«Nolay est la première étape des Morvandeaux, lorsqu'à l'automne ils descendent de leurs montagnes granitiques et neigeuses, cornemuses en tête, pour venir vendanger la Côte d'Or. Saint-Martin, le patron de son église, est celui des vignerons, et un peu aussi celui des ivrognes, malgré sa dignité épiscopale; ni les uns ni les autres ne manqueraient sa fête.» |
«Je votais habituellement avec ceux que l'on appelait les Montagnards, non que je partageasse toujours leurs opinions, à beaucoup près, mais pour ne pas voter avec un parti qui me paraissait infiniment plus dangereux. En révolution, on se voit presque toujours réduit à ne pouvoir opter qu'entre un mal et un autre mal plus grand. » |
«Dans mon opinion, la justice veut que Louis meure, et la politique le veut également. Jamais, je l'avoue, devoir ne pesa davantage sur mon cœur que celui qui m'est imposé; mais je pense que pour prouver votre attachement aux lois de l'égalité, pour prouver que les ambitieux ne vous effraient point, vous devez frapper de mort le tyran.» |
« Le gouvernement du Comité de Salut Public ne s'est point formé d'une seule pièce et sous l'influence d'une pensée; mais peu à peu, occasionnellement, et à mesure que les besoins parlaient. Barrère me dit un jour: ”Aucun de nous ne s'entend aux affaires militaires; tu es officier du Génie, veux tu venir nous aider? - Il n'y a qu'un homme pour cela dans la Convention, répondis-je, c'est Carnot. J'ai quelques connaissances spéciales qui peuvent être utilisées; je serai son second. - Nous [lui] écrivimes pour le rappeler de l'Armée du Nord; il arriva. Ses idées ayant été adoptées par le Comité de Salut Public, Barrère les exposa le 12 Août, dans un rapport qui fit sensation; le 14, leur auteur fut proposé, agréé par la Convention, et il prit aussitôt, d'une main ferme, la direction de la guerre. Trois semaines après nous triomphions à Hondschhote, six semaines encore après nous triomphions à Wattignies; une longue série de victoires effaça les revers de l'année qui venait de s'écouler. Quant à moi, j'organisais le matériel, armes et munitions; j'étais en plein dans la Chimie, cela me convenait à merveille. Restaient les approvisionnements, et surtout les convois militaires. J'avais connu Lindet en mission dans le Calvados, je le savais actif et bon administrateur; je lui proposai de s'en charger: il accepta, et voilà notre machine montée; elle fonctionna parfaitement.» |
« Chacun s'installa à sa table, arrangea ses bureaux comme il l'entendit, sans se mêler de la besogne des autres. Administration, législation, science, industrie, arts et littérature, on s'occupait de tout. Le Comité a fait les plus grandes choses sans bruit, en demeurant obscur et modeste.» |
«
À Paris s'élèvent, par ordre du
Comité, 258 forges: 140 sur
l'Esplanade des Invalides, 154 dans le jardin du Luxembourg, 64 sur la
place de l'Indivisibilité; chacune d'entre elles doit
produire quatre
canons de fusil par jour, ensemble plus de mille.» [...] |
« Je fus mandé dans un des bureaux de la Convention, et là, un des membres, que je ne connaissais pas, et qu'on me dit être Carnot, me donna des explications très précises sur le travail dont on me chargeait. Il s'agissait de composer des tables qui ne laisseraient rien à désirer quant à l'exactitude, et d'en faire le monument de calcul le plus vaste et le plus important qui eut été jamais conçu On sait que [je n'ai] pu remplir cette tâche immense qu'après avoir eu l' heureuse idée d'y appliquer la division du travail, d'en faire une opération manufacturière. » |
D'une droiture impressionnante, Carnot se montra
à la fois lucide et visionnaire. Danton
lui inspirait fort
peu de sympathie, mais iun
procès fabriqué lui répugnait; ainsi
s'exprimait-il au Comité en Avril
1794:
