Le monument sur la façade de sa maison est légèrement en
saillie; il se compose d'un buste et d'une plaque gravée en lettres
dorées, le tout surmonté d'un petit auvent protecteur. Le contraste du
texte sur fond de marbre gris n'est pas excellent, et pensant à ceux
pour qui la lecture en aggrandissant l'image en resterait pénible, nous
l'avons transcrit à côté. Quant au buste... nous n'avons pas fini de le
voir, car on le retrouvera dans une école prestigieuse, un musée... et
tous les phares, où il figurait quasi réglementairement.
|
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AUGUSTIN FRESNEL
INGÉNIEUR DES PONTS ET CHAUSSÉES
MEMBRE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES
CRÉATEUR DES PAHRES LENTICULAIRES
EST NÉ DANS CETTE MAOISON
LE 10 MAI 1788
****
LA THÉORIE DE LA LUMIÈRE
DOIT À CET ÉMULE DE NEWTON
LES CONCEPTIONS LES PLUS
ÉLEVÉES ET LES APPLICATIONS
LES PLUS UTILES
****
MONUMENT ÉRIGÉ EN 1884
|
le monument, sur la façade de la rue Mérimée: le buste, la plaque où est gravé l'hommage
|
le texte de l'hommage
|
Son grand'père était intendant au château de Broglie; son
père, architecte, y dirige des travaux de
rénovation. Et là se place une
étonnante coïncidence de l'histoire: alors que
Fresnel va
mettre à mal la théorie corpusculaire de Newton
(la
lumière est faite de petits "grains") et la supplanter par
une
théorie ondulatoire (la lumière est une onde), ce
château est le domaine familial où grandira... Louis de Broglie,
qui, après la réconciliation des deux points de
vue sur
la lumière par Einstein, l'étendra à
l'électron puis aux autres particules: ondes et particules
ne
seront plus désormais que deux aspects indissociables de la
matière. Une découverte qui lui vaudra le prix
Nobel en
1929!
Le jeune Augustin ne montre aucune précocité
scolaire: "À
huit ans, il savait à peine lire" rappelle
Arago dans son éloge à l'Académie des
Sciences
(26/07/1830). Mais ses camarades de jeu le saluent comme un
génie, titre
"unanimement
décerné à l'occasion de recherches
expérimentales... auxquelles il se livra à
l'âge de
neuf ans, soit pour fixer les rapports de longueur et de calibre qui
donnent la plus forte portée aux petites
canonnières de
sureau dont les enfants se servent dans leurs jeux, soit pour
déterminer quels sont les bois verts ou secs qu'il convient
d'employer dans la fabrication des arcs... Le physicien de neuf ans
avait exécuté en effet ce petit travail avec tant
de
succès, que des hochets, jusque là fort
inoffensifs,
étaient devenus des armes dangereuses, qu'il eut l'honneur
de
voir proscrire par une délibération exprresse des
parents
assemblés de tous les combattants." |
Arago,
Éloge |
Pour gagner de vrais galons d'ingénieur, c'est
à l'École Polytechnique qu'il entre en 1804,
à
l'âge de 16 ans et demi. Et sa finesse
mathématique y est
d'emblée repérée:
"Lorsque
Fresnel suivait les cours de l'École
Polytechnique, un savant, dont l'âge n'a pas refroidi le
zèle, que l'Académie des Sciences a le bonheur de
compter
parmi ses membres les plus actifs, les plus assidus, et qu'il me faudra
désigner, puisqu'il m'entend, par le seul titre de doyen des
géomètres vivants, remplissait les fonctions
d'examinateur. Dans le courant de l'année 1804 il proposa
aux
élèves, comme sujet de concours, une question de
géométrie. Plusieurs la résolurent;
mais la
solution de Fresnel fixa particulièrement l'attention de
notre
confrère, car les hommes supérieurs jouissent de
l'heureux privilège de découvrir, même
sur de
légers indices, les talents qui doivent jeter un grand
éclat. M. Legendre, son nom
m'échappe, complimenta
publiquement le jeune lauréat." |
|
Arago, Éloge
|
Œuvres,
t.2, pp 681-684 |
Aujourd'hui, son buste demeure bien en évidence dans le hall
d'honneur de l'École...
