À travers le

De Revolutionibus Orbium Cœlestium



Quatrième édition, 1854 (
Musée Copernic, Toruń)
Remarquer la gravure représentant la tout récente statue de Varsovie,

Le maître ouvrage du chanoine polonais a connu 5 éditions "historiques": l'editio princeps de 1543, une deuxième à Bâle en 1566, une troisième version "corrigée" en 1617 à Groningue (après la mise à l'Index de 1616 dans les pays catholiques), la quatrième à Varsovie en 1854, et enfin l'édition "de référence" de l'Académie de Varsovie en 1873, conforme au manuscrit original, retrouvé dans la bibliothèque Nostitz de Prague.

Sa présentation "grand public" est souvent limitée à ses préfaces et son premier livre, qui expose les principes généraux de son système. C'est là, sans doute, le plus important pour appréhender l'aspect philosophique, l'impact ultérieur et les remous engendrés (comme la condamnation de Galilée). Le reste est évacué sous prétexte d'être technique. Technique, certes, cela l'est... pourrait-il en être autrement? Pour autant, on peut y pénétrer un peu plus avant, en regardant les figures. C'est le pari que l'on fait ici.


Le petit coin de la technique: des calculs à lire ... ou à sauter!

Chers lecteurs, ce sera selon vos goûts: les cadres de cette couleur vous signaleront quelques approfondissements complémentaires par des petits calculs (niveau Bac ou Bac+1). Ils peuvent être sautés sans que cela nuise à la compréhension de la présentation géométrique.

Prélude: la Narratio Prima

Copernic n'a eu qu'un seul disciple -passionément dévoué, Joachim Rheticus (1514-). Il arrive à Frombork en 1539, et réussit à le convaincre d'imprimer quelques "bonnes feuilles" de sa théorie: ce sera la Narratio Prima, publiée à Gdansk en 1540. Pour Copernic, c'est sans doute aussi l'occasion de tâter le terrain; si les réactions sont hostiles, il tiendra une bonne raison de continuer à garder le De Revolutionibus par devers lui. Tout au contraire, l'accueil dans les milieux instruits est favorable, et elle a suffisamment de succès  pour être rééditée dès l'année suivante à Bâle.

Musée Copernic, Toruń


Préface(s): une prière, une dédicace... et un rajout

Les deux textes que Copernic place en tête de son livre démontrent une intelligence et une prudence couplées à une attitude scientifique droite et intransigeante. Ils constituent, l'un un témoignage en sa faveur, l'autre une plaidoirie sans faille contre toute accusation dont il pourrait être l'objet.
Le témoin cité est le cardinal Nicolas Schönberg, par une lettre où celui-ci le presse de publier son travail; en voici l'essentiel:


" NICOLAS SCHÕNBERG
CARDINAL DE CAPOUE, À NICOLAS COPERNIC

Comme depuis quelques années déjà je n'entendais de toute part que des louanges de ton génie, je commençai de t'avoir en haute estime, et d'en féliciter nos contemporains parmi lesquels tu te couvres d'une telle gloire. Car j'ai appris que, non seulement tu connais admirablement les découvertes  des anciens mathématiciens, mais que même tu as constitué une nouvelle doctrine du monde, selon laquelle la terre se meut tandis que le soleil occupe le lieu le plus bas et, par conséquent, le plus central de l'Univers 
[...]; que de tout ce système astronomique tu as composé des Commentaires et, ayant soumis au calcul les mouvements des astres errants, composé des tables à la grande admiration de tous. C'est pourquoi, homme très docte, je te demande de la manière la plus instante — à moins que je ne t'importune — de communiquer aux savants cette tienne découverte, et de m'envoyer aussi rapidement que possible les fruits de tes méditations nocturnes sur la sphère du monde, avec les tables, et tout ce que tu pourrais avoir encore concernant ce sujet. [...] 

Rome, le Ier novembre 1536."


Sa défense a priori est une dédicace à celui qui fut son condisciple à Bologne, Alexandre Farnèse, et occupe aujourd'hui les fonctions de pape sous le nom de Paul III. Les deux hommes s'appréciaient, échangeaient leurs vues en scientifiques libres, en philosophes ouverts. Il en résulte une aisance de ton, presque une familairité, envers celui à qui l'on s'attendrait plutôt à trouver une déférence protocolaire.
Premier argument: sa longue réserve, dont il ne sort que sur l'insistance... de membres haut placés du clergé. L'articulation avec la pièce précédente est parfaite!


Je puis fort bien m'imaginer, Très Saint Père, que, dès que certaines gens sauront que, dans ces livres que j'ai écrits sur les révolutions des sphères du monde, j'attribue à la terre certains mouvements, ils clameront qu'il faut tout de suite nous condamner, moi et cette mienne opinion. Or, les miens ne me plaisent pas au point que je ne tienne pas compte du jugement des autres. Et bien que je sache que les pensées du philosophe ne sont pas soumises au jugement de la foule, parce que sa tâche est de rechercher la vérité en toutes choses, dans la mesure où Dieu le permet à la raison humaine, j’estime néanmoins que l’on doit fuir les opinions entièrement contraires à la justice et à la vérité. Comme donc j’examinais ceci avec moi-même, il s’en fallut de peu que, de crainte du mépris pour la nouveauté et l’absurdité de  mon opinion, je ne supprimasse tout à fait l’œuvre déjà achevé.[...]
Mes amis cependant m’en détournèrent, moi qui longtemps hésitai et même leur résistai. Et parmi eux le premier fut Nicolas Schonberg, cardinal de Capoue, célèbre dans tous les domaines du savoir, ensuite Tiedemann Giese
, évêque de Culm[...],homme plein de zèle pour les choses sacrées et toutes les bonnes sciences. Celui-ci notamment, m’avait fréquemment exhorté et même m’avait poussé par des reproches maintes fois exprimés, à éditer ce livre et à faire voir le jour à l’œuvre qui était demeurée cachée chez moi non pas neuf ans seulement, mais déjà bien près de quatre fois neuf ans"

 en haut: Alexandre Farnese, quand il n'est que cardinal , par Rafaelo Sanzio (Musée de Naples)
 en bas: le même, âgé, devenu le Pape Paul III, entouré de ses neveux, par Le Titien (Musée de Naples)

Deuxième grand argument: la nécessité d'entrer dans l'arène pour trancher, par la hauteur de vue d'une théorie nouvelle, les débats entre partisans de systèmes plus ou moins bricolés, plus ou moins défectueux, n'améliorant pas de manière convaincante le système de Ptolémée, qui reste la grande référence en la matière:

