Par rapport à
cette photo,
hors cadre sur la droite, se trouve la colonne Lambert,
érigée en 1828 pour commémorer le
centenaire de sa
naissance. Célébrant avant tout l'astronome, elle
porte
une analemme et elle est surmontée d'un globe...
céleste,
ce qui rend savoureuse l'enseigne commerciale à
l'arrière-plan!
Quelques motifs de
célébrité.
Autodidacte (obligé d'arrêter ses
études à 12 ans pour aider son père,
tailleur), Lambert était assez conscient de sa valeur :
tant Lagrange que Frédéric II de Prusse l'avaient
remarqué dès son arrivée à
Berlin (1764). Mais il y avait de quoi, car son génie s'est
appliqué avec succès à une grande
variété de domaines.
Échantillon des impresions:
"On m'a, pour ainsi dire, presque forcé de prendre la plus
maussade créature qui soit dans l'univers pour la
mettre dans notre Académie. Il se nomme Lambert, et,
quoique, je puisse
attester qu'il n'a pas le sens commun, on prétend que c'est
un des plus grands géo- mètres de l'Europe.
Mais, comme cet homme ignore les langues des mortels et qu'il ne parle qu'équations et
Algèbre, je ne me propose pas de sitôt d'avoir
l'honneur de m'cntretenir avec lui. En revanche, je suis
très-content de M. Toussaint, dont j'ai fait l'acquisition.
Sa science est
plus humaine que celle de l'autre. Toussaint est un habitant
d'Athènes, et Lambert un Caraïbe ou quelque
sauvage des côtes de la Cafrerie. Cependant,
jusqu'à M. Euler, toute l'Académie est
à genoux devant lui, et cet animal, tout crotté
du bourbier de la plus crasse pédanterie, reçoit ces
hommages comme Caligula recueillait ceux du peuple romain, chez lequel
il voulait
passer pour dieu. Je vous prie que ces petites anecdotes de notre
Académie ne sortent pas de vos mains."
Frédéric
II à d'Alembert
"M.
Lambert, sur qui vous souhaitez de savoir mon sentiment, est sans
contredit un des meilleurs sujets de notre
Académie ; il est
très-laborieux et soutient
presque seul notre Classe de Physique. Il possède assez bien
l'Analyse,
mais son fort est la Physique [...]. Au reste, il a quelque chose de
singulier dans son maintien et dans sa conversation qui
déplaît au
premier abord, et je ne suis pas surpris que le roi ne l'ait pas
goûté,
ayant eu moi-même de la peine à m'accommoder
à ses manières. Il était
ou du moins il me parut si plein de lui-même, lorsque
j'arrivai ici,
que je pris le parti de ne pas le fréquenter, mais en
même temps de ne
laisser échapper aucune occasion de le rabaisser; cela l'a
rendu
beaucoup plus traitable, et à présent nous sommes
assez bons amis."
Lagrange à
d'Alembert
Œuvres...
- en Astronomie,
on luit doit une méthode de calcul pour les orbites des
comètes: texte
explicatif n°1, texte
explicatif n°2. (voir également H.
DÖRRIE, 100
Great Problems of Elementary Mathematics, Dover -
problème 88) .
"Le Théorème de Lambert, par sa
simplicité et par
sa généralité, doit être
regardé
comme l'une des plus ingénieuses découvertes qui
aient
été faites dans l'étude du
système du monde", écrivait Lagrange.
- en
Cartographie, sa méthode de projection conforme
conique (dite Projection
Lambert) est toujours appliquée; de1948
à 2000, la France était découpée
en 4 zones, chacune cartographiée avec une
projection de ce type. En 2000 un nouveau système
de projections, Lambert
93
a été rendu obligatoire par décret (calculs
associés).
- en Physique,
la loi
de Lambert
régit empiriquement à l'absorption de
lumière
selon le milieu traversé; elle est la base du
modèle
informatiques le plus simple de rendu des surfaces. (voir par exemple cette
page)
- en
Géométrie,
il étudie le postulat des parallèles (postulat
d'Euclide), et il réalise une étude
de la perspective en
ne négligeant pas l'aspect pratique , puisqu'il
conçoit
une machine pour faire la représentation en perspetive des
figures, le perspectographe. (
voir aussi un texte
avec
des figures originales du manuscrit). On pourra aussi
cosulter cette étude en deux parties: Perspective,
géométrie et esthétique chez Lambert
(Partie
I, Partie
II) sur lesite web: Images des
Mathématiques, du CNRS.
Théorie...et
pratique, par J.-H. Lambert
- en Analyse,
la fonction
W de Lambert
est l'Arlésienne d'un célèbre article
sur les
séries (1758), dans lequel il se préoccupe de
développer en série entière les
racines de
certaines équations, algébriques d'abord, puis
transcendantes.En effet, W n'y apparaît pas! La
résolution
de x = f(w)
= wew
qui définit la fonction W telle que W(x)eW(x) = x,
est un exemple pris par Euler dans un article (1783) où il
salue, d'entrée de jeu, l'ingéniosité
de son
compatriote et nomme séries de Lambert de telles
séries.
Début de
l'article de Lambert, montage de l'article d'Euler.
