Omar KHAYYAM

du Septième Ciel auTroisième Degré ... 

#3 : le Traité des Équations Cubiques


 
 
illustration de Dulac pour les Rubáiyáts
copie du traité d'algèbre (source inconnue)


Ouvrage essentiel? Bien évidemment, car c'est un chaînon longtemps manquant entre Al-Khwarizmi, qu'il prolonge remarquablement, et d'une part les algébristes italiens de la Renaissance, qu'il précède, mais d'autre part -faut-il dire surtout?- Descartes dans l'interaction entre Algèbre et Géométrie.
C'est en effet très tard, en 1851,  que cet ouvrage est rendu accessible à des lecteurs occidentaux ne pratiquant pas la langue arabe. Il est vrai que le Khayyam des
Rubayiats n'avait été "révélé" qu'ne 1823! Ce premier traducteur, Woepke,  nous révèle les six siècles d'oubli total de ce travail... et le siècle supplémentaire passé sans qu'il suscite un véritable intérêt:.


Leiden (Pays Bas) :
Bâtiment historique de l'Université, fondée en 1575.


"Il y a plus d'un siècle que l'algèbre d'Alkhayymi fixa pour la première fois l'attention d'un savant mathématicien.
En 1742,Gérard Meerman, [...]parlant des progrès que les Arabes avaient fait faire à cette branche des mathématiques, cite un manuscrit arabe du traité d'Alkhayymi, légué par Warner à la bibliothèque de Leyde. Il conjecture que ce manuscrit pourrait bien contenir la résolution algébrique des équations cubiques. Cela n'est pas; car on verra dans la suite que les découvertes d'Alkhayymi, quelques ingénieuses qu'elles soient, n'ont rien de commun avec celles des algébristes italiens du seizième siècle. Il est vrai que le titre du manuscrit arabe, tel que le donne le catalogue de la bibliothèque de Leyde, pouvait faire croire le contraire. [...]
Personne cependant n'avait encore pensé à examiner ce traité, signalé à l'attention des géomètres et des orientalistes, lorsque M. Sédillot annonça dans le Nouveau Journal Asiatique qu'il avait découvert, dans un manuscrit arabe de la Bibliothèque royale, un fragment très intéresant d'un traité d'algèbre. Le contenu de ce morceau présentait une analogie remarquable avec ce qui, selon toute probabilité, devait former le sujet du manuscrit de Leyde.
[...]
D'après l'analyse donnée par
M. Sédillot, M. Chasles, dans l'admirable travail qu'il a consacré à l'histoire de la géométrie, déclara qu'une publication complète de ce fragment serait d'un véritable intérêt pour l'histoire des mathématiques. "

F. Woepke, préface à l'Algèbre d'Omar Alkhayymi
 


Prélude en Forme de Brève Histoire


En ouverture, Khayyam délivre une brève histoire du sujet, qui motive son travail et en justifie par avance la nouveauté: oui, on a déjà rencontré quelques problèmes du troisième degré , mais de façon disparate; non, personne n'a jamais tenté une étude générale et systématique. Voici ses premières phrases:




" Une des théories mathématiques dont on a besoin dans la partie des sciences philosophiques cionnue sous le nom de
sciences mathématiques, c'est l'art de l'algèbre, lequel a pour but la détermination des inconnues, soit numériques, soit géométriques. Il se rencontre dans cette science des problèmes, dépendant de certaines espèces très difficiles de théorèmes préliminaires, dans la solution desquels ont échoué la plupart de ceux qui s'en sont occupés. Quant aux anciens, il ne lous est pas parvenu d'euxd'ouvrages qui en traite; peut-être, après en avoir cherché la solution et après les avoir étudiés, n'en avaient-ils pas pénétré les diffficultés; ou peut-être leurs recherches n'en exigeaient pas l'examen; ou enfin, leurs ouvrages à ce sujet, s'il y en a, n'ont pas été traduits dans notre langue.



Quant aux modernes, c'est Al-Mahani qui parmi eux se trouva amené à analyser par l'algèbre le lemme  qu'Archimède a utilisé, le considérant  comme admis, dans la proposition quatre du deuxième livre de son ouvrage sur la Sphère et le Cylindre. Il est alors parvenu à des cubes, des carrés et des nombres en une équation qu'il ne réussit pas à résoudre après y avoir longtemps réfléchi; il trancha donc  en jugeant que c'était impossible, jusqu'à ce que parût Abu Ja'far al-Khazhin qui résolut l'équation par les sections coniques. À sa suite quelques géomètres eurent besoin de plusieurs espèces de ces équations, et certains en résolurent quelques unes; mais aucun d'entre eux n'a rien dit de sûr à prpos de l'énumération de leurs espèces, ni du moyen d'obtenir chacune d'entre elles, ni de leur démonstration, si ce n'est relativement à deux espèces, que je mentionnerai."

O. K. , Traité d'Algèbre

 

Petite incise pour comprendre la délicieuse image potagère qui l'accompagne: le traité d'Archimède est si fameux (il contient une démonstration des volumes de ces deux solides par comparaison et  un problème de découpage par un plan de la sphère en deux parties, qui mène à cette équation du troisième degré) que son tombeau était, dit on, orné d'une sphère et d'un cylindre. Disparu des mémoires, il fut effectivement retrouvé par Cicéron, dont voici le témoignage:

" Lorsque j'étais questeur à Syracuse, alors que tous autour de moi disaient ignorer où gisaient les restes d'Archimede, je résolus néanmoins de retrouver sa sépulture. Je savais en effet, par mes lectures, que le tombeau du grand géomètre était décoré d'une sphère et d'un cylindre. Je me mis à le chercher.
Moi-même remarquai,
au milieu d'un terrain vague qui tournait au sous-bois, après des jours de vaine quête, ce qui ressemblait, d'entre les buissons, à un tombeau couronné d'une boule de lierre. J'envoyai mes compagnons couper à la serpe le maquis et dégager l'ouvrage. Ensuite, avec l'émotion qu'on imagine, n'osant croire à mon bonheur, je m'approchai à petits pas. La base était nette de ronces, déjà, grâce à un zèle dont je félicitai chacun ; j'y lus une épitaphe, évanide, mais que je sus déchiffrer. C'était bien le monument du grand homme. Et c'est moi, ton frère, Marcus Tullius, qui suis dans le modeste bourg d'Arpium, qui ai mis au jour et rendu à la lumière et à l'admiration des hommes un des plus poignants témoignages du génie humain
."

