai de surcroît
les
remarquables applications de la
courbe; voilà pourquoi, à l'exemple entre autres de Blaise Pascal,
j'ai convié les Mathématiciens à le chercher à leur
tour, dans. un délai convenu, pour mettre leurs Méthodes
à l'épreuve."
|
Poursuivant la tradition des défis entre
savants,c'est ainsi qu'il lance un petit
concours dans les
Acta
Eruditorum, qu'il anime.
|
|
Le recueil 1691 des Acta, où paraissent les
trois solutions. |
Statue de G.W. Leibniz
à l'Université de Leipzig |
Il n'a pas caché à ses
correspondants qu'il détient la solution pour les faire
saliver... et cela semble produire l'effet attendu:
"Mais pour mieux juger de
l'excellence de votre Algorithme, j'attends avec impatience de voir les
choses que vous aurez trouvées touchant la ligne de la corde ou chaîne
pendante, que Mr Bernouilly (sic!) vous a proposée à trouver, dont je
lui scay bon gré, parce que cette ligne renferme des propriétés
singulières et remarquables. Je l'avois considérée autre fois dans ma
jeunesse, n'ayant que 15 ans, et j'avois démontré au P. Mersenne, que ce n'estoit pas une Parabole."
(Huyghens
à Leibniz, lettre, 9 Octobre 1690)
|
À la fin de l'année 1690, il fait
paraître les
trois solutions correctes, dûes à
Johann
Bernoulli,
Huyghens
et lui même:
"Deux seulement firent savoir dans
les délais qu'ils avaient réussi, Christian Huygens, il est inutile
d'insister sur ses grands mérites envers la République des Lettres, et
Bernoulli lui-même, en collaboration avec son jeune frère, dont
l'intelligence n'a d'égale que l'érudition."
|
Voici les
premières pages de chacune des solutions:
|
|
|
Johann Bernoulli |
Leibniz, alias... G.G.L. |
Huyghens |
;
Figure illustrant
l'article de Leibniz: construction de la chaînette
Quant à
l'auteur de la question, il a échoué; nous le
savons par Johann:
"Les efforts de mon frère furent sans
succès, pour moi, je fus plus heureux [...]. Il est vrai que cela me
couta des méditations qui me dérobèrent le repos d'une nuit entière."
|
Mais,
direz vous, va-t-on enfin savoir de quelle coube il s'agit? Elle
s'exprime, pour le dire avec un vocabulaire
actuel, à
l'aide de la fonction
cosinus
hyperbolique, qui est une simple
combinaison d'exponentielles:
ch (x) = [exp (x) + exp (-x)] / 2
Très précisément, les courbes
solutions du problème de Bernoulli sont les graphes des
y = a ch (x/a)
Pour lire et comprendre le texte
de Leibniz: il est présenté
et analysé sur le site
BibNum
(avec, pour faciliter la tâche, deux versions: latin et
traduction Française);
Mais
attention! On n'y trouvera pas trace de la fonction cosinus hyperbolique:
ce serait un anachronisme. Les fonctions hyperboliques ont
été introduites en 1761 par Lambert,
à l'occasion de sa
preuve de l'irrationalité de Pi. Ce
texte et son analyse sont également
disponibles sur BibNum
.
|
Pas trop fâché contre cette courbe, Jakob
Bernoulli y
reviendra, assez tardivement (1705). Pour
décrire la
forme d'une voile , attachée à des
baumes
horizontales et gonflées par le vent, mais aussi
pour...
signaler l'équilibre naturel de la voute
caténaire! (
Meditationes,
1705 in
Varia Posthuma,
1744)
Fig 46: la Voute. Fig
51: la Voile!
De Leibniz à Euler
Notre chaînette n'a pas fini de se manifester dans les
Mathématiques. Etudiant les
surfaces
minimales (surfaces minimisant l'aire latérale
et s'appuyant sur un contour donné),
Euler
découvre en 1744 la première surface de ce type,
la seule qui soit de révolution: c'est la
caténoïde,
ainsi dénommée parce que la courbe plane qui
l'engendre
par rotation n'est autre que la chaînette.Une telle surface
est
matérialisée par un film de savon, car le
goût du
moindre effort d'une Nature paresseuse fait que sa
position
d'équilibre minimise l'aire pour minimiser la tension
superficielle.
Le Mathouriste
a plaisir à renvoyer à l'article correspondant de
Wikipédia par un clic sur cette image, dont il se souvient
dans
quelles circonstances elle fut faite... et dont il tient à
saluer très amicalement celle qui l'a
réalisée!
