Alta
(Norvège), Birkeland et Störmer :
des
Aurores (boréales) et des Équations
(différentielles)
La petite ville d'Alta, en Norvège, peut légitimement s'ennorgueillir de sa Cathédrale des Aurores Boréales, inaugurée en 2013. À
70° de latitude Nord (environ), elle est idéalement située pour
contempler et étudier ce fantastique phénomène naturel, et c'est tout
naturellement qu'elle fut choisie pour l'érection, en 1899, du premier
observatoire des aurores boréales au monde, au sommet d'une montagne
tout proche.
Cette localisation fut définie par un des deux héros
de cette page, et dès lors Alta devint connue comme "capitale des aurores boréales" dans le monde entier.
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Le tranquille petit port d'Alta
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Un petit tour de la Cathédrale, pour commencer...
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telle que l'a vue
le Mathouriste...
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belle aussi à l'intérieur:le drappé de bois,
éclairé par l'arrière... une évocation des aurores polaires?
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telle qu' elle se fait admirer... dans la salle de cinéma!
Heureux ceux qui l'auront vue ainsi.
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Conçue
par l'architecte Kolbjørn Janssen (Stavanger) en collaboration avec le
cabinet danois Schmidt, Hammer & Lassen (d'autres belles images sur le site de l'agence), elle n'était au départ
qu'une simple église, mais la nomination officielle d'Alta au titre de ville des aurores boréales
en 1999
en a rapidement fait une cathédrale dans l'opinion publique, et le
clergé a suivi en validant cette appellation. Elle a été habillée de
40000 plaques de titane pour mieux refléter la lumière dansante que
trace dans le ciel la queue du renard polaire, selon une légende des
Samis (population autochtone). Et son sous-sol a été aménagé en salle
de cinéma où tourne périodiquement un film qui vous fera rêver (une
sélection des plus belles aurores de la région...), tandis qu'aux murs
est présentée une brève histoire de la découverte et de l'étude
scientifique du phénomène.
Sur la gauche, par rapport à l'entrée, se trouve un buste. Un seul (pour l'instant?) alors
qu'ils furent deux pionniers dans l'étude des aurores boréales à Alta, formant
une équipe très complémentaire; un physicien, Kristian Birkeland (1867-1917) et un mathématicien, Car Störmer (1874-1957) [ Størmer en Norvégien ]
Sans grande surprise, la ville a donné la donné la priorité à celui qui a élucidé les choses du point de vue physique!
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Birkeland, devant la cathédrale.
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Störmer (photo issue de sa nécrologie)
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Toutefois,
on les vit tous deux affornter ensemble le froid de l'hiver; un cliché
célèbre, présenté dans la salle de cinéma, mais également dans
Wikipedia, les montre au travail, avec une légende qui inverse les
rôles: "Carl Störmer et son assistant Birkeland en 1910". Y est aussi exposé un appareil de sa conception.
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Störmer et son assistant Birkeland en 1910 (sic)
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appareil conçu et employé par Störmer en 1912-1913
réplique (1957) fabriquée à l'Institut d'Astrophysique d'Oslo
pour l'occasion de l'Année Internationale de la Géophysique
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Il y a une bonne raison à celà: pour ce qui est de la photographie, les rôles se distribuaient bien ainsi! Störmer
était passionné par cette technique, et il est souvent considéré comme
l'inventeur de la photo "volée" en caméra cachée: le père de tous les
paparazzi, en quelque sorte! Il trouva dans l'étude des aurores
polaires le moyen de mettre son hobby au
service de la science, à une époque où c'était loin d'être courant. Il
participa à la conception d'appareils spécialement dédiés: le modèle
présenté permettait de superposer 6 expositions différentes.
Birkeland
L'expédition de 1899 à Alta
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Commençons par celui dont la stèle porte sobrement le nom, les dates, et la mention: "physicien qui a résolu le mystère des aurores boréales".
Rien
de plus normal qu'il soit particulièrement célébré à Alta: c'est à
proximité qu'il fait bâtir le premier observatoire en 1899. Il avait
effectué deux ans auparavant une expédition de reconnaissance dans la
province septentrionale du Finnmark, dans des conditions
particulièrement difficiles: ils furent enveloppés par une terrible
tempête de neige, un de ses étudiants fut victime de graves gelures aux
mains...). Birkeland a décrit la partie"aventureuse" de cette
expédition et de toutes les autres dans le mémoire relatif aux
expéditions de 1902-1903, The Norvegian Aurora Polaris Expeditions, 1902-1903 (en ligne)
Mais il réussit à convaincre son gouvernement de financer les travaux,
et le site choisi est Haldde, une montagne qui domine, à 900m, le
fjord d'Alta (avantage des fjords: la montagne s'élève très vite au
dessus de la mer). Certes la pollution lumineuse n'est pas un problème
à l'époque, mais on considère qu'un emplacement en altitude est
préférable pour effectuer les mesures. Le camp de base est le village de
Bossekop, aujourd'hui fusionné avec d'autres sous l'unique nom d'Alta.
Celui qui réalisa, en 1885, la première photo encore conservée d'une aurore boréale (à Christiana, avec un temps d'exposition de 8mn!) notait:
"Peu d'emplacements peuvent rivaliser avec Bossekop pour l'observation des aurores boréales, au regard des conditions météorologiques"
Sophus Tromholt, 1885
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Alta fut donc préférée à Hammerfest (un peu plus au Nord), initialement envisagée.
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Haldde, aujourd'hui...
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Haldde, photographie d'époque
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ces deux images provenant de l'exposition en ligne du musée d'Alta, The Northern Lights – from mythology to science in Alta |
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Comme
le montre la page de titre, il y a en fait deux stations d'observation,
qui sont même reliées par une ligne téléphonique! (qui leur donne bien
du souci poour résister aux intempéries). Une autre ligne les relie à
Christiana, afin de synchroniser précisément les chronomètres.