Cicéron, Lettre à son frère Quintus in Les Tusculanes

Hélas, un nouvel effacement des mémoires advint, et ce que l'on présente aujourd'hui à Syracuse comme tombeau d'Archimède est bien douteux. Quant à Cicéron, son titre de gloire est ... celui de la honte de Rome, car il est considéré, à juste titre, comme la seule contribution aux mathématiques de la civilisation romaine.  "Civilisation" à qui nous sommes donc redevables d'une triste quinzaine de siècles de retard et d'obscurantisme par la perte de l'héritage grec qu'auront su conserver et faire fructifier les mathématiciens du monde arabo-musulman, et tout particulièrement les Persans.

Reprenons, là où nous l'avons laissé, le texte de Khayyam, pour quelques propos qui seraient bien difficiles à dater si l'on gommait le nom de l'auteur (ainsi, Fourier n'aura-t-il pas à se plaindre, sept siècles plus tard, des vicissitudes du temps qui ont longtemps retardé la publication de sa Théorie Analytique de la Chaleur? ... pour ne rien dire des soucis des chercheurs contemporains...)


"Quant à moi, j'ai désiré et désire encore ardemment connaître avec certitude toutes leurs espèces, et distinguer, par des démonstrations, parmi les formes de chacune d'elles, les cas possibles des cas impossibles: je sais en effet qu'on en a un besoin très urgent lorsqu'on est aux prises avec les difficultés d'un problème. Je n'ai pu cependant me consacrer exclusivement à la quête de ce bien, ni y penser avec persévérance, détourné que j'en étais par les vicissitudes du temps. Car nous avons été éprouvés par le dépérissement des hommes de science, à l'exception d'un groupe aussi petit en nombre que ses afflictions sont grandes, et dont le souci est de saisir le temps au vol pour se consacrer pendant ce temps à l'achèvement et à la connaissance certaine de la science. Or, la plupart de ceux de notre temps qui font les savants, déguisent le vrai en faux, ne dépassent jamais les limites de l'imposture et de l'ostentation savante, et n'emploient la quantité de science qu'ils possèdent qu'à des fins corporelles et viles." [...]

Avec le concours de Dieu et Sa précieuse assistance, je dis: l'art de l'algèbre et d'al-muqabala est un art scientifique dont l'objet est le nombre absolu et les grandeurs mesurables, en tant qu'inconnus mais rapportés à une chose connue par laquelle on peut les déterminer
[...]; l'accomplir consiste à connaître les méthodes mathématiques par lesquelles on peut saisir cette espèce évoquée de déterminations des inconnues, numériques ou géométriques."

O. K. , Traité d'Algèbre
 

au parc Laleh, Téhéran (Iran)

Avec ces mots, nous voilà dans notre objet.



" Les grandeurs sont les quantités continues, qui sont quatre: la ligne, la surface, le corps et le temps, comme on le trouve exposé d'une manière globale dans les Catégories [d'Aristote]. [...] Il n'est pas d'usage de de mentionner le temps au nombre des sujets des problèmes de l'algèbre; mais si on l'avait fait, ç'eût été légitime. Il est de coutume, chez les algébristes, de nommer dans leur art l'inconnue qu'on veut déterminer «chose», son produit par elle-même «carré», son produit par son carré, «cube», le produit de son carré par son semblable «carré-carré», le produit de son cube par son carré «carré-cube», le produit de son cube par son semblable «cubo-cube», et ainsi de suite aussi loin qu'on veut."

O. K. , Traité d'Algèbre
 

" Pour représenter l'inconnue dans ce traité d'algèbre, Khayyam utilise le terme arabe chai, qui siginfie «chose»; ce mot, orthographié Xai dans les ouvrages scientifiques espagnols, a été progressivement remplacé par sa première lettre, x, devenue symbole universel de l'inconnue.  "

Amin Maalouf, Samarcande.


Dit en langage moderne, Khayyam introduit
, après l'inconnue x , toutes ses puissances, sans limite a priori:
x , x2 = x × x , x3x2 × x , x4x2 ×  x2 , x5x3×  x2 , x6 = x3 × x3  , .....
mais il ne va pas tarder à se restreindre, par pragmatisme, aux trois premières


"Et si l'algèbriste emploie le carré-carré, dans des problèmes de géométrie, c'est métaphoriquement, , et non pas proprement, étant donné qu'il est impossible que le carré-carré fasse partie des grandeurs.
Ce qui se trouve dans les
grandeurs, c'est d'abord une seule dimension, c'est à dire la racine, ou, rapporté à son carré, le côté. Puis les deux dimensions, c'est à dire la surface -le carré dans les grandeurs est donc la surface carrée. Enfin, les trois dimensions, c'est à dire le corps -le cube dans les grandeurs est le solide limité par six carrés.. Or, comme il n'existe aucune autre dimension, ne font partie des grandeurs ni le carré-carré, ni, à plus forte raison, ce qui lui est supérieur."

O. K. , Traité d'Algèbre
 

Enfin, il précise avec soin les prérequis:



" Il faut bien savoir que ce traité ne sera compris que de ceux qui maîtrisent le livre d'Euclide sur les Éléments et son livre sur les Données, ainsi que les deux premiers livres de l'ouvrage d'Apollonius sur les Coniques . Celui à qui la connaissance d'un de ces trois livres fait défaut ne peut avoir accès à la compréhension de ce traité. Je me suis du reste appliqué, avec peine, à ne renvoyer qu'à ces trois ouvrages."

O. K. , Traité d'Algèbre
 
exemplaire des Coniques d'Apollonius en langue arabe


Un peu d'Ordre, pour commencer...

 


"Les solutions en algèbre ne s'effectuent que par l'équation, je veux dire en égalant ces degré les uns aux autres, comme on le sait bien."

O. K. , Traité d'Algèbre
 

Khayyam dresse d'emblée une liste exhaustive des équations qu'il va étudier, qui ne contient pas moins de 25 cas différents! Rien d'étonnant en fait -même si cela peut surpendre le lecteur d'aujourd'hui- car deux raisons l'expliquent:
En effet, seuls des nombres positifs sont admis comme coefficients; ainsi on n'écrit pas
ce qui place nos deux équations dans deux "modèles" différents. C'est que, pour des raisons d'homogénéité, ces coefficients sont interprétés géométriquement  comme des longueurs ou des surfaces: que de tels objets soient négatifs n'aurait pas de sens. Sur ce plan, Khayyam n'innove pas, il suit ses prédécesseurs qu'il nomme «les algébristes» sans plus de précision; étonamment, Al-Khowarizmi n'est jamais cité explicitement.