«Vous accusez Danton de trahison, et vous n'avez pas une preuve contre lui. Nul n'est à l'abri de soupçons calomnieux, et je n'entends alléguer ici que des soupçons. [...] Songez-y bien, une tête comme celle de Danton en entraîne beaucoup d'autres. Sans doute êtes vous assez puissants pour envoyer à la mort celui qu'il vous plaira de désigner. Mais si vous frayez le chemin de l'échafaud aux représentants du peuple, nous passerons tous successivement par ce même chemin.» |
«J'avais la plus grande confiance dans les commis que Robespierre avait fait arrêter, et pour vous prouver de quelle manière se donnaient les signatures au comité de salut public, je dirai que j'avais moi-même signé leur arrestation sans le savoir. Il était impossible de signer autrement que de confiance, car il fallait donner cinq à six cents signatures par jour. [...] J'ajouterai un autre fait. Je me livrais tellement à mon travail, que je ne me donnais pas le temps d'aller manger avec ma femme; quoique je demeurasse rue Florentin, j'allais tous les jours sur la terrasse des Feuillans, chez un traiteur nommé Gervais. Robespierre l'apprit, il décerna un mandat d'arrêt contre lui [...] Je signai moi-même ce mandat d'arrêt, ainsi que Collot, sans le savoir, et lorsque nous y fûmes diner, on nous montra notre signature; nous courûmes à l'instant au comité, et nous fîmes rapporter ce mandat .» |
Fourier fut sauvé par le calendrier: le 9 Thermidor, c'est le 27 Juillet, 14 jours après... et, quoique l'époque fut expéditive, son procès n'avait pas encore eu lieu. Mais l'histoire suivante, que narre Arago dans son éloge à l'Académie, prouve que, quelle que fut sa rigueur dans la solidarité avec les décisions, Carnot ne se résignait pas si sa conscience criait à l'injustice:
«Il y a parmi vous, Messieurs, un vénérable académicien également versé dans les théories mathématiques et dans leurs applications; [...] il a parcouru une longue carrière sans se faire, certainement, sans mériter un ennemi! Et cependant sa tête fut un jour menacée, et des misérables voulaient la faire tomber lorsqu'elle crééait un des monuments scientifiques qui ont jeté le plus d'honneur sur l'ère révolutionnaire. Une lettre anonyme apprend à notre confrère quel danger il vient de courir. L'orage est dissipé, mais il peut se reformer d'un instant à l'autre; la main amie trace un plan de conduite, des règles de prudence, signale la nécessité de se ménager une retraite. [...] L'écrivain anonyme, Messsieurs, était Carnot; le géomètre qu'il conservait à la science et à notre affection était M. de Prony. À cette époque, M. de Prony et Carnot ne s'étaient jamais vus.» |
« M. Arago interrompit un moment sa lecture après cette anecdote; tous les yeux se tournèrent vers l'illustre vieillard (M. de Prony avait alors quatre-vingt deux ans), et l'on applaudit à la touchante émotion qui se peignit sur son visage.» |
«Carnot
fut alors prendre dans son armoire un carton qu'il déposa
sur le
bureau, et dont il tira des pièces, les unes manuscrites,
les autres imprimées, qui contenaient les preuves de
dilapidations commises à
l'Armée du Nord, en présence et sous
l'autorisation, au moins
tacite, des hommes qui venaient de se rendre ses accusateurs. |
« Un seul fait répondra, ce me semble, pour les prévenus : c’est que la France était aux abois lorsqu’ils sont entrés au Comité de Salut Public et qu’elle était sauvée lorsqu’ils en sont sortis.» |
« On demanda aussi l'arrestation de Carnot. À ce nom, [...] une émotion que personne n'osait exprimer tout haut, tant la réaction était menaçante, s'empara de l'Assemblée; il y eut quelques moments d'un silence plein d'anxiété. Tout à coup une voix partie des banc supérieurs du centre[...] s'écria: ¨″Oserez vous porter la main sur celui qui a organisé la victoire dans les armées Françaises?″ Ces mots heureux: ″Il a organisé la victoire″ circulèrent de bouche en bouche avec un frémissement d'enthousiasme. Puis des acclamations s'élevèrent: ″L'ordre du jour! L'ordre du jour!″ et l'accusation fut abandonnée. » |
«
Ah! Croyez moi, mon cher général, il est temps de
couronner vos travaux militaires; faites la paix, il ne vous manque
plus que ce genre de gloire [...]
