Le 11 Mars 1811, naissait
à Saint-Lô (Manche) celui qui devait rester
célèbre comme le découvreur de
Neptune (en 1845), au point de devenir une "vedette" de l'imagerie
populaire, comme on le voit ci-contre. Ce qui avait frappé alors, à juste titre, autant l'opinion publique que le monde savant, c'était une découverte faite dans un cabinet, par le calcul, et non par l'observation au télescope: c'est exactement la mise en scène de cette image, avec le tableau noir, les feuilles de calcul, la bibliothèque remplie de livres. Mais n'est-ce que cela, Urbain-Joseph Le Verrier? Tâchons ici d'en savoir un peu plus sur le personnage et son œuvre. |
"Quoi que
puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien
d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes
gens, et
qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il
réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il
instruit
les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui
à
devenir honnête homme." Molière, Don Juan,
acte
I, scène 1
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Il ne faut pas
croire que les polytechniciens soient aptes à rendre
beaucoup de
services aux manufactures lorsqu’ils sortent de
l’école. Dans ce
dernier établissement, ils ont surtout appris à
apprendre,
ils ont
acquis un instrument de travail général qui a
besoin
d’être développé
et spécialisé. De même qu’il
faut passer deux
années à l’École des Ponts
et
Chaussées avant de pouvoir construire un pont, il faut,
avant
d’être admis au grade
d’ingénieur aux tabacs,
rester pendant deux
années à l’École
d’application ou,
comme on dit, au laboratoire. Il
suffira de rappeler que Gay-Lussac a dirigé ce laboratoire
pour
faire
comprendre à quels hommes élevés dans
la
hiérarchie des sciences on le
confie généralement. L’École
d’application pour les tabacs est fort
modestement installée dans le bâtiment qui jadis
contenait
la pompe à
feu du Gros-Caillou. Les dépenses qu’elle exige
sont peu
considérables,
et ne sont guère en rapport avec les 180 millions que les
tabacs
rapportent annuellement. Le matériel et le personnel
grèvent notre
budget d’une somme de 17,200 francs. Une partie de
l’installation
néanmoins paraît suffisante ; le laboratoire,
où
tous les fourneaux
sont alimentés par le gaz, est très grand,
outillé
d’une façon
convenable, et a vu distiller plus de poisons que les Exili et les
Borgia n’en rêvèrent jamais. Dans toute école, il faut un amphithéâtre. Celui de la manufacture du Gros-Caillou est un objet de curiosité. Jamais école primaire d’un hameau perdu dans les Cévennes ou sur les landes de la Basse-Bretagne n’eut mine plus pauvre et plus piteuse. La chaire du professeur est figurée par un fourneau derrière lequel il s’installe sur une chaise de paille ; les élèves se juchent comme ils peuvent sur deux ou trois planches qui représentent les gradins, et où les bocaux, les ballons, les bassines, les thermomètres, leur disputent la place. C’est là qu’on fait aux élèves les cours techniques de chimie, de physique et de comptabilité administrative qui donnent lieu chaque année à des examens sévères." Maxime Du Camp, Les Manufactures de Tabac : les établissemens du Gros-Caillou et de Reuilly Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 76 (1868). |
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Premier article de Le Verrier (1835): de la chimie! |
"L'héritage
de Laplace était libre; il en prit hardiment possession Il mit
en évidence les conditions de stabilité
générale du système solaire [...], et chacun comprit, à ce début large et même hautain [...] qu'un grand astronome venait de se révèler. L'Académie s'empressa d'adopter M. Le Verrier. Presqu'aussitôt, il donna au monde la démonstration du pouvoir de la Science. La dernière planète, Uranus, éprouvait dans sa marche des irrégularité que la théorie n'avait point prévue et qu'elle ne parvenait point à expliquer. Le système conçu par Newton, jusque là victorieux de toutes les objections, allaitil se montrer impuissant et en défaut, aux dernières limites de notre système solaire? M. Le Verrier ne le pensa point. [...] Par une analyse admirable et convaincue, il découvrit dans lespace une planète inconnue; il la pesa, comme s'il l'eût tenue dans ses mains; il marqua dans les cieux" sa route et la position qu'elle devait occuper le 1er janvier 1847, comme s'il eût lui-même dirigé le char." J.-B. Dumas, Vice-Président du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique, Discours aux Funérailles
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"La
Commission [est] unanimement d'avis qu'un directeur permanent doit
être placé à la tête
de l'Observatoire de Paris.[...] La Commission pense que le Directeur de l'Observatoire de Paris doit, comme ceux des autres grands établissements, tenir directement son pouvoir du Chef de l'État. Elle estime qu'il doit être nommé par l'Empereur, sur la proposition du ministre de l'Instruction Publique et en dehors de toute présentation. L'autorité d'un directeur, ainsi nommé, doit être pleine et entière. Son action ne doit point être gênée par l'intervention d'un corps délibérant. Le Directeur préside donc seul aux travaux de l'Observatoire. Il conduit les observations d'après un plan que lui-même a tracé et qui, revêtu de l'approbation ministérielle, est obligatoire pour tous les collaborateurs. Il règle le service des astronomes, des adjoints et des élèves placés sous ses ordres. Il a à sa disposition le matériel de l'Observatoire . Mais toute cette autorité qu'à condition qu'elle tournera à l'avantage de la science. " Extrait du Rapport (20 Janvier
1854)
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"Malgré
d'éminentes qualités, Le Verrier,
d'après le bruit commun, inspirait de
grandes préventions, et l'opinion
générale lui reprochait un caractère
difficile, dont ses collaborateurs se plaignaient; agressif avec les
uns, tyrannique avec les autres, il les tenait en défiance
et en
hostilité. Vigilant d'ailleurs, et attentif aux
détails, singulièrement
habile à tout régenter, il avait fait de l'Observatoire une
excellente école, réputée insupportable.