Pourquoi? Parce que Birkeland veut comparer les perturbations du champ
magnétique terrestre entre Alta et d'autres emplacements en Europe,
notamment Potsdam en Prusse, mais aussi Pulkovo (Saint-Petersbourg),
Copenhague... Il explique dans l'ouvrage en quoi cette question est essentielle pour
son objet d'étude:
"
On sait depuis longtemps qu'il existe une certaine liaison entre les
perturbations magnétiques et les aurores boréales.
Cette liaison ne semble toutefois ni simple, ni
directe. En effet, il est clair que ce ne sont pas tout à fait les
mêmes conditions qui donnent lieu simultanément aux plus fortes
perturbations magnétiques et aux plus fortes aurores boréales. Mais il
est certain que quand un de ces phénomènes se manifeste avec une grande
intensité, l'autre apparait à coup sûr, sans qu'on puisse pour cela
trouver entre eux aucune proportion bien prononcée dans l'intensité.
J'indiquerai succinctement ci-dessous la notion de
la nature et de l'origine des aurores polaires à laquelle semble
aboutir la discussion des observations et des résultats de notre
expédition des aurores boréales."
Kristian Birkeland, Expédition Norvégienne 1889-1900 (1901)
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On
a donc emporté,à cette fin, des magnétomètres. L'instrument (signalons
le au passage, inventé par Gauss), est constitué par un aimant suspendu
à un fil qui sera sensible au champ magnétique -exactement comme
l'aiguille de la boussole; à cet aimant est fixé un miroir qui dévie un
rayon lumineux incident, le rayon réfléchi allant frapper un papier
photographique qui défile au cours du temps (il est enroulé sur un
cylindre tournant lentement, comme on en voit de façon plus familière
sur un baromètre enregistreur).
Dans son Laboratoire
Il
est temps de le dire: si Birkeland part sur le terrain, c'est aussi
pour compléter les expériences qu'il avait menées auparavant en
laboratoire. La plus célèbre visait à expliquer la forme annulaire de la zone où le phénomène était de loin le plus fréquemment observé: une bande dont le bord supérieur se situe entre 3° et 6° de latitude, le bord inférieur entre
10° et 20°: ces "limites" (qui peuvent être dépassées plus
exceptionnellement) varient à la fois avec la longitude, et bien sûr le
temps. C'est pourquoi Tromsö, à 70° de latitude Nord, est considérée
comme une localisation favorable, et, en Norvège, jusqu'au Cap Nord,
dont Alta n'est pas très éloignée.
Elias Loomis (1811-1889) l'avait bien mis en évidence en cartographiant (1860) la zone où l'on avait recensé
plus de 80 aurores; mais ce n'est que bien plus tard que Störmer (1912)
l'expliquerait par le calcul des trajectoires de particules, en
prouvant qu'elles spiralaient entre deux cônes d'axe commun avec
celui de la terre: chacun d'eux coupe la sphère terrestre suivant un
cercle, bord (approximatif) de la bande aurorale.
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Passer le Cercle Polaire Arctique...
... un moment particulier dans toute croisière nordique!
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Carte de Loomis: bande "80 aurores" en foncé;
de part et d'autre, les bandes "40 aurores" |
Schéma explicarif de Störmer, in
Sur les Trajectoires des Corpusscules électrisés dans l'Espace [...]
avec Application aux Aurores Boréales (1912)
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Entre ces deux dates, Birkeland
s'est proposé de monter une expérience de laboratoire pour expliquer
les aurores par l'action d'un flux de particules électrisées sur les
atomes de la haute atmosphère. Nous sommes en 1896, il a déjà fait des
expériences sur l'action d'un aimant sur les rayons cathodiques et
correspondu avec Poincaré sur ce sujet (voir cet article sur BibNum),
mais le nouveau projet est plus ambitieux.
Il soumet pour cela une Terrella, joli nom pour une petite terre,
à un rayonnement cathodique dans une cage de verre.(Nous dirions un flux
d'électrons, mais ce serait un peu anachronique: c'est en cette même
année que Thomson mène ses expériences, et il parle de "corpuscules"). Afin de modéliser le
champ magnétique de notre planète, un barreau aimené est placé en son
sein, selon son axe Nord-Sud. Victoire! Deux anneaux lumineux se
forment près des pôles... Il vient de créer des aurores polaires
artificielles! Et de justifier le principe pressenti de l'interaction
d'un courant électrique et d'un champ magnétique.
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Birkeland avec un de ses assistants
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En pleine action expérimentale
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En version "colororisée" dans une vidéo
présentée dans l'exposition de la cathédrale d'Alta
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VIDEOS de l'expérience (NorskTekniskMuseum, Oslo): c'est à voir!
La Norvège n'a pas manqué de rendre hommage à son grand héros des
aurores, sur un billet de banque que l'exposition de la cathédrale nous
aide à décrypter; tout est là: le dispositif expérimental sur le côté
gauche, le flocon pour évoquer la saison hivernale propice, et la draperie majestueuse, pendant en tenture,
de l'aurore, un peu cachée dans le fond, mais il faut bien rendre
difficile la tâche des faussaires... Agrandissez le modèle à côté pour
mieux voir.
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commenté dans l'exposition de la cathédrale d'Alta
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Le billet de 200 Couronnes Norvégiennes (source de l'image)
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Ce succès ne peut qu'appeler la confrontation de l'expérience
de laboratoire à la réalité des observations. Dès l'expédition de
reconnaissance de 1896-97, il a, sinon la preuve, du moins l'intime
conviction qu'il a vu juste:
"Lors
de notre première expédition nous fîmes une observation très
intéressante, celle d'un phénomène auroral rare, mais très
significatif, que je vais brèvement décrire. C'était particulièrement
intéressant pour moi dans la mesure où c'était ma toute première observation du phénomène. De plus, il
m'apparut immédiatement que ce que je voyais confirmait l'hypothèse que
j'avais émise en 1896 sur l'origine des aurores, à savoir que ces
lumières boréales sont dûes à des rayons cathodiques ou similaires,
émis par le soleil, guidés dans l'espace par les forces magnétiques
terrestres.