"Mais Ta Sainteté sera peut-être moins étonnée que j’ose faire paraître ces miennes méditations, après avoir pris tant de peine à les élaborer[...], que désireuse d’apprendre de moi comment il m’est venu à l’esprit d’oser imaginer – contrairement à l’opinion reçue des mathématiciens et presqu’à l’encontre du bon sens – un certain mouvement de la terre. C’est pourquoi je ne veux pas cacher à Ta Sainteté que nulle autre cause ne me poussa à rechercher une autre façon de déduire les mouvements des sphères du monde que le fait d’avoir compris que les mathématiciens ne sont pas d’accord avec eux-mêmes dans leurs recherches. "


Troisième grand argument: il s'adresse à la fois à l'autorité suprême de l'Église autant qu'à un lecteur capable de le suivre, et dont la compétence scientifique lui permet d'examiner l'argumentation avec rigueur et impartialité:

"Et je ne doute pas que les mathématiciens ingénieux et savants ne s'accordent avec moi si seulement — ainsi que la philosophie l'exige en premier lieu — ils veulent étudier et examiner — non pas superficiellement mais d'une façon approfondie, — ce que, dans mon ouvrage, j'apporte à la démonstration de ces choses. Et pour que les savants et les ignorants voient pareillement que je ne veux éviter aucunement le jugement de personne, j'ai voulu dédier ces miennes recherches à Ta Sainteté plutôt qu'à tout autre, parce que, même dans ce coin éloigné de la terre où je vis, tu es considéré comme la personne la plus éminente, autant dans l'ordre de la dignité que pour l'amour des lettres et même des mathématiques ; afin que, par ton autorité et jugement tu puisses réprimer les morsures des calomniateurs ; quoiqu'il soit bien connu qu'il n'y a pas de remède contre la morsure des sycophantes.
Si cependant il se trouvait des μαTαιολόγοι qui, bien qu'ignorant tout des mathématiques, se permettaient néanmoins de juger de ces choses et, à cause de quelque passage de  l'Écriture,  malignement détourné de son sens, osaient blâmer et attaquer mon ouvrage ; de ceux-là je ne me soucie aucunement, et ceci jusqu'à mépriser leur jugement comme téméraire.
[...]
Les doctes ne s'étonneront donc pas si de tels gens se moquaient de nous. Les choses mathématiques s'écrivent pour les mathématiciens, auxquels, si mon opinion ne me trompe, ces miens travaux paraîtront contribuer à la gloire de la République Ecclésiastique dont Ta Sainteté occupe aujourd'hui le principat."


Tout est dit dans ce "Mathemata mathematicis scribuntur" (en V.O.) qui limite avec autorité le droit de débattre à ceux qui ont la compétence requise; implicitement, les théologiens qui borneraient leur érudition aux Écritures... sont priés de se taire, ou d'obtempérer à leur chef qui, fort heureusement, est de l'élite avertie; pour le reste, que les chiens aboient, la (céleste) caravane passe.

Oui, mais voilà: et si ce n'était encore pas assez? Et si on remettait une petite couche de prudence supplémentaire?

" AU LECTEUR SUR LES HYPOTHÈSES DE CETTE ŒUVRE

Je ne doute pas que certains savants — puisque déjà s'est répandu le bruit concernant la nouveauté des hypothèses de cette œuvre, qui pose la terre comme mobile et le soleil, par contre, comme immobile au centre de l’Univers, — ne soient fortement indignés et ne pensent qu'on ne doit pas bouleverser les disciplines libérales, bien établies
depuis très longtemps déjà. Si cependant ils voulaient bien examiner cette chose de près, ils trouveraient que l'auteur de cet ouvrage n'a rien entrepris qui mériterait le blâme. En effet, c'est le propre de l'astronome de colliger, par une observation diligente et habile, l'histoire des mouvements célestes. Puis d'en [rechercher] les causes, ou bien — puisque d'aucune manière il ne peut en assigner de vraies — d'imaginer et d'inventer des hypothèses quelconques, à l'aide desquelles ces mouvements (aussi bien dans l'avenir que dans le passé) pourraient être exactement calculés conformément aux principes de la géométrie. Or, ces deux tâches, l'auteur les a remplies de façon excellente. Car, en effet, il n'est pas nécessaire que ces hypothèses soient vraies ni même vraisemblables ; une seule chose suffit : qu'elles offrent des calculs conformes à l'observation. "


Ce texte anonyme, Delambre, qui a signé la meilleure histoire de l'astronomie de son époque (1821), le croit de Copernic; il se trompe.
Le propos peut être considéré comme la base de la position de l'
Église catholique jusqu'à la mise à l'Index (1616): tant qu'il ne s'agit que d'hypothèses de calcul, pourquoi s'en priver si elles améliorent la précision? Il retourne l'argument élitiste "Mathemata mathematicis scribuntur" en un:
 "Laissons donc leurs jouets aux mathématiciens, tant qu'ils restent dans leur coin en nous laissant tranquilles..."
(Ne croyez pas qu'une telle attitude soit l'apanage de temps anciens; l'ingénieur Pierre Bézier -sans qui les polices de caractère à taille variable, avec lequel ce texte est frappé, n'existeraient pas- en fut victime chez Renault dans les années 1950-1960!). Bref, l'exercice est suffisamment habile et retors pour imaginer qu'il émane d'un jésuite...
Mais non! C'est un théologien protestant, Andreas Osiander, à qui Rheticus a laissé le soin de superviser l'impression, qui en est l'auteur. Tiedeman Giese est furieux, et veut obtenir que l'imprimeur supprime cet ajout non autorisé. Mais Rheticus (sans doute estime-t-il qu'il est plus prudent de le laisser?) n'en fait rien...
 

Un Livre Premier, fondateur... et parfois curieux!

Onze chapitres très courts -quelques pages seulement,le premier n'en fait qu'une demi!- brossent le tableau d'ensemble.
Cela démarre assez mal du point de vue scientifique: des a priori quasi mystiques, des raisons qui nen sont pas... pas sûr que ces phrases, proposées avec un QCM sur le nom de l'auteur, seraient attribuées par un lecteur non averti à Copernic plutôt qu'à Nostradamus ou quelque charlatan ordinaire. Exemples:


" CHAPITRE I
QUE LE MONDE EST SPHÉRIQUE

Tout d'abord il nous faut remarquer que le monde est sphérique, soit parce que cette forme est la plus parfaite de toutes, totalité n'ayant besoin d'aucune jointure; soit parce qu'elle est la forme ayant la capacité la plus grande, qui convient le mieux à tout contenir et tout embrasser ; soit aussi [...]

CHAPITRE II
QUE LA TERRE AUSSI EST SPHÉRIQUE

La terre également est sphérique, car de tous les côtés elle s'appuie sur son centre."



