PASCAL et La Pascale

Avertissement:

Dans cette page, il sera question de démonstrations, ou tout au moins de leur principe, en sautant quelques détails techniques au profit de la vision générale. Ce qui peut donc demander au lecteur un effort un peu plus soutenu, et un niveau de base en maths dépasant légèrement celui d'un touriste ordinaire...
De fait, les preuves font référence à des connaissances allant du Bac S, pour les plus simples, au Master 1, pour les plus délicates, leur contexte et  leurs outils.
Le lecteur qui n'est pas familier avec la Géométrie Projective... est bien sûr invité à visiter nos pages, mais, techniquement, l'appendice A du livre J. SILVERMAN, J.TATE, Rational Points on Elliptic Curves (Springer-Verlag) contient, avec concision et clarté, tout ce dont il peut avoir besoin pour comprendre. (Voir aussi les quelques liens donnés en références)

Le Théorème de " l'Hexagramme Mystique"

Auteur de cette appellation irrésistible autant que fascinante:
Gottfried Wilhelm Leibniz (1646 - 1716) , ici à l'Université de Leipzig
Rappelons en l'énoncé :

Si un hexagone quelconque ABCDEF (pas nécessairement convexe!) est inscrit dans une conique quelconque, les intersections des côtés n'ayant aucun sommet commun Y = AB DE, Z = BC  EF, X = CD ∩FA sont alignés.

Théorème de Pascal sur l'ellipse
Théorème de Pascal sur le cercle

Preuve n°0: celle que l'on suppose être celle de Pascal

Un énoncé similaire, mais connu depuis l'Antiquité, a pu inspirer notre géomètre:  c'est le Théorème de Pappus , où deux droites remplacent le cercle. Il n'est d'ailleurs pas impossible que Pascal ait médité ce résultat, et qu'il ait eu l'idée qu'il fonctionnait aussi dans le cas du cercle...Vous retrouverez ces deux théorèmes côte à côte dans notre dans notre page Poncelet.

On n'a aucune certitude sur la manière de Pascal, mais on peut raisonnablement penser qu'il a procédé en deux temps:
  1. la preuve dans le cas du cercle (comme dans la figure ci-dessus);
  2. la déduction pour toutes les coniques (ellipse, parabole, hyperbole) par perspective conique: elle est là, la grande idée de Desargues, que Pascal a immédiatement assimilée et qu'il exploite aussitôt, que Carnot relaiera, et qu'enfin Poncelet érigera en une nouvelle géométrie, en 1813: la Géométrie Projective! ( voir notre page dédiée, où l'on retrouvera en vedette ce théorème et sa démonstration...)
Voir à cet endroit de notre page Desargues plus de détails (en quelques dessins) sur cette méthode.

Preuve n°1: sur le cercle, en suivant un sujet de Bac "C"

Voici ce problème (Bac C 1969, Académie de Dijon) , tel qu'il apparait dans les annales Vuibert de l'époque :





C'était sans doute un des sujets parmi les plus longs et les plus difficiles pour ce niveau, cette année-là... il ne déparait donc pas pour une entrée en matière de Maths Sup!
La structure du sujet est tout à fait claire: le projecteur est braqué sur une loi  de composition interne sur le cercle, ce qui est plutôt conforme aux canons de l'époque! Le théorème est établi dans la première partie A: c'est l'interprétation géométrique de la résolution de l'équation B * X = A, en admettant l'associativité avant de prouver celle-ci de manière autonome en B et C par deux méthodes différentes. L'algèbre prouve la Géométrie de l'affaire, en résumé!

Et voici la copie d'un jeune hypotaupin Clermontois... comme il "délaye" un peu, obsédé par la peur d'oublier à chaque étape la discussion des deux cas, nous sautons les pages 2 et 3, ne laissant que la mise en scène initiale et la question cruciale du 4°). Mais créditons le, en dépit de ses longueurs, d'une certaine lucidité sur la sensibilité de la propriété dl'associativité, sa position dans le sujet, et l'absence de cercle vicieux...





Son professeur avait rajouté à l'énoncé de Bac la question ultime que personne, bien sûr, ne trouverait : " Étude géométrique du résultat?"

R. Dublanchet (le plus à gauche des professeurs; au centre S. Gély,Physique)
  ...et la promotion de Sup qui se vit infliger ce Pascalissime  bizuthage!
  ( mais où se cache le Mathouriste ? )
La "question-plus" qui a tout déclenché,
 soulignée  avec  un scepticisme... interrogateur!



