Un fameux Quatuor...

... à la Sorbonne.

Visitez la Sorbonne, à Paris - par exemple, à l'occasion des Journées du Patrimoine: vous y verrez, au débouché du grand escalier, cette vaste peinture murale qui regroupe, en une seule image, quatre des mathématiciens Français les plus fameux du XVIIème siecle: Pascal, Descartes (les deux protagonistes principaux de l'affaire, comme la suite nous le révèlera), mais aussi Desargues et Mersenne. Il n'y manque que Fermat, qui ne semble jamais être "monté" -comme on dit en Province- à Paris, mais correspondit abondamment avec nos héros !

De droite à gauche: Desargues, Mersenne, Pascal, Descartes.

Mais... quelle réalité pour cette image?
Il est des images fixes comme du cinéma: souvent, partant de faits authentiques, on romance, on enjolive. Essayons donc de démêler allégorie et réalité, autant que faire se peut.

La scène est située sous les arcades de la Place Royale, aujourd'hui Place des Vosges: on la reconnait sans peine.

Place des Vosges (depuis la maison de Victor Hugo); les arcades.

Précision intéressante: le couvent des Minimes, où est basé Mersenne, est tout près... cela rend d'autant plus plausible sa présence, et pourtant, comme on le verra...

Extrait de la carte de Bullet (1676)
Pour situer, la Bastille est dans le coin supérieur droit; le Nord est vers la gauche!

Le titre révèle le fond de l'affaire: cette rencontre de mathématiciens... est en priorité une rencontre de physiciens (les deux métiers ne se sépareront qu'au XXème siecle)! Le sujet en est le vide, sur lequel Descartes et Pascal n'ont pas les mêmes vues. Descartes vit à l'époque en Suède, et on peut dater avec certitude leur confrontation: les 23 et le 24 septembre 1647. Par contre, la rencontre eut lieu au domicile familial des Pascal. Quant aux protagonistes.... nulle trace attestée de Desargues, présent à Paris de 1630 à 1648, ni, et c'est bien plus étonnant, de Mersenne. Pourtant, Descartes et Mersenne s'étaient rencontrés dès 1625, et  correspondent régulièrement. Mersenne est une véritable plaque tournante épistolaire entre les savants de son époque: Blaise et son père Etienne, Desargues, fréquentent son Académie. Et la question du vide intéresse Mersenne au plus haut point; il ne cesse de relayer informations et controverses de l'un à l'autre. Il serait donc logique qu'il soit d'une rencontre aussi exceptionnelle: après son départ pour la Hollande, puis la Suède, Descartes ne fera que trois voyages à à Paris (1644, 1647 et 1648). En revanche, est présent un autre acteur important de ces discussions scientifiques, membre de l'Académie de Mersenne: Gilles Personne de Roberval (célèbre pour la balance qui porte son nom, application directe de sa physique des forces, mais aussi   bon géomètre et l'un des srpt fondateurs de l'Académie Royale des Sciences en 1666).

Les faits historiques, nous en devons le peu qu'on en sait à un échange épistolaire entre les sœurs de Pascal, de Jacqueline à Gilberte.
[M.P.FAUGERE, Lettres, Opuscules et Mémoires de Madame Périer et de Jacqueline, sœurs de Pascal, et de Marguerite Périer, sa nièce. (Vaton, 1845) , disponible sur Gallica]

"À Paris, ce mercredi 25 septembre 1647,

Ma très chère sœur,

J'ai différé à t'écrire, parce que je voulais te mander tout au long l'entrevue de M.Descartes et de mon frère, et je n'eus pas le loisir hier de te dire que dimanche au soir, M. Habert vint ici accompagné de M. de Montigny de Bretagne,qui me venait dire (au défaut de mon frère, qui était à l'église) que M.Descartes, son compatriote et intime ami, lui avait fort témoigné avoir envie de voir mon frère,  à cause de la grande estime qu'il avait toujours ouï fair e  de M. mon père et de lui, et que pour cet effet il l'avait prié de venir voir s'il n'incommoderait point mon frère (parce qu'il savait qu'il était malade) en venant céans le lendemain à neuf heures du matin. "