et il est temps de révèler son auteur, car, cela ne vous aura sûrement
pas échappé, il sort eu même moule que celui de Broglie, comme tous
ceux qui suivront dans cette page!
|
À sa sortie (9ème),
il poursuit sa formation à l'École
des Ponts et Chaussées. Il exercera ses fonctions en
Vendée, en Ile et Vilaine, dans la Drôme. On
pourrait le
croire parti pour une carrière sans éclat,
consciencieuse, un peu routinière peut-être. Mais
l'Histoire va bousculer son existence: l'annonce du
débarquement
de Napoléon à Golfe-Juan, le 01/03/1815, lui
parait "une attaque
contre la civilisation" (Arago),
et le voilà qui s'engage, malgré sa
santé
précaire et des officiers qui tentent de l'en dissuader,
pour
barrer la route au tyran. Ce qui lui vaudra d'être
destitué, placé sous surveillance
policière et
assigné à résidence à
Mathieu; il obtient
toutefois l'autorisation de faire un bref séjour
à Paris
avant de rejoindre sa retraite familiale.
Il occupe alors ses loisirs forcés à
l'étude de la
diffraction lumineuse, et y
gagnera la
célébrité, en deux mémoires
adressés
à l'Académie des Sciences (1815, 1818): c'est la
véritable naissance de la théorie ondulatoire de la
lumière. C'est aussi la naissance d'une
collaboration, puis d'une
amitié avec Arago. Si le premier mémoire avait
laissé sceptiques les "newtoniens" partisans d'une
lumière corpusculaire (dont, au premier rang, Poisson avec
qui
la controverse s'étale sur plusieurs lettres), le second
emporte
les réticences, et l'Académie salue son travail
en 1819: nous y reviendrons.
|
Œuvre de David d'Angers
|
|
La Restauration le rétablit dans ses fonctions
d'ingénieur... en Ile et Vilaine, et ce n'est
guère
enthousiasmant:
"Mon cher oncle,
Mon service
devient de plus en plus pénible; je vois devant moi tant de
besogne et une besogne si désagréable que le
découragement commence à me prendre. Il s'agit
d'organiser des ateliers de charité; mes ateliers de
cantonniers
me donnent déjà assez de mal. Les ateliers
de charité se trouvent disséminés dans
tous les
points de mon arrondissement. Pour m'aider à les surveiller,
je
me choisis des commis que je ne connais pas, des hommes de confiance en qui je n'ai aucune confiance.
[...] Je ne trouve rien de si pénible que d'avoir
à mener des hommes, et j'avoue que je n'y entends rien du
tout." |
lettre de Fresnel à son oncle
Léonor, 29/12/1816 |
Pourtant, il reçoit d'autres propositions:
"Binet voudrait absolument
m'attacher à l'École
Polytechnique en qualité de
répétiteur; il est
persuadé que je ne tarderais pas à être
examinateur. Mais je ne me laisse pas séduire par ces
espérances flatteuses, que je ne pourrais
réaliser qu'en
piochant comme un nègre. Je
cherche assez volontiers, mais l'étude m'ennuie.
Je suis trop vieux maintenant pour débuter la
carrière de
l'enseignement. D'ailleurs, la santé est le plus
précieux
de tous les biens, et la mienne résisterait difficilement
à un travail tel que celui-là.
Je me
décide donc
à rester modestement ingénieur des ponts et
chaussées, et même à abandonner la
physique, si les circonstances l'exigent." |
lettre de Fresnel à son
frère Léonor, 25/09/1816 |
Son principal soutien, ce sera François Arago;
qu'il s'agisse d'encourager ses expériences où de luii trouver un
poste. Ainsi, il s'efforce de trouver le moyen de le faire revenir
à Paris, en sollicitant l'aide de Gaspard de Prony
"Monsieur et cher
Confrère,
J'ai été chargé par l'Institut, dans
une des
dernières séances, d'examiner un très
beau
mémoire de M. Fresnel[...]