On vous prête mille projets plus absurdes les uns que les
autres; on
ne peut pas croire qu'un homme qui fait de si grandes choses puisse
se réduire à vivre en simple citoyen. Quant
à moi, je crois qu'il
n'y a que Bonaparte redevenu simple citoyen qui puisse laisser voir
le général Bonaparte dans toute sa grandeur. |
« Quant à ceux qui, parce que je combattrai leur avis, pourraient m'attribuer des motifs personnels indignes du caractère d'un homme entièrement dévoué à sa patrie, je leur livre pour toute réponse l'examen scrupuleux de ma conduite politique depuis le commencement de la révolution, et celui de ma vie privée. Je suis loin de vouloir atténuer les louanges données au Premier Consul [...] Mais quelques services qu’un citoyen ait pu rendre à sa patrie, il est des bornes que la raison impose à la reconnaissance nationale. Si ce citoyen a restauré la liberté publique, sera-ce une récompense à lui offrir que le sacrifice de cette même liberté ? [...] Le dépôt de la liberté lui était confié ; il avait juré de la défendre: en tenant cette promesse, il eut rempli l’attente de la nation, [...] il se fut couvert d’une gloire incomparable.[...] Cependant, je le répète, toujours prêt à sacrifier mes plus chères affections aux intérêts de la commune patrie, je me contenterai d'avoir fait entendre encore cette fois l'accent d'une âme libre, et mon respect pour la loi sera d'autant plus assuré qu'il est le fruit de longs malheurs [...] Je vote contre la proposition. » |
«Aussi longtemps que le succès a couronné vos entreprises, je me suis abstenu d'offrir à Votre Majesté des services que je ne croyais pas lui être agréables. Aujourd'hui, Sire, que la mauvaise fortune met votre constance à une grande épreuve, je ne balance pas à vous faire l'offre du peu de moyens qui me restent. C'est peu de choses sans doute que l'effort d'un bras sexagénaire [...] Il est encore temps de conquérir une paix glorieuse et de faire que l'amour du grand peuple vous soit rendu.» |
Carnot en ministre de l'Intérieur (vue d'ensemble et détail) École française, peint en 1815 (Musée de Versailles, montré à l'exposition Napoléon, Arras 2018) |
« Tout à coup une porte s’ouvre: entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du Roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr; l’évêque apostat fût caution du serment. » |
«Quoiqu'il soit de mes principes qu'il ne faut jamais désespérer du salut de la patrie, j'avoue que je ne me crois pas de force à pouvoir la servir utilement [...] Quand j'offris mes services à Bonaparte en 1814, je surmontais ma répugnance pour servir mon pays, et personne ne pouvait penser que ce fût par un motif d'ambition; mais les offrir au roi, ce serait blesser toutes les convenances, et je ne crois pas que le duc d'Otrante trouve beaucoup d'approbateurs de sa conduite.» |
« Mais la science! C'était sa vocation, son enthousiasme, sa forteresse, son Eden. Interrompu cent fois par des devoirs publics, il y retournait avec empressement, s'y consacrait tout entier, et la reprenait sans effort au point où elle était parvenue en son absence. Déployant un génie original, cherchant des routes nouvelles, il eut parfois l'heureuse fortune de devancer ceux qu'il se plaisait à nommer ses maîtres, celui-là même qu'il plaçait au dessus de tous, Lagrange.» |
«Nous avions causé bien des fois ensemble [...] sur la nécessité de créer une école pour le recrutement des diverses classes d'ingénieurs; c'était une de nos préoccupations favorites. Mais le torrent des affaires nous entraînait, l'urgence nous tyrannisait Après le 9 Thermidor, nous en reparlâmes. Carnot était resté au Comité, j'en étais sorti; il me dit de profiter de mes loisirs forcés pour mûrir cette idée, ce que je fis. Dès qu'elle nous parut avoir pris assez de consistance, nous en conférâmes avec Monge, notre ancien professeur de Mézières, qui s'en empara avec sa pétulance habituelle et devint la cheville ouvrière de la Commission réunie pour préparer un plan d'enseignement. J'y portais moi-même toute l'ardeur dont j'étais capable, et [Carnot] consacra les derniers jours de sa position gouvernementale aux mesures législatives nécessaires pour fonder la nouvelle école. D'ailleurs, malgré son absence du Comité, il y conserva assez d'influence pour surveiller les destinées d'une création à laquelle nous prenions tant d'intérêt.» |