Nous vous proposons donc, à titre de comparaison, le texte très littéraire d'Omar
Khayyam, et le tableau synoptique que nous pouvons en dresser avec les notations qui nous sont familères:




Traité d'Algèbre, dans la traduction de Woepke


binômes
trinômes quadrinômes groupe

[1]   bx = c
[2]  ax2 = c
[3]   x3 = c
[4]  ax2 = bx
[5]   x3 = bx
[6]   x3 = ax2


[7]  x2 + bx = c
[8]  x2 +  c = bx
[9]  x2 = bx + c
[10]  x3ax2 = bx
[11]  x3 +  bx = ax2
[12]  x3ax2 + bx

[19]  x3ax2 +  bx = c
[20]  x3ax2 + c   = bx
[21]  x3bx + c = ax2
[22]  x3ax2 +  bx + c

I

" Nous ignorons tous deux les secrets absolus.

   Ces problèmes jamais ne seront résolus.

   Il est bien question de nous derrière un voile;

  Mais quand il tombera, nous n'existerons plus. "


[13]  x3 +  bx = c
[14]  x3 +  c = bx
[15]  x3 =  bx + c
[16]  x3ax2 = c
[17]  x3 +  c = ax2
[18]  x3ax2 + c

[23]  x3ax2 =  bx + c
[24]  x3 +  bx  ax2 + c
[25]  x3 +  c = ax2 +  bx


II

N.B.: nous avons respecté, à l'intérieur de chaque espèce, les groupes faits par l'auteur.
en gras, les équations dont la résolution est nouvelle; en couleur, celles auxquelles nous limiterons cette présentation.


Les Cas connus et ceux qui s'y ramènent immédiatement

L'auteur reprend dans sa liste les six cas (du scond degré) envisagés par Al-Khowarizmi : [1], [2],  [4],  [7],  [8],  [9],

Un Binôme



[3]   x3 = c
Quant au nombre qui est égal au cube, il n'y a de moyen, pour trouver le côté de ce dernier, que par la connaissance préalable de la suite des nombres cubiques lorsque le problème est numérique; lorsqu'il est géométrique, il n'est résoluble que par les sections coniques."
 " Les Indiens possèdent des méthodes pour trouver les côtés des carrés et des cubes,  [...] J'ai composé un ouvrage sur la démonstration de l'exactitude de ces méthodes, et jai prouvé quelles conduisent en effet à l'objet cherché. J'ai, en outre, augmenté les espèces, c'est à dire que j'ai enseigné à trouver les côtés du carré-carré, du carré-cube, du cubo-cuben etc, , à une étendue quelconque , ce qu'on n'avait pas fait précédemment."

O. K. , Traité d'Algèbre


Ainsi, Khayyam sépare très clairement la preuve (en l'occurence géométrique) d'existence de racines d'une équation (de façon générale) de leur calcul numérique: loin de nier l'importance de celui-ci (en qualité d'astronome, il sait mieux que quiconque que ce métier requiert des tables trigonométriquesprécises, et que sin 1° s'obtient à partir de sin 3° en résolvant une équation du troisième degré). La meilleure preuve en est son affirmation : il a sur ce sujet écrit un traité... qui, hélas, est demeuré introuvable, certainement perdu! Après cette fugitive indication, il ne parlera plus ici que de la théorie des équations.
x3 = c, la plus simple -mais la mère de toutes les équations du troisième degré- est ramenée par lui à l'intersection de deux paraboles, de même sommet et d'axes perpendiculaires. Pour le dire rapidement, il regarde l'unique racine positive comme l'intersection, hors le sommet, des deux paraboles:
y= x2 ; y2 = cx
puisque le report de la première dans la seconde fournit x4 = cx.
Mais littéralement, les choses sont dites de façon un peu plus compliquée... au moins pour nous, lecteurs d'aujourd'hui. Cette intersection de courbes est donnée comme solution du
Lemme : construire deux segments entre deux autres segments donnés, de manière à ce que ces quatre segments soient en proportion continue."

O. K. , Traité d'Algèbre

Diable! Qu'est-ce que cela signifie-t-il? Qu'étant donnés AB (ici, de longueur c) et BC
(ici, de longueur 1) , on cherche x = BI et y = BH tels que

(*)
(la proportion continue signifie que le rapport du premier au second est égal au rapport du second au troisième, et ainsi de suite)

Un point D est sur la parabole " de sommet B, d'axe AB, et de côté droit AB"  dans la terminologie d'Apollonius, reprise par Khayyam, signifie que ses projections I sur AB, H sur BC sont telles que AB.DH = DI2 (nous écririons c.x = y2 -en rouge, ce qui est connu, c= 2p dans la représentation "usuelle" y2=2px... mais défense, avant Descartes, de recourir aux coordonnées du point! )
S'il est aussi sur la parabole " de sommet B, d'axe BC, et de côté droit BC", BC.DI = DH2, et, avec DI = BH,, BI = DH  il vérifie:
Donc, le point D d'intersection des deux paraboles réalise ce qu'il fallait obtenir. (Notons que son existence paraît se passer d'explications!);

Cette écriture en proportion continue (*) rappelle, et pour cause, l'approche d'Hippocrate de Chios pour le problème de Délos, alias la Duplication du Cube! Lequel revient à la résolution de
 x3 = 2
Apollonius crédite Ménechme de la première utilisation, à cette fin,  de l'intersection de 2 paraboles; son contemporain Ératosthène juge plutôt sévèrement:
"Ménechme y réussit un peu, d'une manière laborieuse."
Mais sans doute avec partialité, puisqu'il a sa propre machine à proposer, solution "mécanique" plutôt que géométrique.
Notons que Khayyam ne dit rien de ces glorieux prédécesseurs dans son résumé historique.



Quelques Trinômes


[13]  x3 +  bx = c

 " Posons AB le côté d'un carré qui est égal au nombre des racines, lequel est donné; construisons un solide dont la base soit égale au carré de AB, et la hauteur à BC [...] Traçons BC perpendiculaire à AB. [...] Prolongeons AB jusqu'à G, et construisons une parabole de sommet B, d'axe BG, et de côté droit AB: c'est la section HBD; elle sera tangente à BC. Construisons sur BC un demi-cercle. Il coupera nécessairement la section; qu'il la coupe en D. "

O. K. , Traité d'Algèbre



On s'en doute, D est le point solution (plus précisément, son abcisse), et Khayyam va le démontrer. Mais peut-être est il utile de décrypter préalablement ce qu'il vient de dire, tout en traçant la figure correspondante.