On s'y élevait contre lui avec
emportement, et au delà de toute vraisemblance. On
amplifiait sans
doute, et sans vouloir trahir la vérité, les
passions courroucées lui
prêtaient de trop vives couleurs. Le maréchal
Vaillant, ami de
l'autorité, mais d'humeur conciliante, avait dit et
aimait à redire: « L'Observatoire est impossible sans Le Verrier, et avec lui plus impossible encore. » " Joseph Bertrand, Notice Historique sur la Vie et
les Travaux de Félix Tisserand (Acad. Sc., 18 Décembre 1889)
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"Je n'ai pas
encore dit que M.
Le Verrier avait le caractère le plus
épouvantable qui se
puisse imaginer. Hautain, dédaigneux, intraitable, cet
autocrate
considérait tous les fonctionnaires de l'Observatoire comme
des
esclaves. Il était très détesté. Le jour de son arrivée à l'Observatoire de Paris, le 5 février 1854, nommé par décret de l'empereur à la succession d'Arago, tous les anciens fonctionnaires s'enfuirent, sans exception. Il ne resta personne! [...] Le nouveau personnel fut plutôt une tribu de nomades. Dès la première année, sur les deux astronomes principaux, [...] l'un se suicida, l'autre devint fou. Personne ne pouvait travailler tranquillement. C'est à qui abandonnerait la place. [...]Pendant le règne de Le Verrier (1854-1870), cent quatre fonctionnaires sont passés par l'Observatoire, sans pouvoir s'y maintenir. J'y suis resté quatre ans, et je suis l'un de ceux qui y sont demeurés le plus longtemps. [...] Ce caractère entier et intraitable du brutal directeur n'enlève rien à son génie de mathématicien; mais il a exercé la plus funeste influence dans l'administration de l'Observatoire de Paris. [...] Jaloux de toute indépendance et de toute initiative personnelle, il était accoutumé à régner seul et à tout écraser. Camille
Flammarion, Mémoires
Biographiques et Philosophiques d'un Astronome (Flammarion, 1911)
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[ Le portrait ci-contre, le seul fait du vivant de Le Verrier (Ch. Daverdoingt, 1846) -donc avant son entrée à l'observatoire, reflète assez bien l'allure déterminée, ambiteuse, voire la morgue du peronnage. ] | |
" Sire, depuis quatre ans je
n'ose pas regarder dans l'Observatoire. Il n'est plus possible de
s'abstenir. L'Empereur en sera convaincu s'il veut bien
jeter les yeux sur le
dossier ci-joint. Votre Majesté y verra que onze astronomes ou astronomes-adjoints sont
à peu près hors de service, que tous les fonctionnaires qui se
trouvaient en 1854 à l'Observatoire
ont été renvoyés, sauf un
seul, qui est
resté sans emploi que, sur
soixante-huit calculateurs successivement
appelés par Le Verrier, quarante-huit se sont retirés.
Les gens de service
eux-mêmes n'y tiennent pas; trente-trois sont partis.