Deux cercles
parallèles, coaxiaux, en fil de fer.. ou de cuivre..
Trempez dans l'eau savonneuse, vous aurez une
Caténoïde!
Elégance Mathématique Contemporaine
Dernière apparition recensée: au... gousset de la dernière médaille Fields Française (2010)!
Cédric Villani, Octobre 2011: célébration du Bicentenaire de Galois.
Saarinen
Saarinen voulait
construire une arche
qui s'inscrive dans un carré, aussi haute que large: 630
pieds.
Ce qui ramène à résoudre, avec la
stricte formule
ci-dessus, l'équation
h = 2l = a [ch (l/a) -1]
soit,
en l'inconnue u = l/a
u = l/a ; 2u = ch (u) -1
ce
qui était tout
à fait possible, mais aurait fourni une ogive un peu trop
pointue... Cela gênait l'esthétique, et de plus,
il
était prévu qu'au sommet se trouverait un couloir
d'observation panoramique. Pour pouvoir accueillir une
quantité
suffisante de visiteurs (160 environ, sur
une longueur de 20m)
sans que la pente du sol ne présente d'inclinaison trop
dangereuse (et les risques de procès
corrélatifs), il
fallait "aplatir" la chaînette, et c'est ce qui fut fait.
Mathématiquement, on appelle cette transformation une
affinité orthogonale; la formule étant
remplacée
par
y = b ch (x/a)
C'est
ce que l'on fait
tous les jours, sans y penser, lorsqu'on représente des
courbes
avec des unités différentes sur les deux axes;
l'aspect
général est conservé.
|
|
|
Salle de
vision panoramique, au sommet.
Remarquer la (légère) courbure... |
Localisation des
fenêtres au sommet, de part et d'autre (petites taches
noires!) |
Dernier
escalier avant la salle panoramique: vers la descente, la courbure
augmente rapidement! |
C'est l'ingénieur Américain d'origine Allemande
Hannskarl
Bandel
(né
en 1925 à Dessau, la ville du Bauhaus!) qui donna,
à un Saarinen attiré par la
chaînette
mais insatisfait de sa courbure au sommet, l'idée
de
l'aplatissement; avec l'équipe d'ingénieurs, il
parvinrent à l'équation jugée
satisfaisante (en
pieds)
y = 68,7672 ch ( x /
99,6682 )
Il fut suggéré que c'était toujours
une
chaînette... mais dont les maillons n'avaient pas tous le
même poids, un fil à densité variable,
si l'on
veut: on parla de
chaîne
pondérée. Ce n'est pas faux... mais
Robert Osserman fait sagement remarquer, dans sa conférence
The Geometry of Eero Saarinen's Gateway Arch
que l
'on
peut toujours trouver une pondération convenable qui fait de
n'importe
quelle courbe convexe préalablement imposée
une chaîne pondérée!...
à commencer par la parabole, ce qui serait un comble,
après avoir insisté sur le fait que l'arche n'en
est pas
une, et distribué les mauvais points à ceux
(très
nombreux dans la presse, selon les archives consultées par
Osserman) qui s'obstinaient à en voir une dans ce monument.
Le concept de chaîne
pondérée ouvre la porte à trop de
courbes... dire
"une
chaînette aplatie" est donc à la fois
le plus simple et le plus pertinent.
Un autre apport intéressant fut celui de
Carl
Milles...
oui,
celui de la fontaine de la gare de Saint-Louis vue plus haut, et du
célèbre Millesgården
à Stockholm! Alors
que
Saarinen avait prévu pour les sections orthogonales
de
l'arche des carrés, Milles suggéra des triangles
équilatéraux, ce qui confère un
caractère
beaucoup plus élancé au monument. Il resterait
encore aux
ingénieurs à être...
ingénieux dans la
conception des ascenseurs, toujours pour s'accomoder des variations de
courbure. Ils le furent en effet, créant des
trains
articulés de "bulles" sphériques.
|
|
Élément
d'arche: la section est un triangle équilatéral,
qui
rétrécit de la base au sommet.
Photo
présentée dans le sous-sol du monument. |
Schéma de principe du
train de 8 bulles à 5 places.