Pour "ne pas incommoder" Blaise, on transige sur l'horaire, et Jacqueline énumère les personnes présentes ce Lundi:

" ...nous arrêtâmes qu'il viendrait à dix heures et demie le lendemain ce qu'il fit avec M.Habert, M.de Monligny, un jeune homme de soutane que je ne connais pas, le fils de M.de Montigny et deux ou trois autres petits garçons. M. de Roberval, que mon frère en avait averti, s'y trouva; et là, après quelques civilités, il fut parlé de l'instrument, qui fut fort admiré tandis que M.de Roberval le montrait."


L'instrument que montra M. Roberval... (à retrouver sur notre page  Pascal mathématicien )

" Ensuite on se mit sur le vide, et M. Descartes avec un grand sérieux, comme on lui contait une expérience et qu'on lui demanda ce qu'il croyait qui fût entré dans la seringue, dit que c'était de sa matière subtile; sur quoi mon frère lui répondit ce qu'il put, et M. de Roberval, croyant que mon frère avait peine à parler, entreprit avec un peu de chaleur M.Descartes (avec civilité pourtant), qui lui répondit avec un peu d'aigreur qu'il parlerait à mon frère tant que l'on voudrait, parce qu'il parlait avec raison, mais non pas à lui, qui parlait avec préoccupation; et là-dessus, voyant à sa montre qu'il était midi, il se leva parce qu'il était prié de dîner au faubourg Saint-Germain, et M.de Roberval aussi, si bien que M. Descartes l'emmena dans un carrosse où ils étaient tous deux seuls, et là ils se chantèrent goguettes, mais un peu plus fort que jeu, à ce que nous dit M.de Roberval, qui revint ici l'après-dînée"

Bref, Pascal et Descartes se parlèrent peu ce jour-là; reste une scène cocasse qui semble bien amuser Jacqueline, pour le début qu'elle en a vu ... et la suite, qui n'eut pas d'autre témoin que le carrosse. Passons au mardi:  

"J'avais oublié à te dire que M.Descartes, fâché d'avoir si peu été céans, promit à mon frère de le venir revoir le lendemain à huit heures. M. d'Alibray, à qui on l'avait dit le soir, s'y voulut trouver, et fit ce qu'il put pour y mener M.Lepailleur, que mon frère avait prié d'avertir de sa part; mais il fut trop paresseux pour y venir [...] M.Descartes venait ici en partie pour consulter le mal de mon frère, sur quoi il ne lui dit pas pourtant grand'chose, seulement il lui conseilla de se tenir tous les jours au lit jusques à ce qu'il fût las d'y être, et de prendre force bouillons. Ils parlèrent de bien d'autres choses, car il y fut jusques à onze heures mais je ne saurais qu'en dire, car pour hier je n'y étais pas, et je ne le pus savoir"

Le mystère de leur échange demeure donc. Pascal parla de théologie... mais avec Roberval, et, puisque courrier il y eut, l'absence de Mersenne est confirmée, à défaut dêtre expliquée:

"Lundi, [Blaise] parla fort toute la journée, le matin à M. Descartes et l'après-midi à M. Roberval, contre qui il disputa longtemps touchant à beaucoup de choses qui appartiennent autant à la théologie qu'à la physique [...] Mon frère écrivit au Père Mersenne l'autre jour pour savoir de lui quelles raisons M. Descartes apportait contre la colonne d'air [...]Je lus pourtant que ce n'était pas M. Descartes (car au contraire il la croit fort, mais par une raison que mon frère n'approuve pas), mais M. de Roberval qui était contre. "

Complément Touristique... et Physique!