Le monde de Copernic, selon sa statue à Toruń

Avec le chapitre IV se précise la forme des trajectoires et son "credo des cercles". Dans le titre, le mot le plus important, le plus annonciateur est le mot composé: clairement, des orbites circulaires ne suffiront pas (pas même en s'autorisant des excentriques); la technique ptoléméenne des cercles sur cercles n'est pas récusée, mais plus simplement, donc mieux exploitée.
ex exploitée. Quant à la justification de l'emploi des cercles, elle est du même goût que celle des sphères dans les deux premiers chapitres... pas étonnnant, puisqu'elle est censée en découler!



" CHAPITRE IV
QUE LE MOUVEMENT DES CORPS CÉLESTES EST UNIFORME  ET CIRCULAIRE, PERPÉTUEL, OU COMPOSÉ DE [MOUVEMENTS] CIRCULAIRES

Nous allons rappeler maintenant que le mouvement des corps célestes est circulaire. En effet, la mobilité [propre] de la sphère est de tourner en rond; par cet acte même, tandis qu'elle se meut uniformément en elle-même, elle exprime sa forme, celle du corps le plus simple où l'on ne peut trouver ni commencement ni fin, ni distinguer l'un de l'autre."


Cette conception est aussi vieille qu'Aristote. Mais chez ce dernier, il en est ainsi parce que les shères sont célestes, divines; chez Copernic, le dogme marque le primat absolu de la géométrie. On serait tenter de le dire en invoquant la dimension: le cercle est en dimension 2 ce que la sphère est en dimension 3! Et Dieu, dans tout ça? (On peut supposer que, vu ses fonctions, Copernic lui trouve sa place...) Grand Géomètre de l'Univers, certainement.

Mais comment concilier la complexité des mouvements réels observés (voir plus bas le cas de Mars en images) et le principe de 
simplicité des mouvements circulaires? Copernic sait bien, dès le départ, que la lumineuse simplicité de son schéma général (le filigrane de cette page, qui apparaîtra au chapitre X) ne suffira pas seul à produire des tables permettant de prédire les positions prochaines des planètes. Il a, alors, deux intuitions remarquables... mais qu'il exprime avec une certaine maladresse, qu'on pourrait lire comme une double erreur. Voici ces quelques lignes, d'une exceptionnelle densité de sens:

"Quant aux autres cinq astres errants, nous les voyons même parfois rétrograder et faire des arrêts entre ces deux mouvements. Et, tandis que le soleil avance toujours sur son chemin, ceux-ci errent de façons diverses, tantôt vers le Sud, tantôt vers le Nord; c'est pourquoi aussi ils sont appelés errants (planètes). [...] Il faut néanmoins reconnaître que leurs mouvements sont circulaires ou composés de plusieurs cercles parce qu'ils exécutent ces inégalités conformément à une loi certaine et se reproduisent périodiquement, ce qui ne pourrait se faire s'ils n'étaient pas circulaires. En effet, le cercle seul peut ramener le passé [...]"



Pour d'autres exemples, voir la liste complète avec les plans!
       
Avec la question du mouvement de la terre est soulevée celle de la relativité du mouvement, et des apparences trompeuses qui peuvent en résulter; elle revient dans deux chapitres:


" CHAPITRE V
UN MOUVEMENT CIRCULAIRE CONVIENT-IL A LA TERRE ? ET DE SON LIEU

[...] Certes il est admis ordinairement parmi les auteurs que la terre est en repos au centre du monde, de telle façon qu'ils estiment insoutenable et même ridicule de penser le contraire. Si cependant nous examinons cette question avec plus d'attention, elle nous apparaîtra comme nullement résolue encore et partant, aucunement méprisable. En effet, tout mouvement local apparent provient soit du mouvement de la chose vue, soit de celui du spectateur, soit d'un mouvement, inégal bien entendu, des deux."

"CHAPITRE VIII

[...] Pourquoi donc hésiterions-nous plus longtemps de lui attribuer une mobilité s'accordant par sa nature avec sa forme, plutôt que d'ébranler le monde entier, dont on ignore et ne peut connaître les limites ? Et n'admettrions-nous pas que la réalité de cette révolution quotidienne appartient à la terre, et son apparence seulement au ciel ! Et qu'il en est par conséquent comme lorsqu'Énée (chez Virgile) dit : nous sortons du port et les terres et les villes reculent "


La clef de voûte de l'édifice copernicien, c'est bien sûr le chapitre X, où Copernic dispose ses orbites suivant l'ordre des périodes -ce que faisaient les grecs, mais le soleil mobile prenait alors la place qui revient à la terre, occasionnant alors les incohérences dans les mouvements de Vénus et Mercure discutées plus loin. Heureusement que Voltaire n'a pas lu le morceau qui suit, il l'aurait sans doute raillé comme il a moqué Leibniz dans Candide!


" CHAPITRE X
DE L'ORDRE DES ORBES CÉLESTES

[...] Or, il faut plutôt se conformer à la sagesse de la Nature qui, de même qu'elle a craint au plus haut degré de produire quelque chose d'inutile ou de superflu, a le plus souvent doté une même chose de plusieurs effets. Et bien que toutes ces choses soient difficiles et presqu'impensables, et assurément contraires à l'opinion de la multitude, néanmoins, avec l'aide de Dieu, nous le ferons par la suite plus clair que le jour, du moins pour ceux qui n'ignorent pas les mathématiques. C'est pourquoi, la première loi restant admise — personne en effet n'en proposera de plus convenable — que, notamment, la grandeur des orbes est mesurée par la grandeur des temps, l'ordre des sphères en résulte, en commençant par le plus haut, de la façon suivante."



(Musée Copernic, Toruń)

On saisit mieux qu'à ce point du discours, la figure ne doit pas s'encombrer de détails superflus et complications qui nuiraient à la bonne compréhension de l'essentiel. Le détail des "compositions de mouvements circulaires", ce sera pour un peu plus loin, quand on regardera de plus près chaque planète.

Le chapitre XI attribue à la terre, outre son mouvement diurne autour de son axe et sa course annuelle autour du soleil, un troisième mouvement pour justifier le maintien de son axe polaire parallélement à lui-même, cause essentielle des saisons et de la durée variable des jours. Copernic croit que le mouvement annuel pousserait cet axe à décrire un cône (mais c'est inexact); il cherche donc à le compenser. L'erreur est ancedotique, mais elle met à jour son souci de pédagogie.


" CHAPITRE XI
DÉMONSTRATION DU TRIPLE MOUVEMENT DE LA TERRE

[...] Or comme ces choses sont telles qu'il vaut mieux les présenter aux yeux plutôt que les exposer verbalement, nous allons décrire le cercle a b c d qui représentera le circuit annuel du centre de la terre dans le plan de l'écliptique ; et dans son centre, e, sera le soleil. Ce cercle, je le coupe en quatre parties égales par les diamètres sous-tendant [les arcs] a e c et b e d ; admettons que le point a soit occupé par le commencement du Cancer, b par celui de la Balance, c - du Capricorne, d - du Sagittaire."