Document
présenté dans le sous-sol du monument. |
Une fois la théorie résolue, tout n'alla pas tout
seul,
mais cela n'a plus grand chose à voir avec les
Mathématiques! Le concours architectural s'était
déroulé de 1945 à 1947,les fondations
ne purent
être entreprises qu'en 1959, et l'inauguration eut lieu le 25
Mai
1968: Saarinen ne vit donc pas achever son œuvre la plus
emblématique. Avant de devenir un symbole mondialement
reconnu
de Saint-Louis et de son renouveau, l'arche essuya beaucoup de
critiques, dont celle, a priori inattendue... d'être un
monument
faciste! De fait, un projet similaire avait été
conçu par l'architecte Italien
Adalberto
Libera
(1903-1963) pour célébrer, à
l'occasion de
l'Exposition Universelle prévue pour 1942, les 20 ans de
la
Marche s
ur Rome qui avait
conduit Mussolini au pouvoir. La Seconde Guerre Mondiale mit un terme
à tout cela.
|
|
Saarinen, ses croquis (noter la
référence aux arcs de triomphe antiques!), ses
maquettes.
Photo présentée dans le sous-sol du monument. |
Le projet -jamais
réalisé- de Libera pour l'exposition
universelle de Rome en 1942. |
Une courbe qui inspire!
En restant encore un peu
aux USA...
Route 66 Hall of Fame,
Pontiac (Illinois)
Suivant le célèbre conseil de Bobby Troup:
"Get
Your Kicks On Route 66"
(allez, laissez vous faire: le plaisir des yeux n'est pas tout, celui
des Maths non plus, tendez l'oreille à
Manhattan
Transfer -large choix de versions!-, à moins que
vous ne préfériez
Diana
Krall en duo avec Nathalie Cole?),
le Mathouriste
a pris la célèbre route, à l'envers de
la chanson, pour s'en fredonner une autre:
"Goin' to Chicago"
(un petit
Jimmy Rushing, peut-être? ou un super trio:
John Hendricks, Kurt Elling, Al Jarreau
? ). Et il a eu la surprise de retrouver la
chaînette dans
la cité des vents... à l'intérieur de
son
somptueux musée!
|
|
|
Comparaison
illustrée:
arche (inversée) et chaîne pendante.
présentée à
l'intérieur du Gateway Arch
|
Jasper
Johns
(Américain,
né en 1930): Near the Lagoon (2002-2003)
Chicago
(Illinois), Art Intitute.
Cette toile fait partie d'une
série, Catenary (1997-2003),
basée sur la chaînette. L'artiste en utilise le
tracé répété sur le
tableau, mais fait
aussi intervenir un fil pendant légèrement en
avant de la
toile, comme le révèle la vue latérale. (Technique mixte)
|
Et si vous prenez
l'avion à Washington-Dulles Airport... vous aurez encore le
plaisir de retrouver la chaînette. Pas vraiment un hasard: il
a
été dessiné par Saarinen, en 1958. Frappé par la même malédiction que
celle de
Saint-Louis, il n'en vit pas davantage l'inauguration par J-F Kennedy
en 1962.
Son toit est une surface cylindrique
(réalisée
en béton),
dont la section droite est une
chaînette,
éventuellement aplatie.
|
|
Aéroport
international Washington-Dulles (Virginia)
Le voile en béton qui lui sert de toit a pour section droite
une chaînette (aplatie?) |
Faut-il l'avouer? Passé dans cet aéroport lors
d'un voyage
antérieur,
le Mathouriste
avait pris ces clichés en pensant qu'ils lui fourniraient un
exemple intéressant de toit en...
cylindre parabolique!
Bref, il était lui aussi tombé, au feeling, dans
le
piège parabolique... Mais, pour sa défense, sans
plans
cotés précis, n'est-ce pas normal? Ne sommes nous
pas
dans ce cas qu'évoque Galilée d'un ajustement
presque
parfait? (Le cas est très différent de celui de
l'arche de Saint Louis,
car on n'utilise qu'une petite portion de la courbe au voisinage du
sommet)
Nous avons des outils mathématiques pour évaluer
cette
proximité. Le premier, qualitatif, est l'emploi d'un
développement
limité
y = b ch (x/a) = b [1 + x2/2a2 + x4/4!a4 + o(x4) ]
qui suggère, un peu brutalement, que l'approximation
parabolique
-les deux premiers termes- est correcte "à la puissance
quatrième" de
x/a près...
(la brutalité consiste à ignorer les termes
suivants,
sans doute petits, mais non contrôlés avec
exactitude! Et
"cachés" dans le fameux o(x4)...