C'est en raison des expériences liées à cette controverse que Pascal est statufié sous la Tour Saint-Jacques à Paris; c'est donc le Physicien qui y est représenté, mais le Mathouriste ne va  faire ni sectarisme déplacé, ni schizophrénie abusive: les mânes de Pascal et Descartes pourraient fort bien se trouver d'accord pour l'en blâmer! Promis, il vous parlera plus loin de Pascal mathématicien ... Promenons nous donc en touristes dans la Physique, pourquoi pas!

Une petite chronologie ne sera peut-être pas inutile pour saisir comment tout cela interfère avec la scène qui nous occupe:

Expérience de Torricelli, à voir en détail sur U-Tube
(instantané:  le tube plein de mercure est retourné sur la cuve)

Joseph Bertrand, dans son Blaise Pascal, évoque la scène à la tour Saint-Jacques comme une tentative non probante, qui détermine Pascal à entreprendre la célèbrissime expérience au Puy de Dôme:
 "Une première expérience faite à Paris, sur la tour Saint-Jacques, dit-on, peut-être suivant des conjectures plus récentes, sur l'une des tours Notre-Dame, ne lui parut pas entièrement concluante; la dépression de la colonne était trop faible et de même ordre que les variations observéesd'un jour à l'autre;il pria Perier son beau-frère, d'observer la colonne le même jour à Clermont et sur le sommet du puy de Dôme." 


Détail de la statue, œuvre de Pierre-Jules Cavelier (1856)

N.B.: la tour est tout ce qui reste de l'église Saint-Jacques de la Boucherie, détruite en l'an V de la Révolution. La date de réalisation de l'œuvre de Cavelier tord le cou à la légende selon laquelle la tour n'aurait été sauvegardée qu'en raison de la présence de la statue de Pascal et en souvenir de son expérience... certes, pas besoin de la statue pour la considérer comme un haut-lieu scientifique! Une clause de la vente à un industriel qui fit une carrière de l'ancienne église s'opposait à ce qu'on touchât à la tour. En 1836, un archéologue réussit à convaincre Arago de son importance, et ce dernier pesa avec succès pour que la tour devienne proprriété de la Mairie de Paris.
Pour en savoir plus sur l'histoire de la tour :

En lisant les textes sources

Acte I: Pascal confirme lui-même comment il a découvert l'expérience:

"Cette expérience ayant été mandée de Rome au R.P . Mersenne, minime à Paris, il la divulgua en France en l'année 1644, non sans l'admiration des savants et curieux, par la communication desquels étant devenue fameuse de toutes parts, je l'appris de M. Petit, Intendant des Fortifications, et très versé en toutes les belles lettres, qui l'avait apprise du R.P . Mersenne lui-même. Nous la fîmes donc à Rouen, le sieur Petit et moi, de la même sorte qu'elle avait été faite en Italie, et trouvâmes de point en point ce qui avait été mandé de ce pays-là, sans y avoir pour lors rien remarqué de nouveau."

Acte II: Pascal publie son petit livret (noter la dédicace à son père).
C'est là que nous avons tiré l'extrait précédent; son avertissement aussi est savoureux:


Images du site gallica.bnf.fr
Texte intégral (en mode images) sur Gallica

Mersenne, comme à son habitude, s'active auprès de tout ses correspondants pour faire connaître le nouvel ouvrage. Il vante l'ouvrage à toute l'Europe, ... jusqu'à Gdansk (Pologne), auprès de l'astronome Johannes Heweliusz (1611 –  1687) : c'est lors des études à Paris de celui-ci que Mersenne a fait sa connaissance!

Dans sa ville natale, Gdansk

La  première polémique que suscite l'opuscule oppose Pascal au... Père Noël : rassurez vous, ce n'est qu'un Jésuite! ( artcle détaillé de O. Jouslin pour la Revue Etudes Epistémé) Quant à Descartes, qui le reçoit via le père de Christian Huyghens, il le juge d'un peu haut

"Il me semble que le jeune homme qui a fait ce livret a le vide un peu trop en sa teste, et qu'il se haste beaucoup."

