Pour trois des quatre grands motifs
présents (ceux qui sont inscrits dans un cercle), les
transformations laissant invariante la figure sont les mêmes que
pour un carré:
- les quatre rotations ayant pour centre celui du carré, et
pour angle 90°, 180°, 270° et 360°, cette
dernière étant l'identité;
- les quatre symétries axiales, par rapport aux
médianes et aux diagonales du carré.
Par contre, le quatrième motif
(en bas et à droite de
l'image), s'il reste invariant par les quatre rotations, est
altéré par les quatre symétries axiales
précédentes (et n'admet aucun autre axe de
symétrie). Les trois premières figures , malgré
leurs différences, partagent une structure: elles ont le même groupe de transformations, qui est le groupe diédral d'ordre 4, ou
groupe du carré, en
faisant référence à la figure la plus simple: on
le désigne par D4. La quatrième
possède un groupe de tranformations plus petit, le groupe des
rotations d'ordre 4. C'est un sous-groupe du précédent,
puisqu'il est inclus dans D4; on le note R4.
Dire que ce sont des
groupes signifie que:
- l'application
successive -le
mathématicien dit: "la composition"- de deux quelconques de ces
transformations est encore une transformation de cet ensemble; on note
par un rond : o cette opération;
- l'identité en est
-c'est
l'élément neutre:
composée avec la transformation T, avant ou après, elle ne
l'altère pas, le résultat est T:
T o Id
= Id o T = T
- toute transformation possède
une inverse, qui
composée avec
elle, avant ou après, l'efface: on obtient l'identité
T o T' = T'
o T = Id
D
4 a 8
éléments, R
4 en
a 4, mais il y a une différence très importante entre
eux: R
4 est commutatif, c'est
à dire que l'ordre de
composition n'a pas d'influence sur le résultat, D
4 ne l'est pas: on le vérifiera
en étudiant l'image des sommets d'un carré par
application successive de deux transformations. Cela se voit
très bien aussi sur les tables
de ces groupes, ainsi que le fait
que R
4 est sous-groupe de D
4.
Incidemment, tout l'intérêt de la
démarche
mathématique des structures apparait là, dans les trois
premiers exemples: pourquoi faire trois études là
où une seule suffit? Oublions un instant les
particularités de chacun des motifs, et ne pensons qu'à
ce qu'ils ont en commun: l'abstraction est une économie de
pensée... (mais gardons présent à l'esprit tout le
temps qu'il a fallu pour y arriver: notre mosaïque date du I-er
siècle de notre ère apprximativement, la notion de groupe
ne s'est guère dégagée avant la deuxième
moitié du XIX-ème!)
Exemples d'invariance par D4
Architecture
"En Architecture, c'est la
symétrie d'ordre 4 qui prévaut" (H.W.)
Les exemples les plus anciens, s'ils ont le carré pour
base, ont dans l'espace une forme
pyramidale:
Saqqara,
Egypte
Guizeh, Egypte
Tchoga-Zanbil, Iran
Chichen-Itza, Mexique
2800
av
J.C.
2580 av
J.C.
1250 av
J.C.
Mayas, XII-ème siécle
La pyramide de Djoser à
Saqquara
est constituée de 7 mastabas empilées (voir le
plan
sur ce site);
et la ziggourat mésopotamienne de Tchoga-Zanbil comportait
5 niveaux. Rappelons à cette occasion que les ziggourats ont
toutes cette forme, et que les
représentations hélicoïdales résultent d'une
confusion avec un
minaret
célèbre!