Il serait grandement à désirer que l'auteur
pût
venir passer quelques jours à Paris où je
m'empresserai de
lui fournir les moyens de completter [sic] promptement ses recherches.
Ne
pensez vous pas, Monsieur, qu'il serait possible d'obtenir de son
Excellence le Directeur Général, à
cette
époque de l'année où les travaux
doivent avoir peu
d'activité, un congé de quelques semaines? Je
m'adresse
à vous avec confiance, persuadé que vous portez
à
M. Fresnel tout l'intérêt que doit vous inspirer
son
double titre de physicien très habile et
d'ingénieur des ponts et
chaussées. " |
|
lettre d'Arago
à Prony, 19/12/1816 |
De Prony, buste.
Bibliothèque de l'École
Polytechnique |
Le temporaire va se muer en définitif
"Mon
bon ami, me voici définitvement fixé à
Paris. Je
suis attaché au canal de l'Ourcq, arrondissement de Paris. Mon service commence le 1er
Mai. J'aurais bien désiré qu'on m'eût
laissé
encore libre jusqu'au mois d'août, parce que mon concours de
diffraction n'est guère avancé" |
lettre de Fresnel à son
frère Léonor, 28/04/1818 |
En effet, il ne lui reste que trois mois, délai
de rigueur,
pour déposer le mémoire pour le concours de
l'Académie sur la diffraction! Il y travaillera
d'arrache-pied,
avec le précieux concours, pour les expériences,
de son
frère Fulgence, qui ne limite pas son aide aux traductions
des
travaux de Young.
Le 02/07/1819, Arago le fait nommer
à la
Commission des Phares.
Dès 1820, il conçoit ce qui sera une révolution technique dans le monde maritime:
la
lentille à
échelons, qui
équipera rapidemement
tous les phares de France et du monde. Pour ne pas trop allonger cette
page, nous lui en avons dédié une spécifique, pleine de bon air iodé:
allez la respirer... et revenez!
| |
Fresnel et les Phares,
toute une Histoire!
à découvrir dans notre page spéciale
avec des images exclusives de Sein, Ouessant, du Musée de la Marine...
|
... car elle est un peu trop longue pour être racontée ici!
| |
|
|
Dès 1817, Arago pousse Fresnel à se
porter candidat
pour un siège à l'Institut. En 1823,
l'Académie
lui préfère, dans sa séance du 27
Janvier, un
physicien de moindre envergure, Dulong "compte tenu de
l'ancienneté de ses travaux",
par 36 voix contre 20. Le 12 Mai, Fresnel prend une
éclatante
revanche: 52 voix sur 52! (Le texte de Fabry ci-dessous comporte une
erreur sur l'année.)
"L'année
suivante, en 1825, Fresnel était élu membre de
l'Académie des Sciences à l'unanimité
de
suffrages, circonstance, si je ne me trompe, extrêmement rare
dans nos annales académiques. Un an plus tard, en 1826, la
Société royale de Londres l'inscrivait parmi ses
associés.
C'est à peu près à cette
époque que s'arrête l'activité
scientifique de Fresnel." |
Charles
Fabry, Conférence
pour le Centenaire de la mort de Fresnel |
Car sa santé, désormais,
décline rapidement. La tuberculose
aura raison d'un jeune homme de 39 ans! Il est enterré au
Père
Lachaise, où sa tombe aurait peut-être besoin
d'une petite
rénovation, malgré le geste touchant
(et anonyme?) qui essaie d'attirer le regard du
promeneur en
quête de célébrités. Mais
déjà, en 1927...