Notre candidat se fend d'une remarque insignifiante, pas dupe de ce qu'il écrit: voir son soulignement sinusoïdal sur l'énoncé, où il coche méticuleusement les questions dont il pense être venu à bout. Il ne connaissait pas le théorème de Pascal, et c'est lors de la correction qu'il l'apprendra, suivi de l'injonction:

"Et vous le trouverez sur la place Lemaigre, là où était la maison natale de Pascal, près de la cathédrale; allez donc le voir!"

Ce qui fut fait... sans même inscrire la localisation sur ses notes de correction, sûr de sa mémoire; elle fonctionna parfaitement pour l'y guider dans les jours qui suivirent, interroger la pierre aussi pieusement que Claude Nougaro questionnant la maison de Jacques Audiberti...  Mais 30 ans plus tard, c'était plus critique: où pouvait bien se trouver ce fichu monument?

Du Bac au ... backstage!

Le sujet du Capes Interne 1991 reprend loi de groupe et théorème de Pascal, mais, en quelque sorte, il inverse le point de vue (question d'époque, sans doute...). On prouve le théorème géométrique d'abord, on en déduit l'associativité : la Géométrie prouve l'Algèbre, cette fois!
Passé de l'autre côté... de l'estrade et de la craie, l'ancien hypotaupin s'est appliqué un peu plus pour faire sa figure, cette fois! Mais il est vrai qu'il n'opérait plus en  temps limité... voici donc un extrait du corrigé proposé à ses étudiants.
loi de groupe: preuve complète
zoom sur l'associativité


Mais d'où sort cette mystérieuse loi de groupe?
Tout s'éclaire si l'on regarde la réunion du cercle et de la droite comme un cas particulier de courbe cubique. L'équation de la réunion est de la forme (repère ua centre du cercle)

( x² + y² - R² ) . ( a x + b y +c ) = 0

ce qui, développé, est une équation du troisème degré.
Or, il y a une loi de groupe sur une cubique (qu'on note, d'usage, additivement), dont l'associativité consiste... en un magnifique théorème d'alignement!



cercle et droite, dans la copie cubique propre, en couverture d'un excellent  ouvrage

La comparaison entre les deux cas ne nécessite qu'un petit dictionnaire entre les notations des deux figures, que voici

Copie B C a O B * C
Livre P Q P * Q I P + Q


On constate qu'il s'agit bien de la même construction!


Petit Commentaire : (auquel l'auteur de ces lignes ne peut résister...)

Dans les années 1970-80, beaucoup qualifiaient ce genre de résultats de résultats démodés, sans intérêt. Ce à quoi les années qui suivirent infligèrent un sérieux démenti: factorisation elliptique (Lenstra, 1985), indépendance algébrique de π et exp (π) (Nesterenko, Philippon, 1995) et... preuve du Grand Théorème de Fermat (Wiles, 1994-95) utilisent cette fameuse loi de groupe, et une bonne dose de Géométrie Projective, c'est dire... exactement la manière de passer du cercle à une conique quelconque, l'esprit même de Desargues et Pascal! 
S'il restait à illustrer la difficulté de lire l'avenir avec clairvoyance, voilà de quoi le faire, et de belle manière...

Preuve n°2 : sur le cercle, avec le théorème de Ménélaüs (corrigé du devoir)... comme Pascal?

"Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître..." En ce temps-là, pas de corrigé photocopié et distribué par le professeur! Celui-ci fait une correction "au tableau", et l'élève note... comme il peut! Ce n'est en aucun cas une excuse, mais une simple explication au caractère peu soigné des deux pages de notes ci-dessous, que le souci de l'ambiance d'époque nous pousse à laisser telles quelles: la figure "tombe" plus ou moins bien, le point K de la figure de droite s'envole trop loin et irait s'immiscer dans celle de gauche, raté pour obtenir un bel alignement!
Faut-il rappeler que pour faire une belle figure, bien disposée... il faut souvent en avoir préalablement raté au moins une, souvent plusieurs?




C'est la preuve  la plus élémentaire qu'on puisse donner, et  la plus probablement utilisée par Pascal. En effet, elle ne nécessite que l'emploi du théorème de Ménélaüs (démonstration interactive ici), parfaitement en sa possession. Dans les années 1960-70, c'était un résultat que devait connaître, et savoir exploiter, un élève de Terminale C.
Et, suggère l'énonce de Capes 1991, notre bachelier doit pouvoir en déduire le théorème de Pascal sur l'ellipse, comme sur le monument de Gournier. Il suffit de considérer l'ellipse comme affine de son cercle principal; cette transformation conserve les alignements et concours, puisque l'image afine d'une droite est une droite.