Il était six heures moins dix, le soir du 5 février, à quelques
kilomètres de Hammerfest, par temps dégagé et au clair de lune, quand
apparut un arc de lumière bien délimité, de l'est à l'ouest en passant
par le zénith. Dès le début, il était d'une luminosité intense, mais
assez étroit, juste au dessus de nos têtes. En dépit d'une lune très
brillante, l'aurore, qui bientôt passa par diverses phasees de
développement, avec des draperies et des gerbes de rayons,
demeura visible jusqu'à sept heures et demie, puis disparut.
Le lendemain à Hammerfest,
le temps était aussi dégagé, et à six heures cinq, le même arc fit son
apparition, quoique considérablement plus pâle . [...]"
K. Birkeland, The Norwegian Aurora Polaris Expedition 1902-1903
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Une Troisième Expédition Arctique
C'est
une campagne plus importante qu'il lance en 1902-1903 puisqu'elle ne se
cantonne plus à la Norvège: Groenland, Islande, Spitzberg seront aussi
concernés. Un ouvrage en trois volumes synthétise les résultats de
cette expédition et des précédentes.
Avant
de donner force graphiques, enregistrements et tableaux de valeurs
relevées, Birkeland décrit les conditions météorologiques et humaines
des trois expéditions. On y trouve pour chaque site une carte
d'état-major; celle qui nous intéresse mentionne Bossekop (non encore fusionnée avec Alten pour devenir Alta) et les deux emplacements des stations sur le mont Hallde.
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"
Au cours de l'automne et de l'hiver, 27 phénomènes auroraux, dont
certains très bien développés et d'une longue durée, ont pu être
observés et décrits. Il ressort que presque tous sans exception ont
fait leur apparition
dans l'après-midi et durant la soirée, disparaissant en général peu
après minuit. Ils se développent usuellement dans la partie nord du ciel, mais aussi, sans que ce soit vraiment rare, dans
la partie sud, particulièrement dans le cas d'une manifestation très
brillante. C'est ce que l'on a observé dans le cas des brillantes
aurores des 11, 24 et 31 Octobre, ainsi que du 24 Novembre,
extraordinairement belles et d'une grande durée, qiui ont coïncidé avec
quelques uns des plus grands orages magnétiques que nous ayions
observés durant cette période. L'aurore du 24
Novembre, en particulier, était d'une extrême beauté. Elle se
développa en une courone aurorale, qui se maintint quelques minutes,
puis se dissolut en un très grand nombre de banderoles d'un rouge
intensément brillant. Elles ondulèrent à travers les cieux pendant quelque temps, d'avant en arrière et d'arrière en avant, embrasant le ciel de rouge.
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Si l'on considère que le temps fut très nuageux en Octobre, il faut
admettre que nous avons été exceptionnellement chanceux de pouvoir
observer ces magnifiques phénomènes d'aurores. D'un autre côté, il
n'est pas improbable que la couverture nuageuse du 8 au 15 Février nous
ait privé de belles observations, car à ces dates, on pouvait
s'attendre à de brillantes aurores, compte tenu des conditions
magnétiques enregistrées.
On peut dire que dans l'ensemble, la météo ne nous fut pas défaborable."
K. Birkeland, The Norwegian Aurora Polaris Expedition 1902-1903
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Oui, à Alta, les cieux sont parfois favorables, parfois non, et le Mathouriste
peut en témoigner: le ciel gris (voir ses images de la cathédrale) se
dégage enfin lorsque nous quittons la ville et son fjord, à bord de
notre navire de croisière, en Mars 2024.
Voici quelques images prises à ces instants ... par d'autres que lui,
car, pour une fois (et mis à part les équipements de pro), les
téléphones haut de gamme se sont montré les plus efficaces pour de
belles captations d'amateur: au moins, voilà une justification de leur
prix!
Comme Birkeland,
nous avons cédé à la contemplation (c'est pour ce spectacle qu'on
entreprend le voyage, n'estce pas?), mais lui en vient rapidement à son
objectif: comprendre en profondeur les cause de ce phénomène... et pour
cela, il va nous présenter un de ses collaborateurs:
"
La coïncidence, découverte par Sabine & autres, entre les taches
solaires et les perturbations magnétiques, ainsi que les aurores, a été
révélée par l'observation et la compilation d'un grand nombre de cas
individuels [...]
Ce sera donc une tâche importante que d'entreprendre
de découvrir le processus qui, à certaines pérriodes, se manifeste au
voisinage des taches solaires, pour donner naissance aux aurores et aux
perturbations magnétiques, nous montrant ainsi que ces phénomènes
terrestres et solaires ne sont que les différentes phases d'un même
processus.
Pour résoudre ce problème, on est naturellement tenté d'emprunter l'un de deux chemins. Le plus rationnel [...] serait de partir du soleil, où le processus commence. C'est la route que j'ai choisie précédemment.
Partant de l'hypothèse que les tâches solaires sont une source
d'émission de rayons cathodiques, j'ai entrepris de suivre le processus
du soleil à la terre, et par analogie avec l'expérience ci-dessus mentionnée, voir comment certains rayons frappent la terre, et d'autres la contournent sous l'infkuence du magnétisme terrestre. C'est, de plus, le chemin qu'a pris mon ami, le Professeur Störmer, dans ses investigations mathématiques sur le chemin de ces rayons entre le soleil et la terre. Il a publié les résultats complets de ses recherches dans une partie spéciale de ce travail; [...]. Ici, pour la première fois, on trouvera un traitement détaillé du problème de l'aurore et des problèmes du même genre.
L'autre possibilité est de partir des conditions sur
terre, étudier une seule perturbation, rechercher les processus
terrestres susceptibles de les influencer directement et en remonter le
fil, si possible, jusqu'à un point où la cause ne puisse plus être
cherchée sur terre, mais dans l'arrivée d'une cause extérieure, et
c'est là que les deux approches font leur jonction.
