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brouillon réputé de la main de Hamilton (source: History of Ireland) |
En bref pour comprendre le contexte
Alors, on sait calculer, par les règles algébriques habituelles, le produit de deux nombres dits complexes(mais vous pouvez sauter et revenir après la promenade...) Toute la "magie" des nombres complexes, ou imaginaires, réside dans l'invention d'une racine carrée au nombre -1. Chez les nombres ordinaires, un carré est toujours positif, -1 ne peut donc en être un.
i² = -1-1 n'a pas de racine carrée? Qu'à cela ne tienne, on va lui en inventer une. Comme c'est le fruit de notre imagination, on va l'appeler i, ce sera un nombre imaginaire, vérifiant la relation (oui, la première qui est écrite sur la plaque) (a + ib) × (x + iy) = (ax - by) + i (ay +bx)
ce qui peut être vu comme produit du vecteur (a , b) par le vecteur (x , y) |
" (3) [...] S'il
m'est permis de parler de moi et de ma connexion au sujet, je peux le
faire en t'impliquant, en revenant à une époque pré-quaternionique, où
tu étais encore un enfant, mais un enfant qui avait appris de moi ce
qu'est un Vecteur, représenté par un Triplet, et je suis capable de mettre le doigt de ma mémoire sur l'année et le mois -Octobre 1843 [...]
Chaque matin de la première quinzaine du mois en question, vous
-toi et ton petit frère William Edwin, me posiez la question: «Eh bien,
Papa, as tu réussi à multiplier les triplets?» À quoi il me
fallait toujours répondre, en hochant tristement la tête: «Non , je ne sais que les additionner et les soustraire.»
Lettre à son fils Archibald, 05/08/1865)
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"(4) [...]
Mais le 16 de ce même mois -qui tombait un lundi, jour de réunion du
conseil de la Royal Irish Academy que je devais présider, je marchais
le long du Canal Royal, aux côtés de ta mère, qui peut-être m'y avait
condui,; et, quoiqu'elle me parlât de temps à autre, un courant sous-terrain parcourait mes pensées, qui finit par me donner un résultat, dont il n'est pas excessif de dire que j'entrevis instantanément l'importance future. Ce fut comme si un circuit électrique se refermait, qu'une étincelle jaillissait, annonçant (je m'en rendis compte immédiatement) de nombreuses années de travail dans cette direction [...],
si seulement il m'était permis de vivre assez longtemps pour en
communiquer la découverte. Et je ne pus résister à l'impulsion -aussi
indigne d'un philosophe fût-elle- de graver avec mon couteau, sur une
pierre de Brougham Bridge, alors que nous y passions, la formule fondamentale liant les symboles i, j, k, à savoir
i² = j² = k² = ijk = -1
qui renferme la Solution du Problème,
mais qui, bien sûr, comme inscription, a depuis longtemps été effacée
par les années. Mais une trace plus durable en demeure dans les actes
du Conseil pour ce jour, qui ernregistrent le fait que je demandai et
obtins de faire à la première réunion pleinière de la session, une
communication sur les Quaternions; elle eut lieu, conformément à ce calendrier, le Lundi 13 Novembre suivant.Avec ce quaternion de paragraphes prend fin cette lettre; j'espère la faire suivre très rapidement d'une autre. Ton père affectueux,
William Rowan Hamilton |
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plan actuel |
plan de 1837 |
Derrière son porche d'entrée un rien austère, c'est un jardin verdoyant que l'on découvre à Trinity College, bordé de bâtiments au style néo classique... ou so british! On y voit notamment la statue de George Salmon (1819-1904), mathématicien, spécialiste de Géométrie Algébrique, qui en fut aussi le doyen (provost est le titre officiel), et qui y côtoya Hamilton. Mais ne négligez pas non plus d'admirer l'œuvre d'Henry Moore, 'Reclining Connected Forms' (1969). |
![]() l'itinéraire que nous vous suggérons, en jaune! |
Mais il est temps d'entamer notre marche. Traversons la Liffey par O'Connell Bridge, poursuivons par la grande artère O'Connell Street, puis dans son alignement par Cavendish Row, jusqu'à rencontrer Dorset Street, que l'on prendra sur la droite sur la droite, jusqu'à ce qu'on franchisse le canal; il n'y aura plus alors qu'à tourner à gauche et longer le canal jusqu'à notre but. Quel intérêt à cet itinéraire plutôt qu'un autre? Une simple question d'ambiance... irlandaise, puisque nous passerons ainsi devant le pub The Auld Triangle, à l'angle de Gardiner Street. Or, The Auld Triangle, c'est aussi une chanson très populaire là-bas, et dont les lyrics insistent beaucoup sur le Royal Canal: ce n'est certes pas le sujet principal de la chanson -une sorte de blues d'un prisonnier, mais ce sont les deux vers de refrain que le public est invité à reprendre en chœur:
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![]() Brassens vous le chante (source: INA) au premier plan, la main de Pierre Nicolas |
L'ami Georges vous le dira mieux que le Mathouriste ne saurait le faire: Il suffit de passer le pont
C'est tout de suite l'aventure Aventure, il y a bien pour Hamilton: il va falloir abandonner la commutativité de la multiplication, si naturelle, pour entrer dans un monde moins confortable et encore, pour beaucoup, à découvrir! |
Plus de détails sur la genèse de ces formules, par Hamilton in person