Napoléon n'est donc pas le premier à l'avoir dit... mais peut-être l'a-t-il appris lors de son passage à Toruń?

Dans les éditions courantes, ce chapitre se termine en citant une lettre entre Pythagoriciens... apocryphe, selon Koyré. Elle remplace -pour le moins curieusement- trois chapitres de trigonométrie (plane puis sphérique) qui ont également été publiés de façon séparée. Mais cela peut toujours servir à des astronomes...




  (Musée Copernic, Toruń) Édition de 1543: le chapitre XII (trigonométrie) s'enchaîne après la dernière figure, sans trace d'une soi-disant lettre de Lysis à Hipparque.

Cette partie est composée d'une succession de théorèmes et de tables. L'inspiration est évidente, car son deuxième théorème n'est autre que le théorème de Ptolémée (un non-latiniste en reconnaîtra au moins la figure!), grâce auquel le maître alexandrin peut composer sa table de cordes, équivalente d'une moderne table des sinus, et première du genre.


Théorème de Ptolémée  sur les quadrilatères  inscrits:
AC.BD =  AB.CD + AD.BC
Table en résultant


Remarques finales sur ce Premier Livre

  1. Des allusions rapides montrent un Copernic parfaitement conscient que quelques astronomes antiques l'ont précédé dans une conception héliocentrique:

" CHAPITRE V
UN MOUVEMENT CIRCULAIRE CONVIENT-IL A LA TERRE ? ET DE SON LIEU

[...]Philolaus le Pythagoricien, un mathématicien remarquable, pensait, dit-on, que la terre se meut circulairement et même quelle est animée de plusieurs autres mouvements, et est un des astres. C'est pourquoi Platon n'hésita pas à se rendre en Italie, ainsi que le rapportent ceux qui ont raconté sa vie."

" CHAPITRE XI
DÉMONSTRATION DU TRIPLE MOUVEMENT DE LA TERRE

[...] Or, si nous reconnaissons que les mouvements du soleil et de la lune peuvent se déduire de l'immobilité de la terre, celle -ci ne s'accorde que très peu avec ceux des autres planètes. On peut donc croire que c'est pour de telles causes ou pour des causes semblables que Philolaus avait admis la mobilité de la terre -opinion qui, selon certains, était aussi celle d'Aristarque de Samos. "


C'est indiscutablement Aristarque de Samos qui a poussé le plus loin, le plus solidement cette vision, sans réussir pourtant à l'imposer. En tout cas,  le mathouriste espère bien vous reparler plus longuement de lui un de ces jours...
  1. Rien de la théorie héliocentrique ne vient heurter la religion de Copernic; au contraire, simplicité et harmonie sont pour lui les marques les plus sûres d'un ordre Divin. On notera, au passage, une quasi-formulation d'un principe d'optimalité naturel!

" CHAPITRE X
DE L'ORDRE DES ORBES CÉLESTES


[...] Or, il faut plutôt se conformer à la sagesse de la Nature, qui[...]a craint au plus haut degré de produire quelque chose de d'inutile ou de superflu [...]  Et bien que toutes ces choses soient difficiles et presque impensables, et assurément contraires à l'opinion de la multitude, néanmoins, avec l'aide de Dieu, nous le ferons plus clair que le jour, du moins pour ceux qui n'ignorent pas les mathématiques."

[...] Nous trouvons donc dans cet ordre admirable une harmonie du monde, ainsi qu'un rapport certain entre le mouvement et la grandeur des orbes, tel qu'on ne peut le retrouver d'une autre manière.

 [...]Tellement parfaite, en vérité, est cette fabrique divine du meilleur et suprême Architecte. "

Deux Avantages du Modèle Copernicien

Les Rétrogradations enfin expliquées

Les observations des anciens avaient laissé aux planètes un nom aussi plein de poésie que de... perplexité (au minimum), voire de désespoir (quand il s'agissait d'expliquer): les astres errants, tant leur trajectoire sue la voûte céleste pouvait surpendre: arrêt, retour en sens inverse, puis nouvelle inversion du sens de marche, le tout se reproduisant de loin en loin, en des positions du zodiaque toujours changeantes...

Mars en Juin 2010, chronophotographie de la NASA

Faute d'expliquer cet étrange comportement, au moins, l'interpréter mathématiquement (et donc, pouvoir prédire): sauver les phénomènes, comme on disait. Les épicycles de Ptolémée y pourvoyaient assez bien: aucune mécanique (aucun système de forces) n'en fournissait les raisons, mais le mouvement (la cinématique) en était décrit. Les Dieux de l'Olympe aimaient les épicycles, voilà tout; bientôt le Dieu unique des chrétiens aurait le même (bon, forcément bon) goût géométrique: circulez, rétrogradez, il y a tout à voir, mais ne cherchez pas à savoir pourquoi! Voici la présentation du problème, selon Galilée, défenseur -et illustrateur- de Copernic:

"SALVIATI: Dans Ptolémée il y a les infirmités, et dans Copernic les remèdes. [...] Il y a de tels mouvements difformes dans la construction de Ptolémée, alors que, dans celle de Copernic, tous les mouvements sont uniformes autour de leur propre centre. Chez Ptolémée, on devait attribuer aux corps célestes des mouvements contraires, ils devaient aller d'est en ouest, mais aussi tous ensemble d'ouest en est ; avec Copernic, toutes les révolutions célestes vont dans le même sens, d'ouest en est.
Et que dire du mouvement apparent des planètes? Il est si difforme que non seulement elles vont tantôt plus vite tantôt plus lentement, mais aussi s'arrêtent parfois et parcourent même un long chemin en arrière! Pour sauver cette apparence, Ptolémée a introduit d'énormes épicycles, les adaptant un par un à chaque planète,avec certaines règles concernant les des mouvements incohérents: tout cela disparait avec un mouvement très simple de la terre.
[...]
"SAGREDO: Ces stations, ces retours en arrière, ces mouvements directs m'ont toujours paru fort improbables: j'aimerais comprendre mieux comment tout cela se produit avec le système de Copernic.
SALVIATI:  Vous allez les voir se produire, signor Sagredo, et, sauf obstination ou incapacité d'apprendre, cette hypothèse devrait suffire pour qu'on donne son assentiment à toute cette théorie."

Galileo Galilei, Dialogue sur les Deux Grands Systèmes du Monde


La théorie héliocentrique de Copernic en donne une explication naturelle en comparant les mouvements de la Terre et celui de Mars: on reste donc dans le domaine cinématique. Même si l'on ignore leurs causes, comparer deux
mouvements circulaires explique naturellement l'apparence du mouvement.