Le nombre des racines désigne le coefficient de x (la racine, ou la chose), c'est à dire b. On l'assimile à l'aire d'un carré, pour que bx soit homogène à un volume; ainsi l'addition au cube de l'inconnue sera cohérente, et comparée au volume c, celui d'un paraléllépipède de base le carré d'aire b, ce qui en fixe la hauteur BC=c/b.
AB est donc la racine carrée de b. Avec le même vocabulaire que dans le cas [3]. Khayyam affirme que la solution sera donnée par l'intersection:
  • de la parabole :  y.b= x2
  • du cercle        :  x2 + y2 - (c/b) x = 0

  Khayyam fait sa synthèse de façon moins rapide, puisqu'il n'emploie pas les coordonnées; comme précédemment il use de proportions continues.
Une autre manière de le dire rapidement, à notre façon moderne, serait d'augmenter d'une unité le degré de l'équation, en lui ajoutant la racine "factice" 0, dont on ne tiendra pas compte.

[13 bis]  x4 +  b x2 = c x
qui invite à poser y.b= x2 pour retrouver une équation de cercle ( y = x2 serait sans doute la première idée qui vienne, mais on déboucherait sur une équation d'ellipse, courbe  "plus compliquée" à tracer qu'un cercle!) .






[14]  x3 +  c = bx
 " Posons AB le côté d'un carré qui est égal au nombre des racines, et construisons un solide dont la base soit égale au carré de AB, et qui soit égal au nombre donné. Soit BC sa hauteur, perpendiculaire à AB; construisons une parabole de sommet B, d'axe sur le prolongement de AB, et dont le côté droit  soit AB; soit DBE; elle est de position connue. Construisons  une seconde section, une hyperbole de sommet C, d'axe sur le prolongement de BC, et dont chacun des deux côtés droit et transverse soit égal à BC; soit ECG. Elle est de position connue, comme l'a montré Apollonius [...]. Ces deux sections se rencontrent ou ne se rencontrent pas. Si elles ne se rencontrent pas. le problème est impossible. Mais si elles se rencontrent, soit par contact en un point ou par intersection en deux points, alors le point de rencontre E sera de position connue. [...]"

O. K. , Traité d'Algèbre

... et ce point E fera notre affaire. On remarque que tout le début de son discours (la mise en place de la parabole)  est similaire au cas [13]; le changement (en rouge) consiste à remplacer le cercle par une hyperbole. Cela apparaît clairement lorsque, par la voie la plus directe, on forme 
[14 bis]  x4 + c x = b x2
qui invite à poser la même parabole auxiliaire; mais compte-tenu des deux changements de signe résultant de la permutation des termes bx2 et cx, la solution sera donnée par l'intersection:
  • de la parabole :  y.b= x2
  • de l'hyperbole :  x2 - y2 + (c/b) x = [au lieu du cercle  x2 + y2 - (c/b) x = 0 ]


N.B. :  lorsque Khayyam dit qu'une courbe est de position connue, cela signifie qu'elle est entièrement déterminée par les éléments donnés. La présence d'un deuxième point d'intersection 'une deuxième racine positive) est clairement mentionnée.
L'adaptation, on le voit, a été réalisée de la manière la plus économique possible.




Le Cas du Problème d'Archimède

Notre dernière sélection, parmi les équations trinômes, est incontournable, puisqu'il s'agit de celle issue du problème d'Archimède. Petit rappel du propos cité dans l'introduction:


[17]  x3 +  c = ax2
 " Quant aux modernes, c'est Al-Mahani qui parmi eux se trouva amené à analyser par l'algèbre le lemme  qu'Archimède a utilisé, le considérant  comme admis, dans la proposition quatre du deuxième livre de son ouvrage sur la Sphère et le Cylindre. Il est alors parvenu à des cubes, des carrés et des nombres en une équation qu'il ne réussit pas à résoudre après y avoir longtemps réfléchi; il trancha donc  en jugeant que c'était impossible."

O. K. , Traité d'Algèbre



et commençons par le commencement, un coup d'œil à ce qu'a vraiment écrit Archimède, pour constater qu'il est encore très loin d'une formulation algébrique. Soyez attentif, car, d'une certaine manière... il va nous rouler!



page-titre
début du livre II, lettre introductrice.
Il y signale notamment le fameux résultat sur le volume de la sphère!




Khayyam évoque la proposition IV, mais il s'agit en fait le la proposition V d'Archimède (à moins que la traduction arabe en sa possession ait eu une numérotation légèrement différente).

Les deux concernent la découpe en deux parties de la sphère par un plan, mais la proposition IV concerne le rapport des aires (le problème est élémentaire, il revient au premier degré), tandis que
la proposition V concerne celui des volumes; c'est ce dernier qui conduit, on le verra ci-dessous, à une équation du troisième degré.

Noter que pour se donner un rapport, on se donner deux segments dont les longueurs  ont ce rapport.
 livre II, proposition IV,
relative au partage en deux
de la boule, par un plan.
 livre II, proposition V,
relative au partage en deux
de la boule, par un plan.



Après avoir effectué une analyse, Archimède propose, à la suggestion de celle-ci, de prendre des segments dont le rapport des carrés est égal au rapport donné... mais se garde bien de dire si on peut les construire, et comment!

C'est l'objection que formule Al-Mahani en algébrisant la question. Or, si Archimède pouvait, en son temps, donner des constructions géométriques pour résoudre un problème de degré deux, c'est en général impossible pour le degré 3: il n'a donc fait que déplacer le problème!




livre II, proposition V : le moment de la synthèse,



paramètres d'une calotte sphérique
(image source: Wikimedia Commons
)
Sans lire plus avant Archimède (cela peut être intéressant, mais la digression serait trop longue!),voyons directement la mise en équation du problème. Avec les notations ci-contre, le volume de la calotte sphérique est   [voir cette page Wikipedia]
 et par différence avec le volume de la sphère complète

Demandons que le rapport du premier au second soit 
λ
, nous aurons l'équation

L'inconnue en est h ; en regroupant :

qui est bien du type (en renommant l'inconnue)