Acte III: Pascal écrit à son beau-frère Florin Périer pour requérir son aide: le juge de paix, ce doit être le Puy de Dôme!
Admirons la roublardise de l'entame...

"Monsieur,
Je n'interromprais pas le travail continuel où vos emplois vous engagent pour vous entretenir de méditations physiques, si je ne savais qu'elles serviront à vous délassser en vos heures de relâche, et qu'au lieu que d'autres en seraient embarassés, vous en aurez du divertissement. J'en fais d'autant moins de difficulté que je sais le plaisir que vous recevez en cette sorte d'entretien. Celui-ci ne sera qu'une continuation de ceux que nous avons eu ensemble touchant le vide."

Et d'insister sur l'implication de son correspondant comme un prolongement de son vécu antérieur:

"Je ne saurais mieux vous témoigner la circonspection que j'apporte avant que de m'éloigner des anciennes maximes que de vous remettre dans la mémoire l'expérience que je fis ces jours passés en votre présence [...]. Certainement, après cette expérience, il il y avait lieu de se persuader que ce n'est pas l'horreur du vide, comme nous estimons, qui cause la la suspension du vif-argent dans l'expérience ordinaire, mais bien la pesanteur et la pression de l'air, qui contrebalance la pression du vif-argent."

Se convaincre soi est une chose... mais le débat est vif, il faut convaincre les autres (terrasser les adversaires?). Il en vient donc à son idée et à sa requête:

"Je me tiens [...] résolu néanmoins de chercher l'éclaircissement entier de cette difficulté par une expérience décisive. J'en ai imaginé une qui pourra seule suffire pour nous donner la lumière que nous cherchons, si elle peut être exécutée avec justesse. C'est de faire l'expérience du vide plusieurs fois en un même jour, dans un même tuyau, avec le même vif-argent, tantôt au bas et tantôt au sommet d'une montagne élevée pour le moins de cinq à six cents toises. [...]"

"Mais comme la difficulté se trouve d'ordinaire jointe aux grandes choses, j'en vois beaucoup dans l'exécution de ce dessein, puisqu'il faut pour cela choisir une montagne excessivement haute, proche d'une ville dans laquelle se trouve une personne capable d'apporter à cette épreuve toute l'exactitude nécessaire. [...]  Et comme il est aussi rare de trouver des personnes hors de Paris qui aient ces qualités que des lieux qui aient ces conditions, j'ai beaucoup estimé mon bonheur d'avoir, en cette occasion, rencontré l'un et l'autre, puisque notre ville de Clermont est au peid de la haute montagne du Puy de Dôme, et que j'espère de votre bonté que vous m'accorderez la grâce d'y vouloir faire vous même cette expérience; et sur cette assurance, je l'ai fait espérer à tous nos curieux de Paris, et entre autres au R.P. Mersenne, qui s'est déjà engagé par lettres qu'il a écrites en Italie, en Pologne, en Suède, en Hollande, etc. d'en faire part aux amis qu'il s'y est acquis par ses mérites."

Voilà le destinataire investi à la fois d'une immense confiance et d'une responsabilité internationale. Comment serait-il possible de refuser?  C'est ce qui s'appelle savoir manœuvrer son interlocuteur; quel habile homme, et quel habile épistolaire que ce Pascal! Il nous rappelle enfin le rôle central de Mersenne dans ce débat.

Acte IV: Descartes revendique la paternité de l'idée du Puy de Dôme!
En Décembre, deux mois après la rencontre au cours de laquelle "on se mit sur le vide", il écrit à Mersenne:

"J'avois averti M. Pascal d'expérimenter si le vif-argent montoit aussi haut, lorsqu'on est au dessus d'une montagne, je ne scay s'il l'aura fait"

Deux ans plus tard, il écrit à un autre correspondant, Carcavy (autre habitué de l'Académie de Mersenne):