 Chapitre XXXV: Des stations et rétrogradations des cinq planètes errantes

Ce qui est difficile dans les choses simples, c'est... de les découvrir. Mais quand ce difficile travail est fait, deux enfants pourraient comprendre: il suffirait de les placer sur un manège dont deux couronnes concentriques tournent à des vitesses différentes, et de leur demander de faire quelques photos avec, au fond, le cercle de leurs parents, immobiles, qui les regardent...



par Copernic,
dans le
De Revolutionibus
par Galilée,
dans le
Dialogue
par la NASA,
 en animation!

Laissons Galilée commenter son propre schéma; bien noter qu'il emploie des capitales droites pour les positions de la tere, des capitales italiques un peu plus petites pour celles de Jupiter, des minuscules sur le Zodiaque. Pour bien suivre, ouvrez la figure de Galilée dans une autre fenêtre et juxtaposez les!

"SALVIATI: Pour que vous compreniez tout cela facilement, je vais en tracer la figure.
Supposez que le Soleil soit en
O, et traçons l'orbe décrite par la Terre autour de lui dans son mouvement annuel, soit BGM; le cercle que décrit par exemple Jupiter 
autour du Soleil en 12 ans, ce sera BGM, et, sur la shère étoilée, le zodiaque sera yus. Prenons aussi sur l'orbe de la Terre des arcs égaux BC, CD, DE, EF, FG, GH, HI, IK, KL, LM, et, sur le cercle de Jupiter , notons les arcs que cette planète parcourt dans les mêmes temps où la Terre parcourt les siens, soit BC, CD, DE, EF, FG, GH, HI, IK, KL, LM [...]
 Supposons maintenant que, la Terre étant en B, Jupiter soit en B, Jupiter nous paraîtra sur le zodiaque en p, sur la ligne droite BBp. Quand la Terre va de B en C, Jupiter, qui va dans le même temps de B en C, nous apparaîtra arrivé sur le  zodiaque en q, ayant eu un mouvement direst selon l'ordre des signes p et q.quand ensuite la terre se trouve en D et Jupiter en D, c'est en r qu'on verra Jupiter, [...]toujours en mouvement direct. Mais quand ensuite la Terre commencera à à s'interposer plus directement entre Jupiter et le Soleil , c'est à dire quand elle arrivera en F et Jupiter en F, Jupiter apparaîtra en t, ayant commencé à revenir apparamment en arrière sur le zodiaque; et pendant que la Terre aura parcouru l'arc EF, Jupiter sera revenu en arrière de s en t, [...] quand la Terre arrivera en I et Jupiter en I, Jupiter se sera apparamment déplacé sur le zodiaque de la faible distance xy, il semblera alors stationnaire. Quand ensuite la Terre arrivera en K et Jupiter en K, Jupiter aura parcouru sur le zodiaque l'arc yn en mouvement direct; continuant sa course, la Terre en L verra en z Jupiter qui est en L; finalement, quand Jupiter est en M, il paraît, vu de la Terre, être arrivé en a selon un mouvement direct à nouveaau; toute sa rétrogradation apparente sera égale sur le zodiaque à l'arc sy que semble parcourir Jupiter quand il parcourt, sur son propre cercle, l'arc EI pendant que la Terre, sur son cercle, parcourt l'arc EI ."


Galileo Galilei, Dialogue sur les Deux Grands Systèmes du Monde

Compléments: voir les rétrogradations

Les Élongations bornées, enfin expliquées

Contrairement à Mars, Jupiter et Saturne, Vénus ne s'écarte jamais du soleil de plus de 46°, et Mercure de 28°. Cet étrange comportement intriguait les anciens; il se comprend immédiatement si l'on dit, avec Copernic, que c'est le demi-angle sous lequel est vu l'orbite de cette planète depuis la terre, située à l'extérieur de cette orbite. (La position de la terre sur sa trajectoire n'a aucune importance, car la figure est invariante par rotation)

explication de l'élongation bornée: figure, page de droite

Point si important que Copernic le mentionne dès le livre I comme "preuve" de son système

" CHAPITRE X
DE L'ORDRE DES ORBES CÉLESTES

[...] Mais ceux qui placent Vénus, puis Mercure, au-dessous du soleil, ou les ordonnent d'une autre manière, quelle raison allégueront-ils [du fait] qu'ils n'effectuent pas des circuits indépendants et différents du soleil, de même que les autres planètes, à moins que le rapport de rapidité et de lenteur n'en fausse pas l'ordre ? Il faudrait donc, soit que la terre ne soit pas le centre auquel se réfère l'ordre des astres et des orbes, soit encore qu'il n'y ait pas de raison de leur ordre, et qu'on ne sache pas pourquoi le lieu supérieur est dû à Saturne plutôt qu'à Jupiter ou qu'à n'importe quel autre."


Et quelques autres aspects...

L'astronomie ptoléméenne avait recours à une trousse à outils ingénieuse, mais disparate: excentriques, épicycles, point équant. Ce dernier en particulier exaspérait Copernic qui voulait s'en défaire, car il lui paraissait -avec raison- totalement artificiel. Il y réussit, mais...

Le petit coin de la technique: les épicycles, un jeu d'enfant!

Si vous vous êtes déjà amusés avec le célèbre jouet Spirograph, vous savez ce que sont des épicycles. Comme leur nom l'indique, ce sont des courbes décrites par un point fixe d'une roue qui roule sur une autre roue. Voici un exemple de démonstration pour étudiants (probablement de la fin du XIXème siècle):

Gabinetto di Fisica (Florence)

On en montre ci-dessous une version "à l'ancienne", dérivée d'un premier modèle de Suardi (1752): divers jeux d'engrenages interchangeables permettent une grande variété de tracés.



 Traceur d'épicycles (XVIIIème siècle)  et quelques exemples (Londres, Musée des Sciences)

On trouve aujourd'hui de nombreux sites Internet dédiés; le Mathouriste vous suggère de faire vos propres expériences sur celui-ci, qui est d'un emploi très simple: R et r sont les rayons du déférent et de l'épicycle; d  est la distance du point marqué au centre de la roue.)
Pour plus de détails mathématiques, voir sur les sites:

Les Planètes Supérieures

Il s'agit de Mars, Jupiter et Saturne,ainsi nommées d'après la position de leurs orbites par rapport à celle de la terre (on dit aussi, de manière tout aussi évidente, extérieures). Leur mouvement, dans le livre de Copernic, est traité de même pour les trois: un cercle, excentrique par rapport à celui de l'orbite terrestre, qui n'est PAS la trajectoire de la planète, mais le déférent sur lequel tourne, à vitesse uniforme, le centre d'un petit cercle que décrit uniformément la planète, avec la même vitesse angulaire: Copernic n'en a pas fini avec les épicycles de Ptolémée, il les utilise! Ce sera une "faiblesse" de sa théorie, car ses adversaires auront beau jeu de rétorquer : "autant laisser ce mécanisme autour de la terre!".