 [17]  x3 +  c = ax2
Khayyam commence par poser c = H3, par souci d'homogénéité: on additionne ainsi deux volumes, que l'on compare avec un volume. Ce souci d'homogénéité "géométrique", que l'on a remarqué plus haut dans le traitement de [13], est constant dans l'ensemble du traité; on ne peut comparer que ce qui est comparable!
Et s'il peut introduire ce nombre
H, c'est par application de la résolution de [3], qui lui sert ici de lemme préparatoire.
Il remarque ensuite (toujours dans l'optique: les coefficients et les racines ne peuvent être que des nombres positifs) que H < a. Le plus simple pour cela est d'écrire [17] sous la forme
 [17 bis]  H3 = x2 (a - x)
La racine cherchée sera nécessairement telle que 0 < x < a, d'où H < a par report.
Puis, comme cette équation peut encore s'écrire 
H.H2/ x2 = (a - x) , il est naturel de faire intervenir
*  l'hyperbole
y = H2/ x , ou encore x y = H2 ( le carré est là pour l'homogénéité) ;
*  la paraboley2 = H (a - x)

[ 17 bis] donnant, de manière évidente, les abcisses d'intersection des deux courbes. Khayyam construit à l'aide d'un carré de côté BC = H : le point D (H , H) définit naturellement l'hyperbole avec les deux asymptotes. La parabole est, quant à elle, définie par  AC = a.


La Solution à la Manière d'Omar Khayyam

Voici, d'une façon plus proche du texte source, la partie synthèse du raisonnement


Khayyam décrit les coniques à la manière d'Apollonius, c'est à dire, M étant le point courant dont les coordonnées seraient (x , y) , G et K leurs projections sur les axes.

à la manière Apollonienne Cartésienne

MG . MK  = BC²
.x y = H2

MG² = BC . AG y2 = H (a - x)

Pour un point I commun aux deux courbes, il écrit ces relations de façon à présenter une proportion continue :
 
sur l'hyperbole         sur la parabole

Effectu
ons le produit des deux derniers, on aura grâce à la simplification des GI

 
 
ça y est! Il tient par l'intersection des deux coniques la solution du lemme dont Archimède admettait implicitement le résultat!
Il n'y a plus qu'à réécrire ceci CB3 = CG2. GA, soit c =
H3 x2 (a - x)



Mais qu'en est-il de l'existence d'une solution? Est-elle vraiment prouvée, autrement dit: peut-on justifier que les deux courbes se coupent? Khayyam est suffisamment convaincu de la nécessité d'argumenter sur ce point pour l'articuler en trois cas. La discussion, basée sur la comparaison des longueurs BC et CA, est quelque peu artificielle, mais elle a l'avantage de démarrer sur un cas particulièrement évident. Suivons le!

 " Séparons BC, égale à H, de AC. Le segment BC est égal à AB, ou plus grand, ou plus petit. Qu'il lui soit égal dans le premier cas, plus grand dans le second, et plus petit dans le troisième. [...]

Dans la première figure, la parabole passe par le point D, parce que le carré de DB est égal au produit de AB par BC. Il s'en suit que D est situé sur la circonférence de la parabole, et que celle -ci rencontrera l'hyperbole en un autre point, ce que tu pourras saisir au moindre examen."
 

O. K. , Traité d'Algèbre


C'est l'avantage annoncé: le point D (introduit, rappellons le, pour définir complètement l'hyperbole) est solution évidente de l'intersection. Le "moindre examen" esprime l'idée intuitive que l'hyperbole, passée sous la parabole, devra la recouper pour se diriger vers son asymptote avant que le sommet de la parabole ne soit rencontré. C'est plus ou moins un argument de valeur intermédiaire, perçu comme évident (n'oublions pas qu'il le sera jusqu'à la fin du XIXème siècle...) 


 "Dans la deuxième figure, le point D est situé en delors de la circonférence de la parabole, parce que le carré de DB y est plus grand que le produit de AB par BC; alors, si les deux coniques se rencontrent, soit par contact, soit par intersection, la perpendiculaire [à CA] abaissée de ce point tombe infailliblement sur le segment compris entre les points A et B, et le problème est possible; sinon il est impossible.
Ce contact, ou cette intersection, ont échappé à l'excellent géomètre Abu-al-Jud, en sorte qu'il déclara le problème impossible; il se trouve ici réfuté dans son jugement"

O. K. , Traité d'Algèbre


Celui que cite Khayyam n'a vu que le cas manifeste illustré ci-contre... Mais si l'on réfléchit bien en regardant "la première figure", une légère augmentation du côté du carré H déplace le point D vers le haut et la droite tout en maintenant deux points d'intersection (sauf dans le cas limite du contact tangentiel, fugacement évoqué par notre auteur).
C'est le cas du
contact tangentiel qui sépare les cas possibles des cas impossibles; mais ce n'est jamais dit explicitement. On pourra s'exercer à déterminer la condition sur a et c pour qu'il se produise...
 "Dans la troisième figure, le point D est à l'intérieur de la parabole, en sorte que les deux coniques se coupent en deux points."

O. K. , Traité d'Algèbre


C'est la figure que nous avons choisie pour illustrer la résolution de Khayyam.

Quelques Quadrinômes



[19]  x3ax2 +  bx = c

Suivons une fois de plus l'auteur dans l'introduction de ses notations et le respect de l'homogénéité des termes, chacun devant représenter un volume.

 Posons BE le côté d'un carré qui est égal au nombre donné des côtés, et construisons un solide dont la base soit le carré de BE, et qui soit égal au nombre donné. Soit BC  sa hauteur, perpendiculaire à BE. Construisons ensuite BD égal au nombre donné des carrés, sur le prolongement de BC. Construisons enfin sur le diamètre DC un demi-cercle DGC. Complétons le rectangle BK.
Construisons une hyperbole passant par le point C, qui ne rencontre ni la droite BE, ni la droite EK. Elle coupe alors le cercle en C [...];il s'en suit nécessairement qu'elle coupe le cercle en un autre point, qu'on nommera G.
"

O. K. , Traité d'Algèbre


Ainsi, l'inconnue x étant toujours un segment, pour que le terme bx figure un volume, b doit être interprété comme un surface, celle d'un carré dont le côté sera BE ( = √b); c'est le sens de la première phrase. La seconde signifie que C est choisi pour que  le volume

cb. BC =  BE². BC

Puis on construit D tel que BD = a ( le "nombre donné des carrés") ce qui fera  également de ax² un volume; nous voilà prêts à additionner trois volumes pour les comparer au second membre.