(Vous n'êtes pas obligés de lire; néanmoins, ne partez pas trop vite: après ce cadre, d'autres images et une deuxième promenade de Hamilton vous attendent!...) "Mon cher Graves,
C'est un très curieux enchaînement de spéculations mathématiques que jai vécu hier, et je ne peux quespérer qu'il vous intéressera. Vous savez que j'ai longtemps souhaité disposer d'une théorie des Triplets, analogue à celle des Couples que j'ai déjà publiée, et je crois que vous avez exprimé le même désir [...]. Je pense maintenant que j'ai découvert hier une théorie des quaternions qui englobe une telle théorie des Triplets. Voici comment se sont ordonnées mes pensées. Comme la racine carrée de -1 est, en un sens bien connu, une ligne perpendiculaire à celle de 1, il semblait naturel qu'une certaine autre quantité imaginaire déterminerait une ligne perpendiculaire à la précédente, [...]tout en étant aussi une racine carrée de -1, à ne cependant pas confondre avec la précédente. Appelant l'ancienne i , selon l'habitude des Allemands, et la nouvelle j, je cherchais quelles lois devaient régir le produit de (a + ib + jc) par (x + iy + jz) Il semblait naturel de supposer que ce soit (ax - by - cz) + i (ay + bx) + j (az +cx) + i j (bz + cy)
mais que faire de i j? Doit-il être de la forme (a + ib + jc)? Son carré semblerait valoir 1, puisque i² = j² = -1; et cela pourrait nous inciter à poser ij = 1 ou ij = -1;
mais aucune de ces suppositions ne nous permettrait d'avoir la somme des carrés des coefficients de 1 , i , j égale
au produit des sommes des carrés correspondants dans les
facteurs. Prenez le cas le plus simple du produit, lorsqu'il s'agit du
carré, on auraa² - b² - c² + 2 i ab + 2 j ac + 2 i j bc , et comme
la condition sur les modules est remplie, si l'on supprime le terme en i j [...](a² - b² - c²)² + (2ab)² + (2ac)² = (a² + b² + c²)² Voyez, je fus un instant tenté d'imaginer que ij = 0. Mais cela semblait singulier et malcommode, et je me rendis compte que la suppression du terme de trop [en français dans le texte] pouvait être effectuée avec une supposition qui me semblait moins dure, à savoir j i = - i j . Je posai donc ij = k , ji = -k , sans me soucier de savoir si k = 0 ou non. Reprenant alors le produit de deux triplets quelconques, (a + ib + jc) par (x + iy + jz), et cherchons si la loi des modules est satisfaite quand nous supprimons le terme en k. Est-ce que (a² + b² + c²)²(x² + y² + z²)² = (ax - by - cz)² + (ay + bx)² + (az + cx)² ?
Non, le premier membre excède le second de (bz - cx)². Mais c'est exactement le carré du coefficient de k dans le développement du produit (a + ib + jc).(x + iy + jz)
si l'on tient pour acquis ij = k , ji = - k
,comme proposé ci-dessus. Et là, je vis poindre l'idée qu'il nous faut
admettre, en un certain sens, une quatrième dimension de l'espace, afin
de pouvoir calculer sur les triplets; ou, en transférant ce paradoxe en
algèbre, admettre un troisième symbole imaginaire k, qu'il ne faut confondre ni avec i, ni avec j, mais qui est le produit du premier par le second, et qu'il faut donc introduire des quaternions a + ib + jc+ kd Je vis qu'on avait probablement ik = - j , parce que ik = i ij et i² = -1; et que de même on pouvait s'attendre à ce que kj = i jj = - i ; d'où j'ai pensé qu'il était probable que k i = j , jk = i car il semblait vraisemblable qu'à côté de ij = - ji , on ait aussi kj = - jk et ik = - ki. Et parce que lordre de multiplication de ces imaginaires n'est pas indifférent, nous ne pouvons pas en déduire que k² = ij ij = 1, en disant que i²j ²= (-1).(-1) = +1 . Il est préférable de voir que k² = i ji j = - ii jj = -1
[...] Mon système de relations était alors complet i² = j² = k² = -1;
et avec cela j'étais contraint à considérer que le produit de deux quadruplets est un quadruplet. [...]"ij = - ji = k , jk = - kj = i , ki = - ik = j , |
![]() | Un sculpteur sur sable, Daniel Doyle, a
réalisé une très belle restitution de la scène, peut-être même plus
belle que la vérité... Lady Hamilton était probablement plus distante.
D'autant que William n'avait pas pu épouser son amour de jeunesse et
s'était marié par convenance sociale de l'époque; il s'était montré un
bon père, certes, mais le lien amoureux n'avait peut-être pas l'intensité suggérée par l'artiste...
Ah, les difficiles amours des héros romantiques (d'ailleurs, on notera que Hamilton s'était essayé à la poésie!): les Quaternions furent-ils pour lui un exutoire comme la Symphonie Fantastique pour Berlioz? Concernant la poésie, il n'avait pas hésité à formuler la comparaison: Mathematics is an aesthetic creation, akin to poetry, with its own
mysteries and moments of profound revelation. En tout cas, observez les arches du pont: pas de rapiéçage comme on a pu le voir en réalité actuelle! (Le sculpteur a-t-il pu s'aider de gravures d'époque? Il serait intéressant de le savoir...) |
source de l'image: site d'Anne Van Weerden, consacré à Hamilton. |
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Fiacre O' Cairbre, Andrew Wiles et Anthony G. O’Farrell Marche 2003
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Anthony G. O’Farrell, discours à Broombridge, Marche 2005
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