"Il s'éteignit dans
les bras de sa mère
le 14 juillet 1827. Sa tombe, modeste comme il fut lui-même,
est à
Paris, au cimetière du Père Lachaise; la famille
de Fresnel n'étant
plus représentée que par des parents
éloignés, la Société
Française de Physique a pris la charge de cette tombe,
qu'aucun
monument ne signale à l'attention du public; elle ira demain
y
déposer quelques fleurs. " |
Charles
Fabry, Conférence
pour le Centenaire de la mort de Fresnel |
Sa tombe serait assez difficile à trouver, si un admirateur anonyme
n'avait disposé avec soin des petits cailloux pour former son nom...
car la plaque frontale, très usée par le temps et les intempéries, est
pratiquement illisible! On y distingue à grand peine les deux premières
lignes:
à la mémoire / d'Augustin Fresnel
puis on croit deviner les deux suivantes:
membre de l'Institut / de France
|
|
|
|
Sépulture de Fresnel au Cimetière du Père Lachaise (14ème
division), Paris.
|
mais une restauration minimale (reprendre la gravure, la colorier
en blanc ou or...) ne serait pas un luxe, en cette année 2022 où France-Mémoires l'a inscrit à sa liste de commémorations pour sa découverte...
Les
Intégrales ... en Raccourci!
On ne pourrait comprendre comment arrivent les
fameuses intégrales
de Fresnel
et, plus
importantes encore pour les problèmes physiques
étudiés, les fonctions de Fresnel
sans retracer
sommairement la route qui y conduit. Mais tout
lecteur n'est peut-être pas familier de ces symboles,
ni de l'optique (Un passage par un bac S est
pour cela souhaitable). C'est
pourquoi, afin de ne pas trop embêter les uns, et de donner
un
peu plus d'explications aux autres, nous proposons à ces
derniers un
dans laquelle ils trouveront des citations pour suivre
l'évolution historique, l'ébauche des calculs, et
des
liens vers des calculs plus développés encore.
Ils
pourront revenir ici ensuite!
Quant au lecteur souhaitant ignorer -fût ce temporairement-
ces
détails, qu'il sache seulement ces deux maîtres
mots de
l'affaire: ondes,
interférences.
L'étude de ces
dernières amène Fresnel à
établir la nature
ondulatoire de la lumière, et par
delà à ramener au premier plan de la physique
moderne le concept d'ondes; un de ses
distingués suiveurs est bien placé pour
l'évoquer:
:
|
"Le XVIIIème
siècle, dominé par l'idée que la
lumière
est de nature corpusculaire, ne parait pas avoir accordé aux
phénomènes d'interférences
toute l'attention qu'ils méritaient. C'est seulement
à la fin du siècle et au début du siècle suivant que le physicien
anglais Thomas Young reprit
sérieuseument l'étude de ces phénomènes,
mais c'est
au
génie du Français Augustin Fresnel (1788-1827)
qu'il
était réservé d'en donner une
explication
complète et définitive. Reprenant les conceptions ondulatoires de
Huyghens, Fresnel y trouve une explication
complète de toutes les apparences de diffraction et d'interférences
connues de son temps; il parvient à prouver, point
essentiel,
que la nature ondulatoire de la lumière n'est pas en
contradiction avec la propagation rectiligne." |
|
Louis
de Broglie, La Physique Nouvelle et les
Quanta (1937) |
Même
pour un lecteur averti des concepts, l'arrivée tardive
(1818), dans un
supplément à ses deux premiers
mémoires, pour le moins
elliptique, des
célèbres fonctions peut
légitimement poser question: voici, à
l'état brut,
ces deux petites pages.
|
|
Première occurence
des intégrales (ou plutôt des fonctions) |
Et
si elles vous laissent un peu perplexe, il n'est pas trop tard pour
faire le détour proposé!
La
Clothoïde, ou Spirale de Fresnel
Un tout autre problème conduit,
indépendamment,
à considérer ces mêmes fonctions. Il a,
en fait, été posé et résolu
antérieurement... mais il peut être
intéressant de
l'aborder par un problème
d'ingéniérie: une telle approche
n'aurait sûrement pas déplu à
l'ingénieur Fresnel!