Quant à l'hyperbole, il faut comprendre qu'elle est définie par le point C et ses asymptotes BE et BK.

Il s'agit désormais de prouver que l'abcisse x = AG = EI = BL de G est la solution cherchée.

L'appartenance de G à l'hyperbole (le xy = Cte dans le style cartésien qui nous est familier) est écrit par Khayyam comme l'égalité des aires de deux rectangles, qu'il désigne toujours (ici comme dans les autres démonstrations) par leurs diagonales, GE et BK.
L'appartenance de G  au cercle est écrite avec une propriété caractéristique de la hauteur d'un triangle rectangle (on peut aussi la vérifier à l'aide des coordonnées.)



Texte de Khayyam
Traduction analytique
 " Menons de G les deux perpendiculaires GI et GA à EK et EA. Le rectangle GE est donc égal au rectangle BK. Retranchons en EL, commun aux deux; les deux rectangles restants, GB et LK sont égaux. Le rapport de GL à LC est égal au rapport de EB à BL, puisque EB est égal à IL."

O. K. , Traité d'Algèbre


GA . GI =  CB . CK ou, après retrait de la portion commune
GA . GL =  CL . CK
soit, écrit sous forme de rapports




 " Mais le rapport du carré de GL au carré de LC est  égal au rapport de DL à LC, en raison du cercle. Le rapport du carré de EB au carré de BL est donc égal au rapport de DL à LC. "

O. K. , Traité d'Algèbre

 GL2  =  LC . LD
 
soit, écrit sous forme de rapports
 

sur l'hyperbole         sur le cercle  
dont on déduit

( avec quelques repères numériques ajoutés pour suivre plus facilement )  

 "Le solide dont la base est  le carré de EB et la hauteur LC est donc égal au solide dont la base est  le carré de BL et la hauteur LD, (1)
Mais ce dernier solide est égal au cube de BL plus le solide dont la base est  le carré de BL et la hauteur BD, lequel est le nombre donné des carrés. (2)
Ajoutons communément le solide dont la base est le carré de EB, qui est égal au nombre des racines, et la hauteur BL. (3)
Le solide dont la base est  le carré de EB et la hauteur BC, que nous avons construit égal au nombre donné, est donc égal au cube de BL, augmenté du nombre donné de ses côtés, et du nombre donné de ses carrés. (4)
Ce qu'il fallait démontrer."

O. K. , Traité d'Algèbre


 


(1)
          EB2 . LC = BL2 . LD

(2)          EB2 . LC = BL2. ( BL + BD )
                             =  x3 + a
x2

(3)        + EB2. BL =                  + b x
                                                    

(4)
  c = EB2. BC  =  x3 + a x2 + b x
 " Cette espèce ne renferme ni variété de cas ni problèmes impossibles. Elle a été résolue au moyen des propriétés d'une hyperbole combinées avec celles d'un cercle. "

O. K. , Traité d'Algèbre


Les principes et l'exploitation des coniques, on le voit, restent les mêmes que pour les trinômes; mais il faut se montrer de plus en plus rusé pour additionner de plus en plus de volumes!

Et pour appréhender le style très littéraire de l'ensemble... pourquoi ne pas remonter ce que nous avons mis en pièces détachées, en relisant l'ensemble de la preuve?



pas une équation dans le texte source! (traduction de Woepke)





figure de l'équation [20] dans la traduction de Woepke.
Le cercle vert de [19] est remplacé par... l'hyperbole verte.
es




[20]  x3ax2 + c   = bx



 " Posons AB le côté d'un carré qui est égal au nombre donné des côtés, et BC égal au nombre donné des carrés [...} Construisons un solide dont la base soit le carré de AB, et qui soit égal au nombre donné. Soit BD  sa hauteur, sur le prolongement de BC. Construisons ensuite, après avoir complété le rectangle BK, une hyperbole passant par le point D, qui ne rencontre ni AB, ni AE. Construisons ensuite une autre hyperbole de sommet le point D, dont l'axe soit sur le prolongement de BD, et dont chacun des côtés droits et transverses soit égal à DC. Il est nécessaire que cette section coupe la première en D. S'il est possible qu'elles se rencontrent en un autre point, le problème est alors possible; sinon il est impossible. Cette rencontre par contact ou par intersection en deux points se fonde sur le quatrième livre des Coniques. Or nous avons assuré que nous ne renvoyons qu'à deux livres de celui-ci. Cela n'est pas gênant, du moment qu'elles se rencontrent; comprends bien cela. Si elle la coupe en un point autre que D, elle la coupe nécessairement en deux points."

O. K. , Traité d'Algèbre



Tout le début de ce cas reprend, presque mot pour mot (à quelques changements de notations pour les points considérés), celui de l'étude de [19]. Le point important -mis en rouge par nos soins- est le remplacement du cercle par une hyperbole équilatère.

Il apparaîtra naturel et immédiat dans une traduction à l'aide des coordonnées, que nous présentons ci-dessous.





de [19]  x3ax2 +  bx = c
... à [20]  x3ax2 + c   = bx
x = 0 n'étant pas racine, on peut l'écrire aussi bien

De même, x = c/b n'étant pas racine, l'équation "équivaut" à celle obtenue par produit par c/x-b (on a rajouté une racine fictive!), soit

ou encore, en ramenant tout au premier membre

On met en facteur b dans les deux termes -le but est d'obtenir des coefficients unitaires pour les carrés (on vise le +y² qui caractérise un cercle)

ce qui permet de simplifier

Introduisons l'hyperbole ;
les racines de l'équation seront donnés par son intersection avec le cercle



 
idem pour [20], mais avec un changement de signe


même travail ici, pour arriver à:






ici le +y² deviendra -y²... et le cercle une hyperbole équilatère!




Introduisons l'hyperbole
les racines de l'équation seront donnés par son intersection avec l'hyperbole (équilatère)



Le calcul aurait un peu plus rapide en introduisant l'hyperbole y=c/x (sans respecter l'homogénéité chère à Khayyam), mais on aurait obtenu des courbes plus compliquées, notamment pour [19], une ellipse au lieu d'un cercle
b+y² +... = 0


Les dernières espèces, avec deux termes de part et d'autre du signe =, tout en offrant la même rigueur de traitement et en démontrant l'habileté du mathématicien qui, à chaque fois, modifie sa démonstration à moindre frais, sont aussi une belle occasion manquée de rapprocher degré et nombre des racines.