Il n'y a pas d'équivalent, dans l'Histoire de France, d'un tel effort et d'un tel succès du gouvernement en la matière. Que le lecteur le lui permette ou non en cette page, le Mathouriste ne pourra s'empêcher de dire que tous ceux qui, depuis, de droite ou de gauche, s'abritent frileusement derrière la conjoncture, les chaos du Monde, les difficultés économiques pour s'excuser de ne pas faire plus, paraissent bien petits à côté de celui qu'on a si justement nommé le Grand Carnot : peu ont objectivement fait face à un environnement aussi hostile. |
« Si le temps me le permettait, j'aurais à citer ici, parmi les grands établissements à la formation desquels Carnot contribua, la première École Normale, l'École Polytechnique, le Museum d'Histoire Naturelle, le Conservatoire des Arts et Métiers; et au nombre des travaux qu'il encouragea de son suffrage, la mesure de la terre, l'établissement du nouveau système des poids et mesures, les grandes, les incomparables tables du Cadastre. Ce sont d'assez beaux titres, Messieurs, pour une ère de destruction.» |
«Sire, Il existe un exemple pour les progrès de la raison, fourni par une contrée du Nouveau-Monde, plus récemment, mais peut-être mieux civilisée que la plupart des peuples de la contrée qui s'appelle l'Ancien-Monde. Lorsque les Américains des États-Unis déterminent l'emplacement d'une ville et même d'un hameau, leur premier soin est d'amener aussitôt sur les le lieu de l'emplacement un instituteur, en même temps qu'il y transportaient les instuments de l'agriculture, sentant bien, ces hommes de bon sens, ces élèves de Franklin et de Washington, que ce qui est aussi pressé pour les vrais besoins de l'homme que de défricher la terre, de couvrir ses maisons et de se vêtir, c'est de cultiver son intelligence.» |
Pour voir reprendre un tel programme, il faudra attendre 1880, et avoir passé deux monarchies, une république, un nouvel empire, et une troisième république!
Épilogue: le curieux destin de la statue d'Anvers...Lors d'un réaménagement de la place, dans les années 1950 - il fallait faire de la place aux automobiles en plein essor et créer un parking!- la statue fut enlevée et stockée dans un dépôt. On en perdit la trace; légendes et contre-vérités circulèrent:
On notera que le bras droit (au moins) a été cassé entre les deux dates; manifestement, le monument n'a pas fait l'objet de beaucoup de soins pendant cette période...et ce n'est hélas pas un cas isolé! C'est à l'occasion de la publication en 2010 d'un article dans le Mathematical Intelligencer que Dirk Huylebrouck a enquêté sur cette disparition. Pendant trois ans, toutes les pistes se perdaient... Mais en Mars 2013, à l'occasion de l'ouverture de l'exposition Bonaparte et l'Escaut au MAS (Anvers) , il a publié dans le magazine scientifique EOS un article: "Où est la tête de Carnot?" (version en traduction automatique Google) , suivi d'un appel à la télévision régionale. Et c'est alors que, par un quasi-miracle, la tête a été retrouvée dans un dépôt du MAS... Une tête que les commissaires de l'exposition avaient cherché en vain lors de sa préparation!
On peut regretter que, dans une exposition bien conçue, riche en documents, l'épisode du siège de 1814 et le rôle de Carnot ne soient évoqués qu'en quelques lignes, et que la légende d'une statue endommagée en 1944 y semble avoir la vie dure... Mais ne boudons pas trop le plaisir de cette redécouverte... ou réapparition inespérée. |