C'est en suivant ces deux chemins, en employanrt les
deux méthodes, que nous avons pensé que résidait le meilleur moyen de
résoudre notre problème."
K. Birkeland, The Norwegian Aurora Polaris Expedition 1902-1903
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Et
c'est l'entrée en scène de Störmer! Mais avant de s'intéresser à son
travail (Souriez: enfin des mathématiques!), il est bon de mentionner
des prédécesseurs de Birkeland... pas vraiment tous norvégiens.
Entr'acte: quelques Prédécesseurs
La French Connection
Biot, à l'Hôtel de Ville
(Paris)
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Les aurores boréales
ont reçu leur nom en 1621... de l'astronome et mathématicien français
Pierre Gassendi (1592-1655), qui en avait obsservé une en Provence;
l'année précédente, Galilée mentionnait le phénomène dans sa
correspondance. Mais le premier signalement revient à Pline l'Ancien
(23-79), encyclopédiste auteur d'une monumentale Histoire Naturelle en 7 voloumes, qui paya de sa vie sa curiosité scientifique en voulant observer de plus près une éruption du Vésuve.
Comme quoi, il n'y a pas qu'aux latitudes polaires qu'on peut en observer! Mais il faut avoir beaucoup plus de chance...
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Gassendi, au Collège de France
(Paris)
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Observer
est une chose, expliquer en est une autre... Il faut attendre pas moins
de deux siècles après Gassendi pour que le physicien Jean-Baptiste Biot (1774-1862) apporte une première information importante en 1820: il ne s'agit pas d'un phénomène purement optique! Et ce parce que la lumière reçue n'a pas de polarisation; seulement, la découverte de la polarisation par Etienne Malus (1775-1812) ne datait que de 1809. L'observation avait été menée aux Shetland.
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L'avancée
de Biot est évidemment autant une question qu'une réponse. Et pourtant,
en cette même année 1820, le Danois (enfin un scandinave, dans
cette histoire très frenchie jusque là...) Hans Christian Ørsted met en
évidence le lien entre électricité et magnétisme: la déviation de
l'aiguille aimentée par un courant électrique proche, et Biot détermine
avec Savart la loi mathématique sous-jacente. Les véritables acteurs (électricité et magnétisme) sont
dans les loges, mais il manque encore un metteur en scène pour écrire
tout leur dialogue: Maxwell ne naîtra qu'en 1831, et ses célèbres
équations, en 1865. 30 ans plus tard, les premiers travaux de Birkeland
portent sur ces équations... et il enchaîne sur sa fameuse expérience.
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Bévelet, Aurore boréale à Alta, le 21 janvier 1839
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Il est grand temps de revenir à Alta! Mais, une dernière fois, avec...
encore des Français: en 1838, Louis-Philippe finance une expédition
arctique vers la Norvège, l'Islande et le Spitzberg. On sera moins
surpris si l'on sait que, banni en 1793 (après avoir participé
activement à la victoire de Valmy), il avait visité incognito la région
du Finnmark.
C'est une équipe à la fois internationale et interdisciplinaire qui embarque au Havre à bord de la corvette La Recherche,
sous la direction de Paul Gaimard, naturaliste et médecin de la Marine;
elle inclut de nombreux savants norvégiens, suédois et danois. Côté
français, le célèbre Auguste Bravais, connu pour sa classification des
réseaux cristallographiques, les fameux 14 réseaux de Bravais. Et un dessinateur talentueux, Louis
Bévelet, qui transcrit sur le papier le spectacle des aurores
boréales... notamment à Alta,
Mais, comme on le voit ci-dessous, grâce à une reproduction tirée d'un
mémoire de Störmer (1907) que nous présenterons plus loin, Bravais
n'est pas non plus mauvais en dessin! Il faut dire qu'il était
polytechnicien...
Louis-Philippe
a donc son "expédition d'Égypte", en quelque sorte, mais sans l'aspect
militaire. Et sans qu'elle atteigne à la même popularité, comme le fait remarquer un chercheur norvégien de notre époque:
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Bravais, Aurore boréale à Bossekop (Alta), le 6 janvier 1839
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"L'expédition de La Recherche semble méconnue dans son pays d'origine, la France, où aucun ouvrage ne lui est, à ma connaissance, consacré, en dépit de l'importance de ses résultats."
Einar-Arne Drivenes
(Université de Tromsö)
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Comme jadis pour l'Égypte,
une telle expédition ne se conçoit pas sans un rapport sérieux et
documenté, qui ne manque pas de traiter des observations (nombreuses
mentionnent Bossekop, c'est à dire Alta) et d'un état des connaissances
sur le sujet, historiquement bien documenté.
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Extraits:
"Déjà, en 1716, Halley avait présumé que l'aurore boréale était un phénomène magnétique:
l'électro-magnétisme n'étant pas encore connu, on repoussa cette
opinion, par le motif qu'on n'avait jamais vu d'action magnétique
produisant de la lumière.[...]
Les Suédois Celsius et Olof Hiorter à Upsal' ont découvert les premiers, en 1740, l'action de l'aurore boréale sur l'aiguille aimantée. Dans son Cosmos, M. de Humboldt fait la même mention; mais il oublie de citer, à tort ce me semble, le nom de Celsius.[...]
M.
Biot a publié un article fort intéressant sur l'aurore boréale dans le
Journal des Savants de 1810. Il cite les hypothèses de Halley et de
Mairan , Celsius et Hiorter, comme découvrant les relations de l'aurore
boréale et du magnétisme terrestre en 1740, et enfin l'explication
donnée par Euler. Euler attribue
l'aurore boréale à des particules d'air que l'impulsion des rayons
solaires enlèverait aux couches extrêmes de l'atmosphère, les
chassant à une distance assez grande pour que la sphéricité de la terre
ne s'oppose pas à ce qu'on les voie de points très distants du lieu du
phénomène. M. Biot fait remarquer qu'alors la terre devrait avoir une
sorte de queue de comète. [...]