Preuve n°3 : un parfum de Géométrie Projective

On l'a dit en préambule: disposant de la preuve dans le cas particulier du cercle, Pascal n'a plus qu'à appliquer les idées de Desargues ( principe détaillé à cet  endroit de notre page Desargues ) .
Mais on peut faire mieux dans le genre, en partant d'une situation encore plus particulière, mais suffisante pour engendrer toutes les situations par projection conique. Nous empruntons à J. GRAY, Worlds Out of Nothing: A Course in the History of Geometry in the 19th Century (Springer-Verlag) la preuve suivante, qui nécessite, en contrepartie de son extrême simplicité, de connaître quelques rudiments de Géométrie Projective :
On suppose de plus que la droite est la droite de l'infini (ensemble de toutes les directions du plan , T = 0 en coordonnées homogènes). Dire que deux droites AC' et A'C se coupent en Q sur la droite de l'infini, c'st dire qu'elles sotnt parallèles; de même AB' et A'B  en R. Le théorème de Pascal pour cet hexagramme particulier dit que BC' et B'C se coupent en P aligné avec Q et , c'est à dire sur la droite de l'infini: il s'agit donc d'établir que  BC' et B'C sont parallèles, et c'est un jeu très simple à l'aide des angles alternes-internes et de l'égalité des angles interceptant un même arc de cercle.


Une version "colorisée" de la figure du livre de J. Gray

On peut montrer que tout couple (conique, droite) peut être projectivement envoyé sur le tout couple (conique, droite de l'infini), ce qui achève la preuve (nous ne détaillons pas ce point technique)

Preuve n°4 : une fragrance de Géométrie Algébrique

[voir par exemple J. SILVERMAN, J.TATE, Rational Points on Elliptic Curves (Springer-Verlag), évoqué plus haut]
Tout repose sur le

Lemme :
 
Soient deux cubiques (C1) et 
(C2) ayant 9 points d'intersection. Alors, toute cubique (Γ) passant par 8 de ces points passe par le neuvième. 

Preuve du Lemme :

(Γ) a une équation de la forme (selon le système de coordonnées, cartésiennes usuelles ou homogènes):


Cartésiennes f (x, y) = a x + b xy + c x y2 + d y+ e x2+ f x y +g y2+ h x+i y  + j = 0
Homogènes F (X, Y, T) = a X + b X2 Y + c XY2 + d Y+ e X2T + f XYT +g Y2T + h XT2 + i YT2  + j T3 = 0

Les cubiques passant par 8 points distincts sont donc déterminées par un système linéaire de 8 équations à 10 inconnues: a, b, ... j. Ce système est de rang 8 pour des points d'intersection deux à deux distincts (point technique sans difficulté, mais dont nous omettons les détails), et par suite admet un espace de dimension 2 de solutions, dont on peut prendre pour base les sysstèmes correspondant à (C1) et  (C2) (Γ) a donc une équation de la forme
F (X, Y, T) = λ F1 (X, Y, T) + μ F2 (X, Y, T) = 0
d'où le passage par le neuvième point pour qui, comme pour les 8 premiers,  F1 (X, Y, T) =  F2 (X, Y, T) = 0.
CQFD .

Preuve du Théorème :

En préalable, observons que, de façon similaire à la réunion d'une droite et une conique vu plus haut, la réunion de trois droites définit une cubique, comme on le constate en développant le produit
( u1 X + v1 Y  + w1 T ) . ( u2 X + v2 Y  + w2 T ) . ( u3 X + v3 Y  + w3 T ) = 0


On considère les deux cubiques formée chacune de la réunion de 3 droites:  
(C1)  = (ab) (cd) (ef)  et (C2)  = (bc) (de) (fa) .

Que leur intersection soit composée de 9 points est élémentaire (à condition d'adoptet le point de vue projectif pour lequel deux droites distinctes se coupent toujours, fût-ce à l'infini, en un point unique), car chaque droite rencontre la cubique "adverse" en 3 points (3 intersection droite-droite). Ce sont 
a, b, c, d , e, f  bien sûr, mais aussi xy,  z dont l'alignement est à prouver.

Soit (Γ) la cubique réunion de la conique donnée et de la droite  (xy) . Elle a  8 points en commun avec chacune des cubiques (C1)  et (C2) , donc passe par le neuvième, c'est à dire z. Et comme z ne peut être sur la conique (car alors, la droite (bc) la couperait en trois points b, z, c , soit un de plus que ne le permet le degré) , il est sur la droite  (xy) .

CQFD .

Références

Pascal et son théorème

Quelques livres qui en parlent...

Introduction à la Géométrie Projective

et, plus généralement, dans notre page Poncelet.

Pour poursuivre dans nos pages...


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