Un cas
d'ingéniérie contemporaine
L'étude du tracé de la LGV Nord
(Ligne à
Grande Vitesse)
Paris-Lille-Londres-Bruxelles-Amsterdam suscita de nombreuses
controverses. Devait-elle passer par Amiens? par Lille-centre ou par
une gare "en pleine campagne, et en pleins courants d'air" un peu
à l'écart de la ville? La
SNCF
préférait cette deuxième solution,
plus simple
à mettre en œuvre et minimisant le temps de
parcours: il
est évident qu'un tracé en zone fortement
urbanisée, obligeant les rames à serpenter entre
les
immeubles existants était bien plus délicat
à
réaliser, et impacterait les temps de trajet... mais le
maire
de Lille (à l'époque, Pierre Mauroy) tenait
à sa
gare en centre ville. C'est ainsi que, grâce à son
opiniâtreté... et à une conception
architecturale
désastreuse, les Lillois purent
bénéficier d'une
gare en centre ville ET
des courants d'air! Pendant qu'Amiens perdait une deuxième
fois sa bataille du rail...
Mais si une solution correcte put être trouvée,
c'est
grâce à la bonne idée de deux
ingénieurs de
la SNCF qui
allèrent frapper à
la porte du laboratoire de Géométrie et Topologie
de
l'Université Lille-I (Unité associée
au CNRS) : le logiciel avec lequel ils
résolvaient ce genre de problèmes
était devenu
inutilisable. On était en 1987, la ligne devait ouvrir en
1993... le délai était serré, car il
fallait
à la fois résoudre des problèmes de
géométrie et écrire un nouveau code;
un contrat
fut rapidement signé entre la SNCF
et le CNRS.
Les problèmes géométriques
concernaient le raccordement "en douceur" entre des portions de droite et des arcs
de cercle. On ne peut abouter les uns aux
autres,
comme cela se voit souvent sur les trains jouets, sans risquer au
minimum de l'inconfort (pour les passagers), de l'usure
accélérée par les
déformations (pour le
matériel de voie), au pire des déraillements -le
risque
augmentant avec la vitesse, ce qui est particulièrement
ennuyeux
pour un TGV! Mais le problème n'avait pas attendu la grande
vitesse pour être traité, et les
réseaux
ferroviaires utilisaient depuis longtemps ce qu'ils appelaient des
raccordements paraboliques -on verra que penser
de l'appellation- pour aménager ces transitions, ces
changements de courbure.
Une affaire
de courbure
Petit Guide de Courbure
à l'usage des mal géométrisants
Un cercle a un rayon, c'est
bien connu!
Pour une courbe quelconque...par exemple l'ellipse bleue de la figure
ci-contre, si on voulait l'approcher par un cercle, il serait "grand"
en A, "petit" en B, intermédiaire en M... bref, cela
dépendrait du point M, selon que la courbe sy resserre, ou,
au
contraire, s'élargit. Un rayon, toujours, oui, mais variable en fonction du point.
N.B.: les cercles représentés ne sont pas les "vrais"
cercles de courbure, mais de simples tâtonnements
destinés à faire sentir le problème!
|
|
Fixonx
M, et regardons-y
les cercles tangents: il y a en ce point des cercles visiblement trop
grands (brun foncé), d'autres tout
aussi visiblement trop petits (brun
clair)...
il doit
bien exister un rayon limite entre ceux qui sont trop
grands et ceux qui sont trop petits? (un cercle noir?)
Attention! Nécessité morale n'est pas preuve.
Mais en
l'occurence, pour une courbe suffisamment
régulière, oui,
il existe, et c'est lui qu'on appelle rayon de courbure. Et ici, notre dessin est
plutôt fidèle à la
réalité!
Pour une droite... ce rayon serait infini! Aussi est-il plus sage de
travailler avec l'inverse du rayon, c'est la courbure. Elle est
donc nulle pour une droite, constante pour un cercle. |
|
Le
problème des
raccordements ferroviaires reformulé, c'est de construire
une
courbe dont la courbure varie progressivement d'une courbure
( 0
dans le cas d'une droite) à une courbure donnée.