M.
Biot, dans son travail sur les aurores boréales des Schetland, approuve
l'opinion de Dalton sur le parallélisme des rayons auroraux entre eux,
et suivant la direction de la résultante des actions magnétiques de la
terre au point où ils se forment dans l'espace. Il fait remarquer
que les mouvements auroraux n'ont
aucune relation avec la rotation de la terre, et que le phénomène est
simplement atmosphérique, et non cosmique."
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Des Norvégiens... et pas n'importe qui!
Il y a en Norvège deux explorateurs mythiques: Fridtjof Nansen (pour le pôle Nord) et Roaald Amundsen
(pour le pôle Sud). Le premier conduit son expédition arctique entre
1893 et 1896, faisant volontairement prendre par la banquise son
mythique bateau, le Fram, avant de poursuivre vers le pôle en traineaux à chiens. (Sa
forme inusuellement trappue résulte du génie de sa conception: la coque
est conçue pour que la glace la soulève, au lieu de la briser
inexorablement, lorsque l'eau se met à geler.)
Nansen na emmené qu'un équipage volontairement restreint: 12 hommes.
Malgré son ardent désir, Amundsen n'a pu en être... faute de
l'autorisation maternelle! Mais dans ce tout petit effectif, il choisit
un jeune lieutenant de marine, Sigurd Scott Hansen, qui sera chargé des
observations météorologiques et magnétiques. Et l'on continue à faire
de beaux dessins des aurores...
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buste de Fridtjof Nansen
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maquette du Fram
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aurore boréale, par Nansen...
gravure sur bois
| ... source de l'inspiration
pour le décor de la cathédrale d'Alta?
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( tous deux au musée polaire de Tromsö )
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Störmer
Au service du calcul de π, à ses débuts
Le pilier de la cathédrale de Leiden (Pays-Bas),
avec les 32 décimales calculées en 1596 par
Lüdolph Van Ceulen, enterré à son pied.
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Avant
de se consacrer -presque exclusivement- au calcul numérique des
trajectoires de particules, Störmer s'est illustré comme pourvoyeur de
formules commodes pour la course aux
records du nombre de décimales de π... de façon durable, comme on va le voir ci-dessous. Des formules "de type de Machin" (expressions de π à l'aide de sommes de termes Arctan (1/x)
Jointes au classique développement en série de Arctan, elles permettent en effet "d'aller assez loin", d'autant que plus x
est grand, plus la série de converge rapidement, et d'autant moins de
termes sont nécessaires: le temps de calcul en sera amélioré.
Dans l'article ci-contre, il montre qu'il n'y a que 4 formules à 2
termes, dont la célébrissime de John Machin (1680-1751), découverte et
utilisée par lui en 1706, pour passer le premier la barrre des 100
décimales.
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Ce qui est remarquable, c'est que pour fournir des armes à l'analyse numérique (des mathématiques appliquées), il va ramener le problème à des équations diophantiennes du type Pell-Fermat (de l'arithmétique) et se servir des entiers de Gauss, nombres complexes de Z[i] (de l'algèbre): elle n'est pas belle, même si parfois inattendue, l'unité des mathématiques?
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Il développe aussi des formules avec un plus grand nombre de termes: on peut en construire facilement à p termes, mais pour chaque p il n'y en a qu'un nombre fini. Voici deux formules importantes de
son crû, puisqu'elles ont contribué à battre des records pour le
passage de bornes symboliques, précédées du rappel de la "mère de
toutes les formules" de ce genre.
Machin |
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Störmer 1
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Störmer 2
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Le tableau qui suit montre les principales milestones du calcul sur ordinateur (avec, pour mémoire, le tout premier, sans qui la barre des 1000 n'aurait pas été franchie.)
Nombre de décimales
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Année
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Formule
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Détenteur |
Ordinateur
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2000
|
1950
|
Machin |
J. Von Neumann
|
ENIAC
|
10 000
|
1961 |
Gauss |
D. Shanks |
IBM 7090
|
100 000
|
1962 |
Störmer 1 |
D. Shanks |
IBM 7090 |
1 000 000
|
1974 |
Störmer 1 |
J. Guilloud, M. Bouyer |
CDC 6600
|
1 241 100 000 000
|
2002 |
Störmer 2 |
Y. Kanada |
Hitachi SR8000 |
Insistons
encore un peu sur la merveilleuse unité des mathématiques: les deux
derniers records n'auraient pu être obtenus sans l'apport décisif, pour
le temps de calcul, de la Transformation de Fourier rapide, la fameuse FFT, à découvrir dans nos pages, bien sûr!
Depuis,
d'autres méthodes se sont imposées, atteignant des dizaines de
milliards de décimales; mais c'est une tout autre histoire...
Au service du calcul des trajectoires de particules électriques... le reste de sa vie!
Dans
son ouvrage récapitulatif déjà plusieurs fois cité, Birkeland n'hésite
pas à s'effacer devant Störmer afin de montrer combien ses calculs
valident sa théorie physique et ses expériences. Et
les modèles tridimensionnels construits par Störmer pour visualiser les
résultats des calculs vont enfin expliquer pourquoi les aurores ,
provoquées par l'impact de rayons venus du Soleil, sont surtout
visibles... dans la face nocturne de la Terre, à l'opposé du Soleil!
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"
Tous ces phénomènes lumineux remarquables peuvent sans aucun doute
recevoir une explication théorique grâce à mes investigations
mathématiques sur les trajectoires des corpuscules électriquement
chargés dans le champ magnétique d'un aimant élémentaire. [..]