"Je me promets que vous n'aurez pas désagréable que je vous prie de m'apprendre le succès d'une expérience qu'on me dit que M. Pascal avait faite, ou fait faire, sur les montagnes d'Auvergne. J'aurais le droit d'attendre cela de lui plutôt que de vous, parce que c'est moi qui l'ai avisé, il y a deux ans, de faire cette expérience, et qui l'ai assuré que, bien que je ne l'eusse pas faite, je ne doutais pas du succès, mais parce qu'il est l'ami de M.de Roberval qui fait profession de n'être pas le mien, et que j'ai déjà vu qu'il a déjà tâché d'attaquer ma matière subtile dans un certain imprimé de deux ou trois pages, j'ai lieu de croire qu'il suit la passionde son ami."

L'imprimé de deux ou trois pages, c'est évidemment l'opuscule des"Nouvelles Réflexions", envers lequel le procédé de style marque un mépris plus que certain... La rancune tenace vis à vis de Roberval semble ne rien arranger!

Acte V: "lettre de Monsieur Périer à Monsieur Pascal le Jeune, du 22 Septembre 1648":

"Monsieur,
Enfin j'ai fait l'expérience que vous avez si longtemps souhaitée. Je vous aurais plus tôt donné cette satisfaction; j'en ai été empêché, autant par les emplois que j'ai eus en Bourbonnais, qu'à cause que, depuis mon arrivée, les neiges et les brouillards ont tellement couvert la montagne du Puy de Dôme où je devais la faire, que, même en cette saison qui est ici la plus belle de l'année, j'ai eu peine à rencontrer un jour où l'on pût voir le sommet de cette montagne, qui se trouve d'ordinaire au dedans des nuées, et quelquefois au dessus, quoiqu'en même temps il fasse beau dans la campagne; de sorte que je n'ai pu joindre ma commodité avec celle de la saison, avant le 19 de ce mois. Mais le bonheur avec laquelle je la fis ce jour-là m'a pleinement consolédu petit déplaisir que m'avainet donné tant de retardements ."




Le Puy de Dôme au mois d'Août 1980... et comme le disent les montagnards, "le temps change vite en montagne!" La première image est typique des jours où M. Périer était indisponible en raison de son travail. Quant à la neige... serait-ce l'indice d'un réchauffement climatique? En deux ans de vie Clermontoise,le Mathouriste ne l'a pas vu si souvent sur cette montagne!

Suit un rapport très précis: nombreux témoins (ecclésaistiques et laïcs!), vérifcations à des étapes intermédiaires à la montée... le protocole scientifique est d'une qualité exemplaire. Le lendemain, un prêtre de la cathédrale lui demande de réitérer l'expérience au pied et en haut d'une tour de la cathédrale Notre Dame de Clermont! (Faut-il y voir une source de localisation indue à Notre Dame de Paris?)


Clermont-Ferrand, depuis le sommet du Puy de Dôme (Août 1980)
La cathédrale "des charbonniers" (dixunt les frères Goncourt!) est bien visible (flèche sur l'imagette)

Pour lire intégralement l'échange de lettres entre Pascal et son beau frère, rendez-vous sur Gallica:
Récit de la grande expérience de l'équilibre des liqueurs, projectée par le sieur B. P. pour l'accomplissement du traicté qu'il a promis dans son abbrégé touchant le vuide, et faite par le sieur F. P.en une des plus hautes montagnes d'Auvergne


On appréciera pa précision: qui l'a conçue, qui l'a réalisée...
.... et la saveur de l'expression "en vue des plus hautes montagnes d'Auvergne"

D'après ces lettres, Pascal indique lui-même avoir fait son expérience parisienne, à la Tour Saint-Jacques, et non à Notre-Dame . Le billet Français de 500F montrait d'ailleurs Pascal entre la Tour Saint-Jacques, à gauche, et le Puy de Dôme, bien reconnaissable à sa forme, à droite (ainsi que Clermont).