En voici le développement en trois étapes représentant un demi-tour sur le déférent; le cercle intérieur est l'orbite terrestre. La planète décrit l'arc AIL, qui n'est pas un cercle, ce que Copernic remarque fort bien: la preuve en est que I n'est pas situé sur le cercle de diamètre AL.
"Non describit circulum perfectum, sed quasi"
Il s'agit en fait d'une courbe cycloïdale assez simple -mais fausse: elle ne peut être l'ellipse dont Kepler prouvera plus tard qu'elle est la trajectoire exacte.




 Fig. 1  Fig. 2  Fig. 3


Le petit coin de la technique: calcul de la trajectoire exacte

Pour simplifier, on a fait tourner la figure de 90° vers la droite, ainsi la position de départ est horizontale. Le but est d'écrire l'équation dans le repère bleu.
étape 1:
Dans le repère vert, l'épicycle a pour équation
z1 = - r eiωt 
Le "-" est dû à la position initiale, matérialisée par le point jaune.

étape 2:
Dans le repère rouge, l'épicycle a toujours pour équation
z1 = - r eiωt
Mais ce repère a tourné, à la même vitesse angulaire ω ; si on voulait exprimer l'équation dans un repère de même origine, d'axes parallèles aux axes bleus (ou verts), on aurait donc:
z2 = eiωt . z1 = - r eit 

étape 3:

Enfin, pour revenir au repère bleu, on ajoute l'origine mobile sur le "grand" cercle, de rayon R

z = R eiωt + z2 = R eiωt - r eit 

C'est l'équation de la trajectoire de la planète; elle est du quatrième degré (tout exprimer en u = tan t/2): ce n'est  donc pas une ellipse!

étape 3bis : D'ailleurs, ses équations paramétriques s'écrivent:
 x = R cos t - r cos 2t
y = R
sin t -  r 
sin 2t

Soit, en  X = x - r , Y =

 x = R cos t - 2r cos² t        =  ( -  2cos t ) cos t
y = R
sin t -  2
cos t .sin t = ( -  2cos t ) sin t

D'où l'équation polaire dans un repère d'origine Ω (r,0)
ρ =  -  2cos t
On reconnait... un limaçon d'Etienne Pascal; l'équation cartésienne s'obtient facilement, confirmant le degré 4:
(X² + Y² +2rX)² - R²(X² + Y² ) = 0


Après ces généralités, Copernic donne l
es détails propres à chaque planète; ainsi, les pages ci-dessous sont consacrées à Saturne




Manuscrit (fac-simile) et plomb de composition pour l'édition de Torun (1873)
(Musée Copernic, Toruń)  
Édition de Nuremberg (1543)


Exemple de tables: Saturne

La Lune  

Son mouvement épicyclique devient, pour le coup, naturel: son déférent est l'orbite circulaire de la terre; celle-ci n'est pas représentée sur la figure, mais le texte indique clairement que le soleil est en D, la terre en C: nous avons souligné en rouge son rayon DC. Seulement, un seul épicycle ne suffit pas (notamment pour expliquer les variations de son rayon apparent); qu'à cela ne tienne, Copernic en greffe un deuxième. Le premier, de rayon CF, est décrit en sens inverse de la rotation de la terre, le second, de centre F. dans le même sens. Et malgré tout, cela reste assez sommaire pour un mouvement si compliqué (la lune est soumise à la double attraction de la terre et du soleil, c'est le premier exemple de problème à 3 corps rencontré par les astronomes) que Newton en disait que c'était le seul à lui donner des maux de tête...



Plomb de composition de la page de gauche  On a rajouté, en rouge, le déférent constitué par l'orbite terrestre, dont Copernic n'a tracé que le rayon.


Le petit coin de la technique: pourquoi on ne peut que réussir avec les épicycles!

Un mouvement circulaire s'écrit
 z = R1 eiω1t = R1 (cos ω1t + i sin ω1t )
Avec un premier épicycle, on obtient la forme
 z = R1 eiω1t R2 eiω2t 
et avec un second
z = R1 eiω1t R2 eiω2t  + R3 eiω3t  

Or, le mouvement est périodique et régulier (pas de saut brusque des vitesses ou des accélérations). Ces hypothèses suffisent pour pouvoir le développer en série de FOURIER:
z = c1 eiωt  + c2 eit  + c3 ei3ωt + ...
chaque troncature constituant une approximation, de plus en précise.
Autrement dit, on s'approchera d'aussi près que l'on veut du mouvement réel en "entassant" de plus en plus d'épicycles!
On peut donc voir en Ptolémée, et en Copernic, qui reprend ce principe à sa suite, les premiers pionniers géométriques de l'analyse de Fourier.

Les Planètes Inférieures

Ou intérieures: ce sont Vénus et Mercure, la référence restant l'orbite terrestre. À nouveau, un système déférent-excentrique, mais cette fois, Copernic utilise un déférent de petit rayon: l'idée est que l'orbite est de déplacer très légèrement le centre du cercle, trajectoire "idéale" de la planète...

Vénus

Soulignons les étapes de la figure faite par Copernic: le cercle extérieur -laissé en noir- est l'orbite terrestre. La figure 1 montre le déférent de Vénus et son centre D, excentré par rapport à celui de la terre; la figure 2 donne la position du centre M lorsque la terre est en A ou B; autrement dit, la vitesse de description du déférent est double de celle de la terre sur son cercle. La figure 3 donne une position quelqconque F du centre de l'orbite de Vénus, qui est un épicycle de grand rayon. 



 Fig. 1  Fig. 2  Fig. 3

Mercure

L'histoire débute de la même manière, mais va se compliquer, en raison de son excentricité plus importante que celle de Vénus.


On commence par le même système déférent-épicycle (figure 4). Mais un nouveau petit cercle apparait sur la figure: celui de diamètre LK (figure 5). Il ne s'agit pas d'un nouvel épicycle: en fait, l'important est le segment LK sur lequel Copernic va faire "vibrer" la planète (figure 6, proposée dans une situation "quelconque", et non le cas particulier donné par l'ouvrage!).



 Fig. 4 Fig. 5 Fig. 6

Mais peut-on réaliser cela avec les mouvements circulaires uniformes qui restent le credo de l'auteur?