)
L'étudiant un peu plus savant connait la majoration de Taylor-Lagrange,
qui garantit que l'erreur est inférieure à ce
terme en x4/a4 :
cette fois, l'errreur de troncature est contrôlée
(s'il sait estimer la constante M,
mais cela fait partie de son travail...)
| ch (x/a) - [1 + x2/2a2 ] | < M. x4/a4
Par exemple, si le rapport x/a n'excède
pas 1/5 = .2 (la pente aux extrémités du toit
permet d'estimer au jugé
que ce n'est pas trop déraisonnable), l'écart en
y/b entre chaînette et
parabole est sans doute inférieur au centième!
On se retrouve là dans un débat aussi peu
évident
que celui de savoir si un amphithéâtre Romain est
ou n'est
pas- elliptique: malgré leur taille imposante, c'est loin
d'être indiscutable (voir
notre page sur les cylindres).
Et ailleurs? Chaînette ou
Parabole?
En Catalogne,
Antoni
Gaudi a fait un
usage explicite de la voute
caténaire dans ses édifices, et notamment la
Sagrada
Familia: c'est sans doute le cas le plus voyant et le plus
spectaculaire.
Aujourd'hui,
certains chercheurs pensent
que des
voûtes ou dômes qu'ils ont d'abord
considérées
comme paraboliques seraient, en fait, plutôt du type
caténaire... L'argument en faveur de cette thèse
serait
celui du meilleur équilibre naturel de la structure
-l'argument
de Hooke, en somme, appliqué intuitivement par les
bâtisseurs. Cela concerne, par exemple, les igloos des
Esquimaux
Canadiens, les
huttes traditionnelles en boue séchée des Musgum
au Cameroun,
Cela concerne d'abord celle qui, architecturalement, est la mère de toutes les voûtes en arc, la magnifique
arche
de Ctésiphon (Irak). Bien des ouvrages la mentionnent comme
parabolique,
mais ne nous y trompons pas: il s'agit dune allusion à la forme
générale, pas le résultat d'une étude numérique précise. Au coup d'œil
général, en somme... Et puis, il y a toutes celles que des architectes
du XXème siècle ont réalisé en béton, grâce aux nouvelles possibilités
d'un matériau qui les libérait des contraintes traditionnelles.
|
|
|
Ctésiphion
|
Freyssinet, hangar à dirigeables à Orly
|
Église à Grand Quevilly
|
deux clichés de la collection de Walter Gropius, Bauhaus Museum de Dessau (Allemagne) |
|
L
e Mathouriste
, qui ne dispose pas d'éléments assez précis
pour trancher, vous les présente pour l'instant, avec plus de détails, dans sa
page sur les cylindres paraboliques,
en compagnie des cylindres elliptiques, sur lesquels des mesures
soignées ont établi, justement, la difficulté de reconstituer avec
certitude la nature des courbes directrices employées... Peut-être
certaines changeront-elles de page, un de ces jours?
Chaînette et
Parabole ensemble: why
not?
Il est un moment
privilégié où
les deux courbes peuvent se côtoyer: la construction d'un
pont
suspendu! Bien sûr,
le Mathouriste
n'était pas là pour prendre ces
clichés (il le
regrette, vous vous en doutez bien) de New York en train de devenir
New York... Lorsque les câbles sont jetés, ils
prennent
sous leur propre poids la forme chaînette. Il en va de
même
des vertigineuses passerelles piétonnes de travail... Mais
voici
qu'à côté d'elles le tablier se met en
place,
donnant aux câbles porteurs l'allure parabolique. Quel
dommage
qu'on n'ait pas laissé subsister la passerelle! Car
franchement,
aller s'asseoir en amoureux (des mathématiques,
plus si
affinités) sur un banc pour contempler deux belles courbes
et
New York qui s'allume,
Rhapsody
in Blue dans son baladeur ( le pianiste de jazz
Marcus
Roberts avec Seiji Ozawa, ça vous va? Ou
Lang-Lang
avec Herbie Hancock? ), ça aurait
quand-même de la gueule,
n'est-ce
pas, M. Woody Allen? (d'accord, vous étiez
à Queensboro Bridge...
so
what? Quant à faire un remake!)
|
|
|
Pont de Brooklyn en
construction (1881)
|
Références
Sur la Gateway Arch et Saarinen
Mathématiques
Quelque livres aussi; on regardera bien la couverture du premier: on
peut tracer une
autre courbe
remarquable avec une chaîne de montre... encore une réussite
de
Leibniz! et elle est liée (pas tout à fait
trivialement)
à la chaînette.
Modèle et Disciple...