Complément: Quelques Conceptions du Vide à travers les Âges  

Complément Théâtral

Revenons à la rencontre des 23 et 24 Septembre et à ses mystères: elle n'a pas inspiré que le peintre de la Sorbonne; elle a aussi excité l'imagination de l'écrivain Jean-Claude Brisville, qui en a tiré, en 1985, une pièce de théâtre:
L’Entretien de M. Descartes avec M. Pascal le Jeune

Le duo de forts personnages lui va plutôt bien, puisqu'il a acquis une certaine célébrité avec le Souper, confrontation entre Fouché et Talleyrand (1989).
Créée en octobre 1985 au Théâtre de l'Europe dans une mise en scène de Jean-Pierre Miquel, avec Henri Virlogeux (René Descartes) et Daniel Mesguich (Blaise Pascal), la pièce a été reprise en 2007 au Théâtre de l'Œuvre dans une mise en scène de Daniel Mesguich, avec Daniel Mesguich (Descartes) et William Mesguich (Pascal).

in Télérama, 05/09/2009 texte édité

Visionner quelques brefs extraits.
Même si la Science n'en est pas absente, la pièce est plus axée sur philosophie et religion... et sur les différences d'attitude des deux personnages. C'est ce dernier point qui  intéresse l'auteur et sert de tremplin au dialogue qu'il a librement tissé à partir de leurs écrits, de l'histoire et de l'engagement personnels de chacun des deux protagonistes. Si librement d'ailleurs qu'il a pris... des libertés avec les dates: à la véritable date de leur rencontre (1647), Pascal n'est pas encore l'exalté religieux qu'il nous montre, et de très loin: il entre dans sa "période mondaine"; il désapprouvera l'entrée de Jacqueline à Port-Royal en 1651, ne connaîtra sa crise mystique qu'en 1654, et ne prendra publiquement position en faveur d'Antoine Arnault et du Jansénisme qu'un an plus tard.
C'est un texte dense, quoique court: une seule audition ne suffit pas à tout saisir! (Il est disponible aux Éditions Actes Sud)

DESCARTES (souriant).  C'est que nous avions des choses à nous dire.  (Un temps). On m'a parlé de vos expériences, à Rouen. J'ai moi-même réfléchi sur le Vide et je serais intéressé par ce que vous pensez de sa nature.

PASCAL. J'ai écrit là-dessus un Traité qui est en ce moment chez l'imprimeur , et qui répondra, je l'espère, à votre curiosité. Si vous le permettez, je vous le ferai parvenir sitôt sorti des presses.

DESCARTES. Je le lirai très volontiers, mais ce ne sera pas à Paris. La reine Christine à bien voulu penser à moi, et malgré les hivers du septentrion que je crains à mon âge, j'ai répondu à son invite. Adressez moi donc, je vous prie, votre ouvrage à Stockholm. Je gage qu'il sera le sujet d'un de mes entretiens avec cette grande princesse. Elle est savante et ne répugne point aux disputes les plus austères.

PASCAL. J'e lui ai envoyé ma machine arithmétique; elle ne l'a peut-être pas oubliée.

[...........................................................]

DESCARTES. Eh oui, Monsieur, je suis prudent, et quand je dis prudent.... Savez vous que j'ai travaillé trois ans à un ouvrage où je soutenais l'opinion de Copernic touchant au mouvement de la Terre autour du Soleil? Or lorsque j'ai appris la condamnation de Galilée pour avoir soutenu la même thèse, j'ai renoncé à publier mon livre. Et cependant, tout comme lui, je suis persuadé que la la Terre tourne autour du Soleil. Mais cette vérité pouvant être pour moi source d'ennuis, j'ai préféré ne pas la dire.

PASCAL. Jene vous savais pas si soucieux de votre accord avec l'Église.

DESCARTES. Elle est puissante et soupçonneuse... et je ne suis pas courageux tous les jours.

PASCAL. Cette franchise vous honore.

[...........................................................]
PASCAL. Et à quoi parviendrais-je? À une équation? Ne me faites pas rire.