La réponse existe depuis environ 300 ans: c'est le couple d'Al-Tusi! Copernic a-t-il eu connaissance de son travail? Aucun document ne permet de l'affirmer, alors que  Copernic fait explicitement référence à des savants plus anciens du monde musulman: Al-Battani, Averroès. Dès lors, pourquoi cacherait-il le nom d'Al-Tusi s'il avait en main une traduction de son ouvrage? Cela ne ressemble pas à son style et à sa rigueur sur les sources. Et qui aurait fait cette traduction? Comment lui serait-elle parvenue? Aussi, jusqu'à nouvelle information, le plus sage est de supposer que, se posant le même problème que son prédécesseur, Copernic y a apporté la même solution; ce genre de situations est historiquement fréquent. Son lemme est donné dans le livre III, chapitre 4; en voici la page



 lemme d'Al-Tusi dans le De Revolutionibus (page de droite) Manuscrit arabe, Bibliothèque du Vatican

Et pour en savoir plus sur Al-Tusi (parce qu'il le vaut bien!), c'est dans nos pages:
premier épisode à Alamut, deuxième à l'observatoire de Maragheh (dans lequel on apprend tout sur son couple...)

La Réception et la Postérité

Dans les Sphères Religieuses

Dans un premier temps, la condamnation la plus ferme vient des milieux protestants, tandis que l'Église catholique semble s'en accomoder, tant que le système copernicien est traité comme une hypothèse mathématique parmi d'autres -ce qui le limite à une élite intellectuelle. Témoins, ces deux positions:

" Certains ont prêté attention à un astrologue parvenu qui s'efforce de montrer que c'est la Terre qui tourne et non le ciel ou le firmament, le soleil et la lune [...] Ce fou souhaite renverser toute la science de l'astronomie; mais l'Écriture Sainte nous dit (Josué X,12) que Josué commanda au Soleil de s'arrêter, et non à la Terre."
Martin Luther, Tischreden (1539)

"  S'il y avait une vraie preuve que le Soleil est au centre de l'Univers, [...] que le Soleil ne tourne point autour de la Terre mais la Terre autour du Soleil, alors il faudrait entreprendre avec une grande circonspection d'expliquer les passages de l'Écriture qui paraissent enseigner le contraire, et nous devrions dire que nous ne les comprenons pas plutôt que de déclarer fausse une opinion démontrée comme vraie. Mais je ne crois pas qu'il y ait une telle preuve, puisqu'on ne m'en a pas présenté.
Démontrer que l'on sauve les apparences en supposant le Soleil au centre et la Terre dans le ciel, ce n'est pas démontrer qu'en fait 
le Soleil est au centre et la Terre dans le ciel."

Cardinal Robert Bellarmin, lettre au père Foscarini (1615)


 Luther et LE Livre
Dresde, église Frauenkirche
Le cardinal Robert Bellarmin
Rome, église du Gesu (source: Wikipedia)

Bellarmin (qui écrit cet avertissement à un partisan quasi-déclaré de l'héliocentrisme) n'est pas un jésuite pour rien, mais force est de constater que son texte possède une rigueur scientifique et philosophique que n'a pas la condamnation péremptoire et définitive de Luther, pour qui la Bible, texte dicté par Dieu, ne peut souffrir qu'on lui conteste ne serait-ce qu'une virgule. Calvin est à peine plus modéré dans sa condamnation:

"Qui se hasarderait à placer l'autorité de Copernic au dessus de celle du Saint-Esprit?"
Jean Calvin, Commentaire sur la Genèse (vers 1550)

"Nous en verrons d'aucuns si frénétiques [...] qu'ils diront que le soleil ne se bouge, et que c'est la terre qui se remue et quelle tourne. Quand nous voyons de tels esprits, il faut bien dire que le diable les ait possédés, et que Dieu nous les propose comme des miroirs, pour nous faire demeurer en sa crainte. "
Jean Calvin, 8ème sermon sur la Première Épitre aux Corinthiens (vers 1556)

Bref, la religion de l'Église catholique est toute dans la préface du... protestant Osiander, dont l'ajout peut sembler a posteriori, sinon plus justifiable, du moins plus réaliste, parce qu'il avait sans doute une perception assez lucide des remous que risquaient d'entraîner les écrits du catholique Copernic. Ce qui ne l'excuse en rien de l'injustifiable, c'est à dire l'absence de signature et de consentement de l'auteur! Comment va-t-on, dès lors, parvenir rapidement à des positions inversées?
Tout se résume à la coïncidence de deux évènements a priori indépendants: la diffusion du livre de Copernic et celle de la Réforme. Pour lutter contre la seconde, la Papauté lance la Contre-Réforme, en forgeant des armes nouvelles, dont, principalement, la Compagnie de Jésus, l'Inquisition Romaine et la Congrégation de l'Index.

Le 24 Février 1616, le livre est mis à l'Index: voir ici une présentation du décret pontifical.
Certes, dès 1620, des éditions "expurgées" (le texte a été modifié par la Congrégation) peuvent circuler... et peut-être pas qu'elles: un catalogue de la Bibliotheca Huiltemiana (1836) mentionne un exemplaire de 1566 (donc, l'édition de Bâle) donné au couvent des Brigittins d'Armentières par le célèbre Lamoral, comte d'Egmont (1522-1568). Oui, ce même Egmont que célèbreront Goethe et Beethoven!

Et quand le Pape Jean-Paul II fait en 1992, au nom de l'Église, acte public de repentance pour la condamnation de Galilée (assez tiède, d'ailleurs, mais jugez vous-même, son texte est disponible...), pas de contrition sur la mise sous le boisseau du De Revolutionibus, tout polonais que soit son auteur: il y a une affaire Galilée, il n'y a pas "d'affaire Copernic".

Dans le Monde Scientifique

Joachim Rheticus, son élève, enseigna le système de Copernic à l'université de Wittenberg. Avec discrétion tout de même, car le doyen Philippe Mélanchton, âme damnée -si l'on ose dire-  de Luther, y était catégoriquement opposé. Michael Maestlin (1550-1631) fut l'un des premiers suiveurs, dont on minimisera d'autant moins le rôle qu'il fut le "passeur" essentiel vers les acteurs qui devaient ensuite occuper les deux premiers rôles: Kepler, dont il fut  le professeur, et Galilée, dont, probablement, il façonna la conviction lors d'échanges épistolaires. Enfin, à Wittenberg encore, Erasmus Reinhold construira les premières tables astronomiques faites à partir de l'ouvrage de Copernic, les Tables Pruténiques, qui devaient constituer la base de la réforme du calendrier par le Pape Grégoire XIII, en 1582.