Le propos d'Hermann Weyl est un peu surprenant: la
symétrie rectangulaire (groupe D2) nous
semble bien plus fréquente! Le mathouriste a
tout de même déniché quelques bâtiments
intéressants sur un plan carré:
Xian,
Chine
Xian,
Chine
Bakhtapur, Nepal
Patan, Nepal
Petite Pagode de l'Oie
Sauvage
Tour de la
Cloche
(Durbar Square)
(Durbar Square)
et deux purs joyaux d'Asie Centrale:
Mausolée d'Ismaïl Samani,
Bukhara, Ouzbekistan (905) Chor Minor, Bukhara,
Ouzbekistan (1807)
On peut certes remarquer, sur le second, que les deux
minarets avant sont un peu plus gros que ceux de l'arrière;
néanmoins le plan carré semble
délibéré.
Après les fastes de l'Orient,
un retour en Auvergne ramène à bien plus
d'austérité. Mais le Mathouriste espère ne
pas se montrer exagérément chauvin (ce qu'il a en
horreur!) en jugeant digne de figurer ici ce fier donjon du
XV-ème siècle
Donjon d'Anjony à Tournemire
(Cantal)
Précisons que le corps
d'habitation que l'on devine sur la droite de l'image ne fut
ajouté qu'au XVIII ème siècle: le plan d'origine
respectait très strictement les symétries du
carré. (
Vue
aérienne et informations touristiques)
Décoration
La symétrie d'ordre 4 est fréquente dans les
éléments architecturaux de l'Antiquité; dans un
tétrapyle, elle est présente à deux niveaux
différents:
Maison à Sabratha
(Lybie)
Naxos (Cyclades) : l'Enlèvement d'Europe.
Remarquer:
- dans la première, la grande variété de
motifs invariants par D4 ; il y en a même un du
type R4 !
- dans la bordure de la seconde, l'alternance de motifs invariants
par D4 et R4.
Exemples d'invariance par R4
Il s'agit ici presque uniquement de motifs décoratifs, avec une
notoire exception finale pour qui l'architecture se plie aux
nécessités fonctionnelles.
La Svastika
"... la croix gammée
[est]
l'un des symboles les plus primitifs de l'humanité, commun
à un grand nombre de civilisations apparamment
étrangères les unes aux autres [...] Il semble que l'origine du pouvoir
magique attribué à ces figures provienne de leur
symétrie incomplète, si surprenante: rotations sans
réfléxions" (H.W.)
Mindroling
(Tibet)
Sabratha
(Lybie)
Lac Yamdrok (Tibet)
La présence sur les vieilles
maisons traditionnelles
comme sur le camion attestent une vision tibétaine
"intemporelle", loin de l'histoire occidentale, de la confiscation de
l'image par les nazis (comme gage "d'aryanité"), et du tabou qui
en a résulté. Mais elle a pu être utilisée
sans
réticence en Europe avant la seconde guerre mondiale, ce
qu'atteste le pavage de la Cathédrale d'Amiens. (voir la
page de
Wikipedia
à ce sujet)
Remarquer que le sens de rotation n'est pas le même au Tibet et
dans la mosaïque romaine; d'ailleurs, si le camion en
possède deux, disposées symétriquement par rapport
au motif central (qui décore lui aussi les cheminées...),
le sens de rotation
n'a pas
été inversé, comme l'aurait exigé
une symétrie parfaite. Le respect de l'antique symbole indien a
été le plus fort, d'autant qu' il est
considéré comme bienfaisant s'il est dextrogyre... et
malfaisant sinon! Une contrainte qui ne s'exerce pas évidemment
sur un décorateur de mosquée:
Mosquée Jameh, Yazd (Iran)
"Dans la
conférence que je fis
à Vienne, en 1937, peu de temps avant que les hordes d'Hitler
n'envahissent l'Autriche, j'ajoutais à propos de la croix
gammée: 'De nos jours, elle est devenue le symbole d'une terreur
bien plus atroce que la tête de la méduse entourée
de serpents, et ce fut dans l'auditoire un charivari d'applaudissements
et de huées'... "
(H.W.)