À ce stade, je mentionnerai seulement que les taches de lumière autour
des pôles, obtenues avec un champ magnétique suffisamment important,
sont probablement dues à des corpuscules émis par la cathode et
décrivant des chemins à la proximité immédiate de ceux qui, en théorie,
viendraient frapper l'aimant élémentaire au centre de la terrella, et
dont le champ, à de grandes distances, représente le champ magnétique
créé par la terrella.
Comme j'ai
précédemment calculé une série des plus simples de tels chemins, tout
ce qui est nécessaire pour retrouver les zones d'impact sur la
terrella est d'employer ces calculs. [Les] figures montrent un modèle en fil de fer construit pour illustrer le cas qui se présente dans les expériences [...]"
C. Störmer cité par K. Birkeland, The Norwegian Aurora Polaris Expedition 1902-1903
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"Il était fort difficile d'expliquer par les théories anciennes le fait que les aurores peuvent apparaître dans la nuit; ce fait est une conséquence immédiate de notre théorie. En effet nous avons vu comment les corpuscules venant du soleil peuvent faire des circuits plus ou moins complets autour de la terre et arriver à l'atmosphère en des endroits restant dans la nuit (voir par exemple le modèle ) [...]"
C. STörmer, Sur
les Trajectoires des Corpuscules électrisés dans l’Espace sous l’Action
du Magnétisme terrestre.... (1907)
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Dans un long mémoire en 3 épisodes, présenté à l'Académie des Sciences Physiques et Naturelles de Genève en 1907 en ligne sur Gallica BnF,
voir pp 5, 113, 317) Störmer forme les équations différentielles du
mouvement des particules. Rien d'original dans cette mise en équations
préalable, si ce n'est qu'il faut faire le boulot! Le cousin de
Kristian Birkeland, Richard, lui aussi mathématicien, résume assez bien
l'essentiel dans un article de 1912 à la même institution.
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Le feuilleton de Störmer, 1907
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Le texte de R. Birkeland (extrait)
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Tout
ce qui nous intéressera ici (pour ne pas se perdre en détails
calculatoires), et mis à part l'articulation avec les travaux de
Birkeland -cela va sans dire, c'est que Störmer se retrouve face à un
système différentiel de la forme (en changeant les notations)
x"(t) = F ( x , y )
y"(t) = G ( x , y )
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Faut-il le rappeler? On ne sait faire un calcul explicite des solutions (par une formule x = ... , y =. .. ) que dans très peu de cas.
Contrairement à ce que l'on croit couramment, peut-être parce que, de
l'école primaire au lycée, on apprend des formules de résolution, un
mathématicien n'est pas un distributeur automatique de formules! En
revanche, c'est quelqu'un qui peut construire et justifier des
algorithmes d'approximation, et évaluer leur précision. Et c'est
exactement cc que va faire Störmer ici, et il l'annonce luimême clairement.
"Comme
je l'ai déjà fait remarquer dans mon mémoire de 1904, il n'est
nullement indispensable pour les applications physiques d'intégrer
complètement les équations différentielles. En effet, il existe déjà des méthodes puissantes à l'aide desquelles on peut calculer numériquement une courbe intégrale quelconque avec autant d'approximation qu'on veut, seulement il faut avoir assez de temps et de patience, car les calculs sont d'une extrême longueur.
Ce sont les méthodes d'intégration numérique, méthodes souvent
employées en astronomie [...] et qui devraient être employées par les
physiciens mathématiques beaucoup plus qu' elles le lont été jusqu'ici.
Pendant plus de trois ans, j'ai entrepris de tels calculs, aidé par une série d'étudiants en mathématiques."
Störmer 1907
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Le
principe d'une intégration numérique est donc acquis, mais, insatisfait
pour son problème des méthodes alors existantes, Störmer ien
introduit une méthode originale. Une démarche courante en Analyse
Numérique: il n'y a (hélas) pas d'outil universel, sans quoi on
n'écrirait pas de volumineux traités d'Analyse Numérique; il y a un
compendium de méthodes plus ou moins adaptées à tel ou tel problème.
Osons, au risque de la polémique, faire un parallèle avec
l'Intelligence Artificielle: il y a d'excellentes techniques qui en
relèvent pour traiter certains problèmes spécifiques, mais de là
à construire une I.A. généraliste, n'en déplaise à tous ceux qui
s'enflamment en se prosternant devant ChatGPT...
Revenons plutôt à Störmer. Les encadrés ocres s'adresseront plutôt à
des lycéens ou étudiants, mais tout le monde peut aller voir le dernier
(#3), et découvrir comment un problème très compliqué, dont le seul
énoncé n'est pas accesible à tous (les deux pages de R. Birkeland
ci-dessus) est transformé en une suite d'opérations arithmétiques très
simples, faisable par n'importe qui... mais avec bien moins de fatigue
par un ordinateur, qui ne sait faire... que calculer, mais calculer
vite et sans erreur, ce qui n'est pas une veru humaine.
Oui, c'est vraiment à cela que servent les mathématiques!
Introduction à la méthode de Störmer (un peu de maths, pour amateurs seulement!)
dédut de l'article où il présente
sa nouvelle méthode (1907)
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La méthode habituelle, pour une équation un peu plus simple, par exemple
x'(t) = f ( x , t )
consiste à "suivre" la tangente en un point déjà calculé sur un petit pas de temps fixe, Δt,
Δt = tn+1 - tn
soit remplacer la véritable valeur x(tn+1) au temps tn+1 par l'approximation
xn+1 = xn + Δt f ( xn , tn)
où la valeur de x'(tn) a été calculé grâce à l'équation différentielle.
("Quand on a une équation différentielle, on s'en sert!", un des proverbes préférés de l'auteur pour ses étudiants...)
Ce qu'on peut d'ailleurs écrire avec la notation des différences finies
xn+1 - xn = Δxn = Δt f ( xn , tn)
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Cette méthode très simple est dûe à Euler; elle admet de nombreux perfectionnements, consistant pour l'essentiel à redécouper ce pas de temps Δt en
pour faire des estimations intermédiaires qui corrigent plus finement
la trajectoire approochée; dont la plus populaire est la méthode de Runge-Kutta, à laquelle fait allusion Störmer, visiblement pas satisfait du résultat pour son problème.