 Tables Pruténiques, disponibles en ligne sur le site de l'Université Louis Pasteur (Strasbourg)


En Italie, le premier convaincu est le moine dominicain Giordano Bruno (1548-1600). La préface anonyme ne l'abuse pas: pour lui, elle émane d'un âne! D'ailleurs, sa cosmologie va beaucoup plus loin que celle de Copernic: pour lui, le monde est infini et comporte de nombreux systèmes solaires, avec leurs propres planètes -on dirait aujourd'hui des exoplanètes (la première ne sera découverte qu'en... 1989) -dont certaines habitées. Par contre, sa position est uniquement philosophique, sans y adjoindre l'appui des mathématiques. Accusé d'athéisme et d'hérésie, il est envoyé au bûcher par l'Inquisition, dirigée par le cardinal Bellarmin.




 Statue de Giordano Bruno, par Ettore Ferrari, 1889. (Rome, Campo de' Fiori)
Sur le socle, plaques de bronze représentant le procès, puis le supplice du bûcher.



Une édition du Dialogue
(Musée Galilée, Florence)
En 1616, en même temps que la mise à l'index de l'ouvrage, Galilée s'est vu interdire l'enseignement de l'héliocentrisme... toujours par le cardinal Bellarmin. Mais assortie de la libéralité théorique déjà concédée, on l'a vu, à Foscarini. Et dont Galilée entend bien user, en présentant, en 1632, son Dialogue sur les Deux Systèmes du Monde, qui fait mine de présenter à égalité le système de Ptolémée contre celui de Copernic, chacun avec son champion, devant un "arbitre", un honnête homme qui joint la soif de savoir à l'impartialité de jugement. Ni le père Riccardi, chargé de son examen, ni l'Inquisiteur de Florence, ny trouvent à redire, et le livre obtient l'Imprimatur.

Mais les Jésuites, eux, ont su lire... même pas entre les lignes: ce match de boxe n'est que le massacre du tenant de l'ancien système par celui du nouveau; pire: le premier est constamment ridiculisé! On pourrait sans doute pardonner bien des choses à l'érudit Galilée, que Bellarmin lui-même estimait et qu'il mettait en garde plus qu'il ne le condamnait, mais pas son ironie mordante. Dès lors, les Jésuites vont convaincre le pape Urbain VIII, l'ami de Galilée quand il n'était que le cardinal Maffeo Barberini, que le savant se moque de lui et qu'il faut lui donner une leçon: le 22 Juin 1633, Galilée doit abjurer. Le pape ne peut que commuer sa peine de prison en une assignation à résidence: le symbole compte plus qu'un châtiment effectif.


Ci-dessous: deux planétaires de John Rowley, Londres, circa 1700 (Oxford, Musée des Sciences)


 Le système de Ptolémée: la Terre (en blanc) est au centre; puis viennent les cercles de la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil (la boule dorée!), puis Mars (son symbole bouclier-lance, etc...) Le système de Copernic: la boule dorée du soleil occupe le centre; puis viennent les orbes de Mercure, Vénus, la Terre (en blanc) avec la trajectoire lunaire autour de'elle, puis Mars, etc...

"GALILÉE: Il faut que je te dise quelque chose, Andrea: ne parle pas aux autres gens de nos idées.
 
ANDREA: Pourquoi?
GALILÉE: L'Autorité l'interdit.
 
ANDREA: Mais c'est pourtant la vérité.
GALILÉE: Mais elle l'interdit. Dans le cas présent, s'y ajoute autre chose. Nous, physiciens, ne pouvons pas toujours démontrer ce que nous tenons pour vrai. Même la théorie du grand Copernic n'est pas encore démontrée. Elle n'est qu'une hypothèse. [...]
  ANDREA: C'est quoi, une hypothèse?
GALILÉE: C'est quand on suppose vraisemblable quelque chose mais qu'on n'a pas de preuves matérielles. [...] Les vieilles théories auxquelles on a cru pendant mille ans sont devenues totalement vétustes; il y a moins de bois dans la construction de ces immenses bâtisses que dans les échafaudages censés les retenir. Beaucoup de lois pour expliquer peu de choses, là  où la nouvelle hypothèse, avec peu de lois, explique beaucoup de choses.
  ANDREA: Mais vous m'avez tout démontré!
GALILÉE: Seulement qu'il peut en être ainsi. Tu comprends, l'hypothèse est très belle, et rien ne s'y oppose.
 
ANDREA: Moi aussi, je veux devenir physicien, Monsieur Galilée!"
Bertolt Brecht, La Vie de Galilée

Et en France? Descartes -en fait, en Hollande à l'époque-  s'abstient prudemment d'afficher son copernicianisme, mais à un religieux éclairé et mathématicien, le père Mersenne, il n'hésite pas à livrer le fond de sa pensée:

"J'ai voulu entièrement supprimer le traité que j'en avais fait, et perdre presque tout mon travail de quatre ans, pour rendre une entière obéissance à l'Église en ce qu'elle a défendu l'opinion du mouvement de la Terre. Et toutefois, pour ce que je n'ai point encore vu que ni le pape ni le concile ayant ratifié cette défense, faite seulement par la Congrégation des cardinaux établie pour la censure des livres, je serais bien aisé d'apprendre ce qu'on en tient maintenant en France et si leur autorité a été suffisante pour en faire un article de foi. "
René Descartes, Lettre à Mersenne (Février 1634)

Pascal, lui, n'y va pas par quatre chemins: l'occasion est trop belle de pourfendre ses ennemis les Jésuites:

"Toutes les puissances du monde ne peuvent par autorité persuader un point de fait, non plus que le changer car il n'y a rien qui puisse faire que ce qui est ne soit pas. [...]


Ce fut en vain que vous obtîntes contre Galilée ce décret de Rome, qui condamnait son opinion touchant le mouvement de la Terre. Ce ne sera pas cela qui prouvera qu'elle demeure en repos et si l'on avait des observations constantes qui prouvassent que c'est elle qui tourne, tous les hommes ne l'empêcheraient pas de tourner, et ne l'empêcheraient pas de tourner aussi avec elle."
Blaise Pascal, 18ème Lettre Provinciale (24 Mars 1657)
recueil complet sur Gallica, voir pp 382-385

Ce sont Kepler, puis Newton, qui feront véritablement triompher Copernic: le premier en découvrant les 3 lois mathématiques du mouvement (et pas seulement un modèle de mouvement coïncidant fidèlement avec les phénomènes observés), le second en donnant la loi unique qui porte en elle l'explication physique. Ou autrement dit, le premier par l'explication cinématique (science du mouvement, indépendamment des forces), le second par l'explication mécanique (science des forces).

L'interdiction d'enseigner que la terre se meut fut levée, dans la plus grande discrétion, par Benoît XV en 1757.

Le Dialogue de Galilée resta à l'index
; il n'en sortit, non moins discrètement, qu'en 1822, sous Pie VII.

Références

Le De Revolutionibus

Livres:

Articles en ligne  

Sites:

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