DESCARTES. À une équation, en effet. À une équation où viendraient s'éclairer en se fondant toute les lois de l'Univers. N'est-ce donc rien, cela?

PASCAL. Ce tout vers quoi j'aspire est au delà de la mathématique.

Dossier de Presse de la pièce  
La presse en a parlé :

« Deux hommes dissemblables, si ce n’est qu’ils sont chrétiens tous les deux, et d’une intelligence supérieure. De quoi alimenter un texte ciselé avec soin par Jean-Claude Brisville. On se régale à écouter cette joute interprétée avec ferveur par Daniel Mesguich, un Descartes qui a de la griffe et ne fait pas patte de velours face à son jeune concurrent interprété par son fils William, ravi de conduire le duel. » Marion Thébaud, Le Figaro

« La rencontre des deux savants philosophes – dont l’admiration qu’ils éprouvent l’un pour l’autre n’est pas feinte – n’est pas sans provoquer de passionnants affrontements d’idées dans une perspective entre le savoir et le croire, la raison raisonnante et le dogmatisme sectaire. » Henri Lépine, La Marseillaise

« [Daniel Mesguich] passe le flambeau à son fils William, pour se glisser dans le costume de Descartes. Et comme ça lui va bien ! Et comme il semble heureux, à cette place-là, dans ce théâtre ami ! C’est pour ce bonheur partagé, pour ce duo de virtuoses à la troublante ressemblance qu’on aimera la pièce. » N.V.E, Le Point

et le Mathouriste  ajoute:
« J'ai eu souvent l'occasion de subir, je dis bien, j'insite: subir les mises en scènes de Daniel Mesguich. Et de souffrir en lieu et place de Racine ou Hugo, trop morts pour pouvoir protester. Mais là, franchement, il est excellent, et son fils ne le lui cède en rien. Sans la liberté de blâmer...»

Rencontres de Pierre

Pascal et Descartes n'ont cependant pas fini de se rencontrer... post mortem. Et pas même à la Sorbonne, à commencer par son grand amphithéâtre où tous deux figurent en bonne place aux côtés de Sorbon, Richelieu, Lavoisiser et Rollin
 


à ma gauche, Pascal... à ma droite, Descartes!

et, pour suivre, dans l'amphithéâtre Richelieu, en peinture, cette fois. Comme dans le grans amphi, il y a toujours quelqu'un pour les séparer... Bossuet, en l'occurrence!

On les retrouve, probablement faits par le même sculpteur, si l'on en juge par l'unité des socles, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève  (Paris)

Pour (Oser) Conclure: Art et Vérité Historique

    Faut-il déplorer la double inexactitude du peintre, qui ne représente pas les bons témoins, et de l'auteur de théâtre, qui les escamote sciemment? Le Mathouriste se garde bien de le penser. Qui songerait à reprocher au Macbeth de Shakespeare, à l'Andromaque de Racine, à la Marie Tudor de Hugo de n'être pas seulement un compte-rendu historique? Où serait alors ce qui nous les fait apprécier comme des chefs d'œuvre? L'auteur n'est ni un journaliste, ni un historien, et nous n'irions pas au théâtre nous faire lire le journal! Si, par contre, l'œuvre d'art nous invite à nous plonger dans l'histoire et dans la science, n'est-elle pas allé bien plus loin que son but?
    Le Mathouriste  avouera humblement que rédiger ces quelques éléments lui a apporté une salutaire clarifcation sur l'histoire de cette controverse; il espère donc que ses lecteurs, et particulièrement ceux qui ne sont pas scientifques de formation, trouveront aussi quelque intérêt à ce résumé. Qu'ils n'hésitent pas à réagir, critiquer, compléter...En attendant, il trouvera dans le cinéma un ultime pardon à ces torsions du réel:

"When the legend becomes fact, print the legend".
John FORD, The Man Who Shot Liberty Valance

Références:

Voir nos deux autres pages sur Pascal (liens ci-dessous)

Pour poursuivre dans nos pages...

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