Les traitements sont arbitrairement suspendus, diminués,
supprimés. La science souffre de ces changementsde
personnel et de l'irritation qu'ils causent ", Victor Duruy, Ministre de
l'Instruction Publique à Napoléon III, 1867
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" 1867. Depuis quatorze ans, cet
orgueilleux savant s'est placé
au-dessus du ministre de l'Instruction publique, au dessus du
souverain, au-dessus de la loi; depuis quatorze ans il règne
en
autocrate, supprimant à sa fantaisie les
traitements de ses
administrés, s'opposant systématiquement
à toute
recherche personnelle, couvrant tout de son orgueil et de sa
personnalité, jetant sur le pavé de la
misère des
astronomes qu'il avait d'abord fait venir de l'étranger avec
mille promesses, détruisant des observatoires
élevés à grands frais par des
particuliers,
suspendant de sa plein, autorité la plus importante
opération géodésique du
siècle,
contre-carrant les résolutions du ministère de la
Marine,
et n'acceptant, sous sa haute protection, que des âmes qui
consentent à une continuelle abnégation. La commission nommée par le ministre s'est déjà réunie quatre fois dans les bureaux du ministère de l'Instruction publique. Elle entend actuellement les dépositions des victimes et des témoins. Nous donnerons des nouvelles de la position de l'accusé aussitôt que la marche de l'affaire aura dénoué la discrétion que nous devons garder aujourd'hui. Il va sans dire que l'accusé s'est révolté et n'admet même pas la légalité de l'enquête. " Camille Flammarion, dans le
journal Le
Siècle, 1867
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Le journal dans lequel écrit Flammarion (la date est celle de la première réunion de la commission) Source: Gallica BnF |
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" La commission dont nous avons
parlé ne servit à rien, M. Le
Verrier continuant d'agir sans la consulter et dédaignant
d'assister aux séances. La situation ne fit qu'empirer en 1868 et 1869. Enfin, en janvier 1870, tous les
chefs de services, astronomes et astronomes adjoints réunis,
MM. Yvon Villarceau, Marié-Davy, Wolf, Loewy, André,
Folain, Fron, Leveau, Périgaud, Lévy, Rayet, Sonrel,
Tisserand, tous
rédigèrent un Rapport officiel
adressé au ministre de l'Instruction publique, exposant
en 18 pages grand format d'impression in-8°, que j'ai en ce
moment sous les yeux, les griefs
innombrables relevés depuis quinze ans contre
l'administration du funeste directeur et déclarant qu'elle est absolument
intolérable. Ce Rapport, signé par
tous les fonctionnaires de l'Observatoire, est
significatif. Et il ne dit pas tout des cruautés
exercées par M. Le Verrier. "
Camille
Flammarion, Mémoires
Biographiques et Philosophiques d'un Astronome (Flammarion, 1911)
|
" On n'a
pas oublié l'ouragan, qui, le 14 novembre 1854, causa
de nombreux sinistres dans la mer Noire [...] Le même jour,
ou
à un jour d' intervalle suivant les localités,
des coups
de vent éclataient dans l'ouest de l'Europe, sur l'Autriche
et
sur l'Algérie. [...]
J'adressai une circulaie aux astronomes et aux
météorologistes de tous les pays, les priant de
me
transmettre les renseignements qu'ils
auraient pu recueillir sur l'état de
l'atmosphère
pendant les journées des 12,13,14,15 et 16 novembre 1854. [...] En
réponse, l'Observatoire
a reçu plus de deux cent cinquante documents. [...] On se demande enfin, en voyant cette transmission régulière de la tempête de novembre, si la présence d'un télégraphe électrique, entre Vienne et la Crimée, n'eût pas pu servir à prévenir nos armées et nos flottes. En apprenant, à Vienne, que la tempête avait sévi à telle heure sur les côtes de France,à telle heure à Paris, à telle heure à Munich, et toujours en augmentant d'intensité, ne pouvait-on prévoir qu'elle allait atteindre la mer Noire? Nous ne nous dissimulons pas qu'on rencontrera de grandes difficultés pratiques pour arriver à des résultats de cette importance; mais on pourra sans doute parvenir à les lever." U. Le Verrier, Communication à
l'Académie des Sciences (31/12/1855)
|
"
En présence de phénomènes aussi
étendus, et
devant la généralité desquels
disparaissent les
petites actions locales, on peut sans doute espérer qu'il sera
possible de soumettre à l'analyse les
principales circonstances de la transmission, et je vois avec plaisir
M. Cauchy faire un geste d'assentiment. Mais, avant d'attaquer
mathématiquement cette étude,
il faut d'abord bien connaître les conditions du
phénomène, et pour cela, multipliser encore les
observations déjà nombreuses." U. Le Verrier, Communication à
l'Académie des Sciences (31/12/1855)
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[ci-contre, un Cray-2, au Musée des Arts & Métiers (Paris), le premier super-calculateur dont ait disposé la Météorologie Nationale à partir de 1992. La météo est régie par les équations aux dérivées partielles des fluides en mouvement, dont on ne connait pas les solutions exactes -c'est l'un des Problèmes du Millénaire, un "problème à un million de dollars" que de les obtenir. Le calcul approché, le seul possible actuellement, nécessite beaucoup de données (maillage de l'espace) et des moyens de calcul très au dessus de la normale; ainsi Le Verrier avait vu juste: ses prophéties sont confirmées!] |
Tombeau de Le Verrier au cimetière Montparnasse (Paris) |
Catalogue de l'exposition | médaille (École Polytechnique) | Programme de la cérémonie |
À Saint-Lô le 22 septembre, à Paris le 23, puis à Bruxelles, le Directeur de l'Observatoire, André Danjon, a pour l'occasion donné une conférence sur la découverte de Neptune. Le texte de celle de Bruxelles a été conservé (il est différent de celui de Paris) et vous le trouverez ici: merci à la revue belge Ciel & Terre , qui l'a imprimée (n°62, 1946)... et à la NASA, qui nous l'offre en ligne! |