[24]  x3 + bx  = ax2 +  c

Pour nous qui ne craignons pas les nombres négatifs (!), nous observons immédiatement que le passage de [19] à
[24] consiste tout simplement à changer a en -a.

Du coup, sans suivre le calcul tout au long, nous pouvons donner directement le système de courbes employé par Khayyam pour ce cas, alors que lui refait consciencieusement tout le travail... Il est clair, en outre, que changer
a en -a ne change rien à la nature des courbes employées en [19]. Autrement dit, le problème sera résolu avec une intersection cercle-hyperbole.



Voici ces courbes (la figure ci-contre provient de la traduction de Woepke)


Rappel : l'axe des abcisses est orienté vers la gauche, celui des ordonnées vers le bas; l'origine est en D  .

La manière de Khayyam demeure entièrement similaire à celui de [19] (aire de rectangles, rapports...) -et le style tout aussi... littéraire!




Le plus intéressant dans ce cas... est peut-être ce qu'il rate, et de bien peu! Pour construire sa figure, il discute la position respective des Points C (a,0) et A (c/b,0). Laissons la parole à son traducteur

" L'équation x3- ax2+ bx - c = 0 a toujours une racine réelle et positive. Dans les cas 2) c/b=a et 3) c/b>a , les deux autres racines sont imaginaires; mais dans le premier cas, c/b<a, elles peuvent être positives, en sorte que l'équation aura alors trois racines positives.  Il est bien à regretter qu'une circonstance aussi importante ait pu échapper à l'auteur."

F. Woepke, note sur l'Algèbre d'Omar Alkhayymi
 

Prenons pour exemple l'équation (x-1)(x-2)(x-3) = 0 (ou toute autre manière de nous donner les racines a priori). Elle s'écrit:
x3 + 11 6x2 + 6
et se range donc dans ce cas. Outre la solution "factice" 6/11 ajoutée (passage forcé par le point A), le cercle et l'hyperbole se coupent en trois autres points d'abcisses 1, 2, et 3. La figure est un peu moins facile à dessiner à la main (pour que l'on voie distinctement les deux courbes" tricoter", dessus, dessous), un peu moins naturelle... comme quoi, si les figures sont essentielles, il faut aussi savoir s'en méfier! Qu'il est facile qu'un cas nous paraisse plus général qu'il n'est et nous masque d'autres configurations possibles!

Et c'est ainsi que Khayyam ne relève pas la possibilité de trois racines pour une équation de degré 3, et, qui sait, laisse échapper la tentation de généraliser aux degrés supérieurs vers les prémisses d'une conjecture du théorème fondamental de l'algèbre...





[25]  x3 +  c = ax2 +  bx

De façon similaire, le
changerment de a en -a transforme [20] en [25]. Il n'altère évidemment pas  la nature des courbes employées en [20]; nous aurons donc affaire à l'intersection de deux hyperboles.
 

 

Voici ces courbes (figure de la traduction de Woepke, cas c/b<a )

 
Rappel : l'axe des abcisses est orienté vers la gauche, celui des ordonnées vers le bas; l'origine est en D  .

Comme en [24], une discussion sur la place respective des points C et A s'impose à l'auteur pour un placement relatif des hyperboles.





"Dans le cas c/b < a, l'équation x3- ax2+ bx - c = 0 a toujours deux racines positives.
L'auteur ne trouve par sa construction qu'une seule de ces deux racines, tandis que l'autre lui échappe. À cette dernière correspond le point d'intersection P (fig 29,i) de l'hypervbole HAT avec l'autre branche de l'
hypervbole KCL. [...]. L'auteur aurait dû remarquer cette circonstance.
Pour le cas c/b > a, l'auteur observe avec justesse que les deux coniques auront une intersection en deux points, ou un contact en un point, ou le problème sera impossible. "

F. Woepke, note sur l'Algèbre d'Omar Alkhayymi
 

Aussi, Woepke a-t-il tracé en pointillés la branche d'hyperbole "oubliée" par Khayyam.



Le Troisième Degré après Khayyam


Dans l'Orient musulman

Le tournant principal va être pris par Sharaf al Din al Tusi (1135-1213) -à ne pas condfondre avec Nasir al Din al Tusi (1201-1274), qui a par ailleurs l'honneur de nos pages. "al Tusi" signifie seulement qu'ils sont tous deux natifs de la ville de Tus, dans l'est de l'Iran actuel.

Le changement important est qu'il ne classe plus les équations en fonction du signe des coefficients (pour le dire en raccourci, selon notre façon de lire les cas de Khayyam), mais souhaite le faire en fonction du nombre de racines (positives, toujours). En particulier, il voudrait distinguer clairement les "cas impossibles" de Khayyam.


La méthode de
Sharaf al Din al Tusi
avec l'exemple [14]  x3 +  c = bx
Son idée est de mettre l'équation sous la forme f(x) = c, et d'étudier le polynôme f, d'en rechercher maxima et minima; en les comparant à c, il pourra répondre à la question qu'il se pose. Ainsi, [14] est écrite:
x ( b - x2) = c

Rappelons qu'il ne s'intéresse qu'aux racines positives, ce qui limite ici sa recherche au segment [0 ,
√b]. Que fait un élève consciencieux de terminale pour chercher les extrema? Il étudie, selon le très classique schéma qu'on lui a appris, les variations à partir de la dérivée de f. ...

f'(x) = b - 3 x2

Elle s'annule -dans l'intervalle considéré- en , et , que l'on compare à c: si cette valeur est plus grande que c, il y aura deux racines positives puisque f(0) =0 < c, et aucune si
f(0) =0 > (et dans les deux cas une racine négative).


Si l'on réécrit l'équation sous la forme aujourd'hui classique, sans tenir compte du signe des coerfficients ( p = -b , q = c )
  x3 + px + q = 0
la condition n'est autre que le classique

et la nullité de ce discriminant signe la présence d'une racine double.

Après le lycéen modèle, retour à Sharaf al Tusi: que fait-il? Exactement la même chose... Sauf qu'il y a un hic: la dérivation n'a pas encore été inventée! Comment fait-il pour trouver l'abcisse du maximum?