Le plus
simple, c'est de demander que ce soit proportionnellement à
la
longueur... ainsi vient l'équation, où
le paramètre naturel est
l'abscisse curviligne s (s est
ce qu'indique le compteur kilométrique d'une voiture sur une
route sinueuse: ce serait l'abcisse sur le fil épousant la
forme
de la courbe, une fois qu'on l'aurait retendu, d'où son nom;
voir aussi le début
de cet article)
Reste, bien sûr, à savoir exprimer γ... un
petit peu de géométrie différentielle
-l'usage des formules de Frenet (voir par exemple ici)- conduit en quelques lignes
aux équations
dx/ds = cos(a.s² )
|
dy/ds = sin(a.s² ) |
qui
s'intègrent, en prenant (0,0) comme point de
départ -on se restrient au cas
a = 1 pour
simplifier -
en
et l'on
reconnait, comme coordonnées, les deux fonctions de Fresnel.
Pour plus de détails, le texte d'une conférence donnée par Carlos Sacré, membre de l'équipe qui réalisa ce travail pour la ligne du TGV Nord..
Petite
histoire d'une courbe
Elle apparait la première fois (1694)
dans une brève note de Jakob Bernoulli relative
à un problème de mécanique. Elle est
publiée post
mortem en 1744, année où Euler
donne abcisse et ordonnée sous forme de série
entière, avant de réussir à calculer
les
coordonnées des points asymptotes (donc, ce que l'on nomme
aujourd'hui intégrales
de Fresnel) en 1781: c'est ce qui explique la
dénomination Euler's spiral
dans la littérature anglo-saxonne. En France, elle est
plutôt appelée spirale de Cornu, en souvenir du
physicien Marie
Alfred Cornu (1841-1902) qui l'a, le premier, clairement associée
aux travaux sur la diffraction de Fresnel (1874, CRAS, 12 Janvier 1874,
pp 119-122)
|
|
Alfred Cornu, au violon...
pour une expérience d'acoustique
|
"sa" spirale, telle qu'elle
figure dans son article |
|
|
Une partie de la note
où Alfred Cornu introduit "sa" spirale; la
référence à Fresnel est explicite. |
et dans les notes manuscrites de son cours1884-85, prises par un
polytechnicien
(Le mathouriste remercie V. Fraticelli, qui lui
a communiqué cette photo)
Son autre nom, clothoïde,
lui a été donné par celui qui en a
étudié les propriétés de
façon
approfondie (1886), l'italien Ernesto Cesàro
(1859-1906). C'est une référence au nom de la
plus jeune des trois Parques,
les déesses qui, dans la mythologie grecque (où
elles sont appelées les Moires),
puis romaine, filent la destinée de chaque humain. Clotho,
la
plus jeune, tient la quenouille et déroule le fil de la vie
d'un
individu; de même la spirale de Cornu semble se
dérouler
à partir de son point asymptote...
|
|
|
Giorgio Ghisi
(1520–1582), Les Trois Parques
(MET
Museum, New York)
|
dans la version de Camille
Claudel (1893, plâtre)
Musée
Rodin, Paris |
Autour de 1890, plusieurs ingénieurs
ferroviaires, reposant
le problème sans savoir qu'il a déjà
été résolu, la
redécouvriront (Holbrook
1880, Railroad Gazette;
Talbot 1890, The Railway Transition Spiral;
Glover
1900, Transition Curves for Railways).
Retour
à la case ferroviaire
Les fonctions de
Fresnel n'étant pas
explicitables par des formules algébriques (à
partir des
fonctions couramment disponibles dans un ordinateur), on va en utiliser
une approximation suffisante en pratique, issue de
l'intégration
des séries entières de cos (s²)
et cos (s²) -les
séries obtenues par Euler et
"dédaignées" par Fresnel!
Ne pas perdre de vue qu'il s'agit d'opérer
près de
0, là où la courbure est nulle... très
vite, le
resserrement de la spirale rendrait aussi saugrenue qu'incongrue
l'idée d'y faire circuler ne serait-ce qu'un tortillard! Les
séries obtenues sont alternées, ce qui permet un
contrôle facile de l'erreur commise en les tronquant.
