Lorenzo Mascheroni, à Bergame et Pavie



Lorenzo Mascheroni: son buste à Bergame


Bergame est faite de deux parties, une ville haute et
une ville basse.



la ville basse, vue de la ville haute dans la ville basse (Porta Nueva), vue sur la ville haute


L'hôtel de ville  se situe, presque immédiatement à gauche derrière la Porta Nuova; juste devant, à gauche du bâtiment, un petit jardin triangulaire se termine, avec, à sa pointe, le monument au mathématicien enfant du pays, Lorenzo Mascheroni, qui y naît le 13 Mai 1750. Pour seule inscription, son nom! Ni ses dates, ni ce qu'il fut...
 


Le monument se trouve à l'extrémité de la flèche jaune; noté M comme... Mascheroni. (Cliquez pour aggrandir!) Car un autre protagoniste de l'histoire ne va pas tarder à apparaître, en rouge, un certain B...


 

Son plus grand titre de gloire est la publication en 1797 de sa Géométrie du Compas, ouvrage dans lequel il démontre que tout point constructible à la règle et au compas (selon le canon de la géométrie grecque, qui allait faire naître avec cette exigence un foisonnement de problèmes -voir notre page Délos) l'est aussi à l'aide du seul compas. Autrement dit... la règle est inutile!

C'est un succès immédiat; en témoigne le fait que le livre est aussitôt traduit en Français. On ne découvrira que bien après que le Danois Mohr (1640-1697) avait obtenu, avant lui (1672), les mêmes résultats, mais on ne saurait accuser l'Italien de plagiat: ce premier travail avait été bien peu diffusé: le livre de Mohr, Euclides Danicus, ne fut redécouvert qu'en 1928, presque par hasard, par un compatriote mathématicien, Hjelmslev. Le titre suggérait un simple commentaire d'Euclide, il fut surpris d'y lire les résultats deMascheroni, mais souvent démontrés d'une manière différente: lItalien  s'était posé la même question, tout simplement, et il était parvenu, en totale indépendance, au même résultat.

Mais... à qui donc fut dédié ce livre?



source: e-rara (ETH Zürich)







Eh bien oui! Celui qui vient de s'illustrer militairement dans la région, entre 1796 et 1797, et dont une colonne rappelle justement à Bergame qu'il fut, au moins ici et  pour un certain temps, perçu comme un libérateur... De fait, les populations locales se trouvaient ainsi débarassées des Autrichiens, sans être forcément enthousiastes à l'idée de voir les Français les remplacer. Érigée en 1797, exactement contemporaine du traité de Mascheroni, elle porte (vous le verrez en l'aggrandissant) la même dédicace "à Bonaparte l'Italien" et se trouve à proximité: c'est elle que nous avons indiqué par la flèche rouge sur la vue aérienne!


On ne sait pas exactement comment les deux hommes se rencontrèrent, si le jeune général impressionna réellement le géomètre ou si sa dédicace fut plus opportuniste. Mais, comme on va le voir, l'inverse fut également vrai: Mascheroni plut à Bonaparte, ou du moins, ce dernier vit-il comment l'adjoindre à l'entreprise de propagande qui enveloppa sa campagne victorieuse, muant une attaque de diversion en triomphe sur l'adversaire autrichien: ramener un traité de paix, une belle quantité d'œuvres d'art... et une pincée de géométrie! Se montrer général éclairé, dans la filiation des Lumières, et non simple soudard...



Ci-contre: faire glorifier ses batailles victorieuses par les peintres...

... et ci-dessous, se faire immortaliser en séduisant jeune premier,  empoignant le drapeau pour entraîner à sa suite une troupe hésitante sur le pont d'Arcole, au mépris de la mitraille ennemie! Hollywood aurait eu du mal à faire mieux, et d'ailleurs l'avisé général adopte avec avance la morale de L'homme qui tua Liberty Valence:
"Quand la légende est plus belle que l'Histoire, on imprime la légende!" (l'image fut massivement diffusée en gravure)
 


bataille du pont de Lodi, 10/05/1796

bataille de Rivoli, 13-140/01/1797


Gros, 1796 (Musée de Versailles)
à l'exposition de la Villette-2021

Mais... si Gros flatte le vainqueur par l'image (les historiens ont révélé qu'il avait dû reculer si vite qu'il était tombé dans un marécage!), Mascheroni n'était pas en reste dans sa dédicace, et le traducteur n'a pas hésité à en remettre une couche, ou plutôt quelques vers dithyrambiques!