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L'innovation de Störmer est de calculer la nouvelle position xn+1 en utilisant plusieurs positions antérieures xn , xn-1 , xn-2 , ... : nous
avons mis en rouge les deux innovations, bien distinctes, par rapport à
la méthode classique qui ne fait qu'un pas vers l'avant (même si on le
resubdivise): on parle pour cette raison de méthode multipas.
Il va par ailleurs faire un usage intensif du calcul des différences finies. Pourquoi? Parce que cette intégration "compliquée" va se ramener ainsi à une suite d'additions et soustractions organisées en tableaux,
qu'un opérateur expérimenté en calcul élémentaire (niveau: école
primaire) peut effectuer mécaniquement, sans qu'il ait besoin de
comprendre ce qu'il fait... les mathématiques organisatrices de ce
travail auront été faites en amont, par Störmer.
Car le volume s'annonce énorme! Revoyez les modèles en fil présentés
ci-dessus: chaque trajectoire est déterminée par quelques centaiens de
points calculés, et, comme on peut le voir, il y a beaucoup de
trajectoires calculées! Or, pour chaque points, le calcul va être
nettement plus volumineux.
Cette méthode des différences, nous vous l'avons déjà présentée dans la
page consacrée à celui qui s'est dit que ces calculs pouvaient aussi
bien être effectués par une machine: Charles Babbage, qui avant de concevoir l'ordinateur moderne, a fait les plans de deux machines à différences.
(Une visite préalable de cette page peut vous être utile!). Mais comme
il n'a pas réussi à les faire construire... Störmer ne dispose d'aucune
machine, et tous ces calculs seront faits à la main!
Revenons au principe de la méthode; l'encadré ocre signale toujours un passage un peu plus matheux!.
Introduction à la méthode de Störmer (#2)
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Revenons à
x"(t) = F ( x , y )
On suppose les xk et les yk des pas précédents calculés jusqu'au rang n, et il s'agit d'obtenir les valeurs approchées xn+1, yn+1. L'idée est de remplacer le second membre F ( x(t), y(t) ) par une expression la plus proche possible, à défaut d'être exacte. Une idée intéressante est d'employer le polynôme d'interpolation qui prend aux tk antérieurs les valeurs fk = F ( xk , yk ). Inutile
d'en prendre trop, cela pourrait provoquer des oscillations exagérées
de ce polynôme; comme ordre de grandeur on peut dire: 4 points, par
exemple.
Ce polynôme se calcule à l'aide des différences finies Δfk , si l'on s'y prend bien (base de Newton, algorithme des différences divisées): on dispose donc, avec les points précédents, de tout ce qui est nécessaire.
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Ceci va permettre dans un premier temps de calculer par l'équation différentielle, une valeur approrchée de
ξn+1
= x"(tn+1).[Δt]2
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Reste à en tirer xn+1 En
intégrant deux fois le polynôme interpolateur et en appliquant
plusieurs fois la formule de Taylor, Störmer parvient à la
formule: .
sans en donner les détails dans cet article (il l'a fait dans un précédent) : c'est sans difficulté, mais un peu fastidieux!
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Rappelons que par définition de l'itération,
Δ2xn-1= Δ.[Δxn-1] = Δxn- Δxn-1 = [xn+1 - xn] - [xn - xn-1]= xn+1 -2 xn+ xn-1
et ainsi de suite. Donc connaissant Δ2xn-1 par (4) et les deux points précédents: xn-1, xn on accèdera à xn+1 .Ouf! Et bien sûr, le même travail nous attendra pour le calcul de y n+1.
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Il
n'y a plus qu'à voir comment cela s'agence en pratique. Et là, Störmer
se montre excellent pédagogue, en faisant dans son article fonctionner l'algorithme sur un cas où la résolution explicite est possible
(ce qui permettra de contrôler) et où il indique la progression de ses
calculs dans les tableaux; tout au plus y ajouterons nous (en décomposant un peu plus le procédé) quelques
flèches de couleur!
La méthode de Störmer par l'exemple, selon son auteur: (#3)
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On
peut résoudre explicitement, soit par diagonalisation de la matrice du
système, si l'on a étudié cette technique, soit encore plus
élémentairement en tirant y de la première et en reportant dans la
seconde: on obtient une équation du 4ème ordre à coefficients constants
à l'inconnue x, que l'on résout par la technique habituelle... On peut même chercher des solutions de la forme
x = eat ; y = ebt
parce que l'on sait que les solutions sont de cette forme, à quelques variantes près.
Störmer nous propose de suivre "en direct" l'évolution des tableaux de valeur, un pour x et son "associée" ξ -car l'une ne peut progresser sans l'autre! Un tableau similaire pour y et son "associée" avance simultanément (à chaque pas, on a besoin des valeurs précédentes de x et de y ), nous ne le montrons pas pour alléger.
Partons de la situation dans le tableau ci-contre.
On peut remarquer l'usage suggestif qui place la différence de deux
termes à une hauteur intermédiaire entre les deux termes dont on fait
la différence; ainsi, pas d'ambiguïté!
Nous allons ralentir le tempo pour suivre le déroulement pas à pas.
Störmer, après avoir décrit la méthode, va directement au tableau
résultant.
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Prêts? Alors, commençons! L'objextif est le calcul de x au temps = 0.2
Premier temps du calcul, on va faire évoluer la partie droite du tableau. Par l'équation différentielle (On s'en sert, avons nous dit), on accède à la valeur de ξ :
On dispose alors de deux valeurs de qui débloquent le calcul d'une
nouvelle différence, que l'on peut poser dans le tableau; c'est un peu
comme si... on faisait une réussite! Mais les valeurs numériques
remplacent les cartes à jouer. Une fois calculée cette valeur (une
simple soustraction, vous le constaterez aisément), nous voilà avec une
nouvelle valeur dans la colonne de Δξ , ce qui va permettre une nouvelle soustraction pour poser une nouvelle valeur dans la colonne Δ2ξ, etc... Autrement dit, on complète cette partie droite en remontant une diagonale.