Soyons clair: il considère explicitement la condition
3 x2 = b mais sans que l'on sache d'où il la tire. On en est réduit, en l'absence d'un document écrit, à imaginer ce qu'il a le plus vraisemblablement fait: l'équivalent d'un développement algébrique

f (x0 + h) = (x0 + h)3 - b (x0 + h)

= f (x0 ) + ( 3 x02 - b ) h 3 x0 h2 + h3
f (x0 - h)
= f (x0 )  - ( 3 x02 - b ) h 3 x0 h2 - h3

ce qui permet de trouver l'effet d'une variation autour d'une abcisse, et par suite la condition d'annulation pour un extremum (maximum ou minimum). D'ailleurs, n'enseignons nous pas qu'il existe une notion de dérivation formelle pour les polynomes, et que cela est bien utile aujourd'hui pour que les logiciels de calcul formel puissent travailler?


Il faut encore ajouter tout le volet du calcul numérique des racines, et notamment la méthode des approximations successives inventée au début XVème  par Al-Kashi pour le calcul des tables trigonométriques : sin (1°) se calcule à partir de sin (3°), dont l'expression exacte est connue par radicaux, en résolvant l'équation du troisième degré qui les lie: 

sin ( 3θ ) = 3 sin θ - 4 sin3 θ

En Europe

C'est ici, à Bologne, devant la basilica di Santa Maria dei Servi que l'étude de l'équation du troisième degré va prendre un nouveau départ -sans rapport, pour autant qu'on sache, avec le traité de Khayyam, qui reste inconnu pour longtemps encore, contrairement à celui d'Al Khowarizmi, qu'a fait connaître Fivbonacci. L'originalité de cette église est d'avoir conservé un portique encadrant une cour rectangulaire; selon la tradition de la ville, c'est là que se rencontraient les mathématiciens pour discuter de leur science, mais aussi se lancer des défis!




Bologne (Italie ) :  le "portique des mathématiciens"

Un de ces défis avait opposé en 1535 Antonio Maria Del Fiore, élèvee de Scipione del Ferro (1465-1526), à Nicolo Tartaglia (1499-1557), sur des équations cubiques. Del Ferro avait, paraît-il, résolu un cas trinôme une vingtaine d'années auparavant, gardant secrète sa méthode, ou, du moins, ne la communiquant qu'à ses proches: aucune trace écrite ne vient l'attester. Tartaglia s'était vanté de pouvoir résoudre de telles équations, et s'en vit proposer une trentaine de la forme x3 + mx = n par Fiore, dont il trouva la solution huit jours avant l'échéance fixée. Très intéressé, Cardan (1501-1576) aurait soutiré sa méthode à Tartaglia, en échange d'avantages pour obtenir un poste, et avec promesse de garder le secret... qu'il rompit en publiant son Ars Magna (1545), Suivirent quelques échanges particulièrement épicés... Situation complexe à démêler, qui a fait et fait encore couler beaucoup d'encre:

 qui a vraiment découvert la méthode de Cardan? Lui-même, del Ferro, Tartaglia?

Cardan étant le seul à avoir publié, voici sa version des faits, extraite de son premier chapitre, naturellement introductif, et qu'il répète plus brièvement au début du chappitre XI.. .


médaille en lhonneur de Cardan
 
son traité d'algèbre (source inconnue)

" À notre époque, Scipione del Ferro a résolu le cas suivant: un cube et la première puissance sont égaux à un nombre, une réalisation admirable et très élégante. Cet art surpasse toute subtilité humaine et la perspicacité d'un simple mortel; c'est un vrai don du ciel et un test évident des capacités de l'esprit humain. Aussi, quiconque veut s'y attaquer doit être fermement  convaincu qu'il n'y a rien qu'il ne puisse comprendre. Excité par cette émulation, mon ami Nicolo Tartaglia de Brescia , qui ne voulait pas être en reste, résolut le même problème lors d'un concours où il affronta un élève [de Scipione], Antonio Maria Fior, et, touché par mes supplications, m'en fit part. [...]
Ayant reçu la solution de
Tartaglia, alors que j'en cherchais la preuve, je commencaçai à comprendre qu'un grand nombre d'autres résultats pourraient être obtenus. Suivant cette idée, avec une confiance croissante, je les découvris, pour partie par moi-même et pour partie grâce à mon ancien élève Lodovico Ferrari. Dans la suite, les résultats établis par d'autres sont accompagné du nom de leur auteur; si aucun n'est indiqué, ce sont les miens. Les démonstrations, à l'exception de trois [d'Al-Khowarizmi] et deux de Lodovico, sont les miennes."
[ chap. I ]
" Voilà bien trente ans que Scipione del Ferro découvrit son procédé et le transmit à Antonio Maria Fior, de Venise, dont le tournoi contre Nicolo Tartaglia de Brescia, offrit à Nicolo l'occasion de le découvrir. Et lui me les donna, en réponse à mes sollicitations, mais sans la démonstration. Armé de cette seule aide, je la découvris de diverses façons. Ce fut très difficile."
[ chap. XI ] 


Il est clair qu'il se donne le beau rôle: Tartiglia était son ami (implicitement, si brouille il y a eu, c'est donc le fait de ce dernier), et, tout en les reconnaissant en apparence,  les contributions des autres sont relativement minimisées.Pourtant, Ferrari (1522-1565) n'est pas un second rôle, car c'est lui qui a, dans la foulée, fait tomber le quatrième degré! Ne croyez pas que ce soit difficile... une fois que la voie a été ouverte: voilà un joli sujet de bac C qui le met à la portée d'un lycéen. Certes, je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître... celui où des sujets pouvaient exciter la curiosité des élèves, susciter l'envie de poursuivre en mathématiques en se disant: mais quel sera le prochain épisode? 



Susciter le désir :  69, année Ferrarique... (Annales Vuibert)

Le Mathouriste se souvient s'être jeté dessus avec un plaisir gourmand... et plaint les élèves d'aujourd'hui, qui s'entraînent -ou bachotent?- avec des sujets qui sont à celui-ci ce que la laideur d'un SUV japono-coréeen est à l'élégance de Ferrari...mais voilà des considérations qui nous éloignent quelque peu.

Les méthodes des Italiens de la Renaissance auront une descendance très riche (naissance des nombres complexes, impossibilité de résoudre le degré 5 et au delà),
mais il est clair qu'elles n'ont rien à voir avec ce qu'a fait Khayyam. Celui qui est le plus dans sa lignée, quoiqu'il n'ait pas eu connaissance de son traité, c'est Descartes, qui poursuit, dans sa Géométrie, l'étude du lien entre équations algébriques et intersection des courbes. Mais avec une différence majeure; il inverse le point de vue; là où Khayyam géométrisait l'Algèbre, Descartes algébrise la Géométrie.

Références de l'épisode

Œuvres de Khayyam

Livres 

Articles


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