Le stratège fit mieux: à son retour à Paris, tout en présentant fièrement l'édition italienne, il s'attribua le mérite -inspiré par l'ouvrage- de ce que l'on appelle depuis la construction de Napoléon: retrouver à l'aide du seul compas, le centre -supposé perdu- d'un cercle donné. (Les plus mathématiciens des lecteurs pourront s'intéresser  à une justification par l'inversion, transformation géométrique qui transforme les droites en cercles)
L'auditoire était choisi, y figuraient notamment Lagrange et Laplace. Ce dernier, jamais en retard d'une flatterie, s'écria, nous rapporte Lebesgue:
"Nous attendions tout de vous, Général, sauf des leçons de Géométrie!"

La manœuvre réussit: avec ce bien mince bagage de "chercheur-découvreur" et le puissant soutien de Monge -qui l'avait suivi dans la campagne d'Italie-, il fut élu à l'Académie des Sciences. Et, honte suprême, au fauteuil de Carnot, alors banni, mais bien plus mathématicien que lui. Certes, c'était sa matière forte, et il est incontestable qu'il avait du goût pour elle... mais essayez donc, avec du goût, de bons résultats scolaires et une bricole, d'entrer dans cette vénérable institution! En tout cas, cela lui permettra de signer ses courriers, lors de l'expédition d'Égypte, le membre de l'Institut, Commandant en chef de l'Armée d'Orient...


La solution de Mascheroni dans son livre: (vous n'êtes pas obligé d'en suivre les détails!)



Pavie



C'est probablement dans cette ville que Mascheroni rencontra Bonaparte, car c'était sa résidence à l'époque de la campagne d'Italie. C'est là qu'il fit toute sa carrière universitaire, puis politique, car il devint député de la République Cisalpine, établie par Bonaparte. De quoi être honoré par une rue, à double titre. Il fut à ce titre envoyé à Paris, pour participer à la commission de définition du mètre. Mais il ne revint jamais, en raison de la formation de la deuxième coalition, qui vit le général repartir pour une deuxième campagne d'Italie; il décéda à Paris en 1800... le 14 Juillet.
rue Mascheroni à Pavie






Sitôt passée l'entrée, l'université de Pavie offre à notre vue une agréable succession de belles cours carrées, bordées d'arcades.

Et sous l'une d'elles... une plaque apposée (en 1808) en souvenir de celui qui y enseigna l'algèbre et la géométrie à partir de 1786. Il en fut même le recteur de 1789 à 1793! i










Le plus illustre de ses élèves fut le physicien Alessandro Volta (1745-1827), inventeur de la pile électrique en 1800... et qui, lui aussi, rencontra Bonaparte en 1801, pour lui présenter son invention! Pour son cas, la rencontre eut lieu à Paris, à la suite d'une très officielle invitation.    



statue de Volta
à l'université de Pavie
Volta fait à Bonaparte la démonstration de sa pile électrique
Fresque de Nicolo Cianfanelli (1841)
Tribune de Galilée, Musée "La Specola", Florence



Mais puisque Mascheroni était aussi poète, on trouvera au mur d'une autre cour, une de ses œuvres...


Références

Mascheron est également connu pour avoir perfectionné le calcul décimal de la constante d'Euler, dans  Adnotationes ad calculum integrale Euleri (1790, source: Google Books)


  Dansle livre de Mascheroni:




l'ouvrage (à voir en entier sur Google Books)
début de l'article
le passage où il donne la nouvelle valeur

Comme on peut le voir
, il n'y a aucune révolution technique: faisant référence à Euler, il exploite comme lui la formule d'Euler-Maclaurin (cadre vert), obtenant 32 décimales (cadre rouge) contre 16 pour Euler (cadre violet); mais seules les 19 premières sont exactes. Sur cette célèbre constante, une référence simple et agréable, mais où Mascheroni n'apparaît que dans une seule page:  
Passons à l'ouvrage vedette:


À tout seigneur, tout honneur!

L. MASCHERONI, Géométrie du Compas (éd. française), sur Google Books

On remarquera que l'auteur, même si son objet premier est de donner des constructions géométriques exactes, ne dédaigne pas s'intéresser également aux constructions approchées, utiles dans tous les problèmes pratiques que peuvent rencontrer les artisans; c'est l'objet de son dernier chapitre. La précision de chaque approximation est clairement indiquée.

Par sa connexion aux problèmes de constructibilité, il méritera une bibliographie un peu plus large:

Sur  le travail de Mascheroni

Sur les problèmes de constructibilité en général


Aller à la page Délos et les Problèmes de Constructibilité



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