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état de départ du tableau
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état après calcul de ξ par l'équation différentielle |
lise en route de l'algorithme des différences |
état du tableau après remontée de la diagonale
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Deuxième étape: on va maintenant compléter la partie gauche du tableau. C'est le moment de faire intervenir la fameuse formule (4) qui va nous donner un nouveau Δ2x.
Δ2x= 709960 + 1/12 [ 1806 + 311 + 57 - 1/20 . 57 ] = 71141
Une fois posé dans la table... cela débloque la "réussite" dans ce tableau! On peut en effet exploiter à l'envers la formule de différence:
Δ2xn-1= Δxn - Δxn-1 s'écrit aussi bien Δxn = Δ2xn-1+ Δxn-1
offrant ainsi la possibilité d'écrire un terme nouveau dans la colonne Δx. On peut renouveler l'opération pour écrire -enfin!- une valeur approchée de pour t = 0.2. Cette fois, on a complété cette partie gauche en decendant une diagonale.
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tableau au départ de la seconde étape:
on a encerclé les termes qui vont servir au calcul de Δ2x
| tableau complété par le calcul de Δ2x
| démarrage du calcul de proche en proche
| état du tableau après descente de la diagonale |
Outre
que cet exemple simple et concret a permis un exposé clair de la
méthode, il a l'énorme avantage d'offrir un contrôle sur la pertinence
de la méthode. Störmer sait que sa formule approchée (4) produit une erreur systématique en (Δt)7, c'est à dire qu'elle peut se majorer par un C. (Δt)7, Si Δt = 0.1 (un dixième), l'erreur est dans les dix millionièmes.... à condition que C
ne soit pas monstrueuse, et il n'est pas possible de l'évaluer
exactement! Aussi tester sur quelques cas connus avac un bon
comportement augmentera le degré de confiance, sans fournir pour autant
une preuve absolue. Un exemple satisfaisant ne prouve rien, et pas davantage 2 ou 3... Ou plutôt si: en cas de résultat désastreux sur l'exemple, on aurait pu jeter le procédé tout de suite!
Il
faut être conscient qu'il n'y a pas d'autre manière de faire en
mathématiques appliquées... Soit on se drappe dans sa vertu brodée de
rigueur, soit on avance en prenant des risques bien contrôlés,
attentifs au moindre signe alarmant dans le déroulement des calculs ,
ainsi quà la confrontation au réel. Faute de quoi, on ne poura plus
faire de physique, construire des avions et encore moins lancer des
vols interplanétaires. Störmer s'est comporté là en scientifique exemplaire.
N.B.: pour démarrer
le tableau, il faut bien sûr quelques premières valeurs. Elles sont
calculées par une méthode classique, probablement de Runge-Kutta.
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ci-contre, le bilan de l'expérimentation: les calculs approchés sont confrontés à la solution exacte, enfin dévoilée!
en vert, la confrontation au temps le plus lointain avec un pas 0.05 :
le comportement est excellent. (Les erreurs ont tendance, hélas, à
s'accumuler; aussi un coup d'oeil sur le dernier dit presque tout)
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C. STÖRMER, Méthode d'Intégration Numérique des Équations Différentielles Ordinaires, 1920
(disponible en ligne, voir § Références)
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Observez bien -encore une fois!- que vous pouvez mener tous les calculs de l'étape #3 sans autre connaissance que celles de l'école primaire et des 4 opérations! Störmer n'a d'ailleurs rien inventé dans ce domaine: les astronomes (vous savez, ceux qui doivent effectuer des calculs astronomiques... aviez vous déjà réfléchi à l'origine de l'expression?) l'employaient depuis longtemps. Par exemple Le Verrier, à l'observatoire de Paris, dirigeant une armée de calculateurs, ou souvent de calculatrices,
d'ailleurs: les femmes étaient réputées plus soigneuses, donc plus
fiables, et elles étaient payées... plutôt mal, à la tâche!
(L'exploitation des travailleuses n'est pas une invention récente, pour
ceux qui en douteraient...). Gaspard de Prony avait fait de même pour
ses tables de logarithmes, et c'est justement l'idée que ces calculs
répétitifs pouvaient être automatisés qui avait inspiré à Charles Babbage de construire des machines à différences, puis un ordinateur au sens moderne, vers 1850.
Störmer a donné des précisions sur l'ampleur du travail manuel dans diverses interventions:
"Quand on est suffisemment exercé, on calcule environ trois points par heure."
"En moyenne, nous avons calculé 95 points pour chaque courbe, ce qui correspond à un travail de 700 heures"
"En tout nous avons calculé plus de 120 trajectoires différentes, travail immense qui a nécessité plus de 4500 heures"
"Pendant plus de trois ans, j'ai entrepris de tels calculs, aidé par une série d'étudiants en mathématiques."
Störmer, 1907
"Les calculs originaux, comprenant environt 3.000 pages in-folio avec 358 grandes planches, el encore 3.800 pages de développements mathématiques correspondants, appartiennent maintenant à la collection de manuscrits de la Bibliothèque de l'Université, Christiania." [Note de l'article]"
Störmer in Compte rendu du Congrès international des mathématiciens, Strasbourg, 22 au 30 Septembre 1920.
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Références
Didactiques, sur les Aurores Polaires (Généralités)
Biographiques
Historiques
Scientifiques (Articles Originaux)
Mathématiques (Analyse Numérique)
N.B.
: L'article de Dominique Tournès, accessible en ligne, est la meilleure
introduction à la méthode de Störmer proprement dite. Les ouvrages
traitent plus généralement des méthodes multipas, souvent sous le nom
d'Adams, qui fut sans doute le premier à en concevoir une. ]stoir