- et l'on trouve dans cet article une autre idée
importante:
la définition directe (ie, comme fraction rationnelle
approchant
le mieux la fonction à degrés du
numérateur et du
dénominateur imposés, des approximants
de Padé ! L'exemple 1 - cos x est
traité, on pourra comparer le résultat avec un
ordre d'une ligne dans un logiciel de calcul formel...
- Œuvres
complètes en ligne : index
chronologique, index
thématique .
- Un article
sur le site de Culture Maths : Jean-Henri
Lambert (1728-1777):
les 15 problèmes de géométrie de la
règle .
- Œuvres
numérisées à
l'Université de Strasbourg
... et Chef-d'-œuvre!
Mais la pièce la plus fascinante de Lambert (du point de vue
du
Mathouriste)
est sans hésitation la
preuve
d'irrationnalité du nombre π,
publiée dans les Mémoires de
l'Académie de Berlin
(1761).
Traduisons ce résultat en langage familier:
π n'est pas le quotient de
deux entiers. π n'est pas égal
à 3,14 (car ce serait la fraction 314/100), pas plus qu'il
n'est égal à 22/7 (célèbre
valeur approchée dans les écoles primaires de
jadis...), ni davantatge à 355/113 (approximation de
Metius).
On avait beau s'en douter depuis l'Antiquité (et les Grecs
avaient su prouver l'irrationalité d'autres nombres, tels
que
, diagonale du carré de côté 1), il a
fallu attendre jusque là pour en apporter la preuve
irréfutable... à telle enseigne que Lambert prend
des précautions vis à vis de son lecteur!
" Car s'il y fallait une
fraction fort composée, quelle raison y aurait-il, pourquoi
telle plutôt que telle autre? Quelque
vague que soit ce raisonnement, il y a néanmoins des cas
où on ne demande pas davantage. Mais ces cas ne sont pas
ceux de la quadrature du cercle."
la première
page du Mémoire
Voilà le grand mot, ou plutôt la grande
expression, lâchée: la
Quadrature du
Cercle!
Dans l'étude de ce problème antique, qui
stagne depuis son exposition au Vème siècle avant
J.-C, et ne trouvera sa résolution qu'à la fin du
XIXème siècle, la preuve de Lambert
constitue un
jalon essentiel.
Il y a plus:
la fondation d'une nouvelle théorie
arithmétique, celle de la
Transcendance.
Après avoir étendu la preuve d'
irrationalité de e
donnée par
Euler (1737) à celle de toutes ses
puissances, Lambert, qui emploie pour la première fois ce
mot, formule la conjoncture de la transcendance de e: non
seulement ses puissances sont irrationnelles, mais encore aucune
combinaison entière de celles-ci ne peut être
annulée.
Il
n'existe pas de polynôme P à coefficients entiers
relatifs tel que P(e) = 0. |
Le moment fatidique,
où Lambert parle pour la première fois de
transcendance, empruntant le mot à Leibniz.
Celui qui prouvera le résultat, Hermite, en 1873 (
voir notre page Hermite
pour plus de détails), ne cessera de rendre hommage
à celui qui a montré la voie:
"Tout ce que je
puis, c'est de refaire ce qu'a déjà fait Lambert,
seulement d'une autre manière..."
Non seulement ce texte occupe une position
charnière dans l'histoire de l'Irrationalité et
de la Transcendance, mais aussi il frappe par sa rigueur impeccable.
Utilisant, comme Euler, le merveilleux outil des fractions continues,
il ne se contente pas de découvrir, il accompagne cette
découverte, dans un deuxième temps, d'une
démonstration d'une rigueur bien supérieure
à celle du magistral prédécesseur,
Euler... et à celle se son "suiveur", Legendre, qui
perfectionnera le résultat pour établir
irrationnalité du nombre π²,
publiée en 1795, en partant d'une série
parachutée sans l'ombre d'une indication sur son
inspiration.
La pièce
maîtresse: le développement en fraction continue
de la fonction tan
x
En haut de la page 277 (à droite), le calcul des
réduites lui fournit... des approximants de Padé!
la
fonction tan
x et ses premiers approximants:
une convergence bien meilleure que celle de la série
entière!
Enfin, au passage, Lambert y définit ce que nous appelons
aujourd'hui les
fonctions
hyperboliques, en justifiant, figure
à l'appui, que l'on parle d'une trigonométrie
hyperbolique.
Le cercle x²+
y² = 1, l'hyperbole x²- y² =1 , et les projections
associées: illustration (hors texte) de son article
Après cette brève présentation, vous
brûlez sûrement d'en savoir plus! Or, le
texte intégral
commenté du mémoire de Lambert est
accessible en ligne:
le
texte de Lambert sur
l’irrationalité de π
(1761) sur le site
BibNum .
à
télécharger
en complément, pour replacer le travail de
Lambert dans la continuité historique :
Alain Juhel:
Irrationalité
et Transcendance:
État des Lieux avant Hermite ,
conférence aux journées Padé
(Lycée
Faidherbe, Lille, 1994).
Et pour prolonger, avec toutes les preuves ultérieures de l'irrationnalité de π :
Denis Roegel,
Lambert’s proof of the irrationality of Pi: Context and translation (2020)