Variantes
Le
motif qui
a servi à
présenter le distingo initial D
4
et R
4 est similaire, et souvent
même les branches se prolongent "indéfiniment", comme si
le motif n'était plus qu'un noeud de lignes infinies:
Iasos (Turquie):
Dallage
Didymes
(Turquie): Base de colonne
Palmyre (Syrie): Frise
Noter, pour l'image centrale, l'utilisation décorative de
plusieurs symétries: le "petit" motif D
4
s'insère dans un motif carré dont le groupe d'invariance
est R
1 (2 éléments!), lui même
répété de nombreuses fois (R
n, n = ???)
Khiva (Ouzbekistan): médersa
Alla
Kouli
Isfahan (Iran): Mosquée du Vendredi
base de colonne
en marbre; voir à gauche
D'autres motifs
Bukhara (Ouzbekistan)
Isfahan
(Iran)
Yazd (Iran)
Ensemble Poi-Khalian Mosquée
de l'Emam
Mosquée d'Amir Chakhmaq
Le dernier offre trois motifs invariants par R4,
car outre le motif central, le contour offre les deux types de svastikas, dextrogyre
et senestrogyre!
D'Abu-Al-Wafa à Kazimir Malevitch
A la mosquée du
Vendredi, à Isfahan, une figure attire l'oeil en plusieurs
endroits du monument:
Iwan Ouest
(détail)
Figure d'Abu Al-Wafa
Elle serait
inspirée
de la figure
prouvant "par dissection" le célébrissime
théorème de Pythagore et donnée par
Abu
Al-Wafa (940-998), auteur d'un
Livre
des Constructions Géométriques Nécessaires
à l'Artisan (Kitab Fi Ma Yahtaju Al-Sani Min Al-a Mal
Al-Handasiyya) qui eut un grand succès auprès de
ses destinataires... ceci explique peut-être cela: les
pièces du puzzle en forme de quadrilatère (formé
par deux triangles rectangles symétriques) ont juste
été un peu "écartées" du carré
central.
Isfahan (Iran), mosquée du
Vendredi: Iwan Ouest
En agrandissant l'image, vous
distinguerez nettement le motif sur la partie droite et en bas,
à l'intérieur. (Pour une vue d'ensemble de la cour, iwans
Ouest et Sud,
cliquer ici).
C'est la plus grande mosquée d'Iran; sa construction date du
XI-ème siècle, mais elle dut être reconstruite en
1121 après un incendie, et les porches datent plutôt du
XV-ème siècle.
Ce motif se retrouve également sur la façade de la
mosquée de l'Emam, à Isfahan, mais aussi à
l'intérieur de la "mosquée dorée", Tillia-Kari,
à Samarcande.
Isfahan
(Iran), mosquée de
l'Emam
Samarcande (Ouzbekistan), mosquée Tillia-Kari
N.B.
Le
théorème de Pythagore a de
très
nombreuses preuves
possibles, et les découpages y occupent une place de choix.
Art et Géométrie se sont souvent mutuellement
inspirés... quand ils n'ont pas, indépendamment,
découvert les mêmes images! On peut donc se demander si
Kazimir Malevitch avait vu la preuve chinoise du
Chou pei suan ching
(circa. 1100 av. J.C.)...En tout cas, c'est encore une belle figure
pour R
4.
Carré Blanc sur
Fond Blanc, 1918. MOMA, New York
Pour finir, R4 en action!
Des Moulins...
Beaucoup de moulins à vent, en Europe
du Nord (et l'Europe du Nord commence dans les Flandres...), ont quatre
branches. Mais c'est une nécessité technique, pour
l'efficacité de la
propulsion, que la toile
ne soit pas dans
le plan de ces quatre branches: ainsi nait pour l'ensemble en rotation
une symétrie du type R
4 et non D
4!
Près d'Hälsingborg
(Suède)
Ile d'Öland (Suède)
...et des Hommes
Voici un exercice traditionnel du Mexique, le
Palo Voladar: les 4 acrobates
se jettent dans le vide, leurs cordes d'attache se déroulent
petit à petit et entrainent la rotation de l'ensemble.
Tulum (Mexique)