À
l'ordre 3
cela s'avère un peu
juste: quand on quitte la version adimensionnée, seule
présentée ici, pour l'adaptation en vraie
grandeur, par
exemple, raccorder la droite à une courbe de 500m de rayon
sur
une distance curviligne de 150m entre les deux points de
raccordement (ordres de grandeur pratiqués par la SNCF) , x s'écarte
de 34 cm de
la clothoïde réelle. Toutefois, de telles courbes
ont
été utilisées dans le
passé, par la SNCF et
d'autres réseaux, sous le nom de raccordement parabolique.
Nom a
priori surprenant -la parabole étant une courbe du second
degré- mais il faut se souvenir que Wallis ou Descartes,
au XVIIème
siècle, nommaient cette courbe parabole
cubique!
Un raccordement par courbe du troisième degré est
explicitement mentionné par l"ingénieur
écossais Rankine (1820-1872),
probablement pour la première fois dans l'histoire du chemin
de fer.
Prendre un terme de plus dans chaque série conduit
à une
approximation largement suffisante: pour les mêmes
données, l'écart sur x est
inférieur à 3mm. Ce fut donc la solution retenue
sur la LGV Nord.
Bien sûr, il reste à faire un peu de
géométrie complémentaire, pour
résoudre les
problèmes du genre:
- entre deux lignes droites données,
implanter une
courbe (circulaire) de rayon donné et construire les
raccordements par "clothoïde" (approchée au sens
précédent);
- entre deux courbes
(circulaires) de rayons donnés,
implanter une portion de droite et construire les raccordements par
"clothoïde" (approchée au sens
précédent);
- effectuer les similitudes de mise à
l'échelle.
Outre les géomètres, le projet
mobilisa un
ingénieur du CNRS pour l'écriture du logiciel, et
deux
étudaints en projets de fin d'étude pour
l'interfaçage avec le logiciel de traçage et
visualisation (AutoCAD).
Ainsi optimisé, le tracé par Lille-centre ne
"retardait"
le voyage Lille-Paris que de 4 minutes, permettant de joindre les deux
villes en 1h.
(Merci à Carlos Sacré, USTL, membre de
l'équipe
qui a réalisé ce travail, pour les informations
données lors de plusieurs conférences publiques
en 2001)
Liens
spécifiques
sur la
clothoïde:
sur les
raccordements ferroviaires
La
Postérité de Fresnel
Des Ondes
partout!
Au
temps de Fresnel,
les ondes sont essentiellement mécaniques: cordes vibrantes
(d'Alembert),
ondes à la surface d'un liquide, ondes sonores.
Leur propagation a un milieu, un support, respectivement solide,
liquide ou gazeux dans les cas cités. Fresnel ressent la
nécessité morale d'un support ("un fluide particulier") qu'on
appellera un peu plus tard éther.
Du point de vue littéraire et
mythologique, le mot désigne les cieux, ainsi
"L'harmonieux Ether, dans ses
vagues d'azur,
Enveloppe les
monts d'un fluide plus pur ; "
Entre
physiciens, il fera couler beaucoup d'encre
(Einstein lui-même changera plusieurs fois d'avis!) avant
qu'ils n'acceptent
l'idée, aussi banale aujourd'hui que dérangeante
en son
temps, de la propagation dans le vide.
Ce qui est remarquable chez Fresnel, c'est sa
hardiesse -sans doute imprécise, il est vrai- de
penser que les ondes
sont la clef de la théorie
naissante de l'électricité! C'est ce
qui apparait dans la suite de sa lettre annonciatrice à
Léonor:
"En attendant, je t'avoue que je
suis fortement tenté de croire aux vibrations d'un fluide
particulier
pour la transmission de la lumière et de la chaleur. On
expliquerait l'uniformité
de la vitesse de la lumière
comme on explique celle du son; et l'on trouverait peut-être dans
les dérangements de ce fluide la cause des
phénomènes électriques." |
lettre de Fresnel à son
frère Léonor, 05/07/1814 |
|
La
mesure de la vitesse de la lumière
dans un autre milieu que l'air est d'emblée
identifiée comme un examen de passage pour sa
théorie:
"Toutes
les circonstances de cette expérience s'expliquent
très
bien dans la théorie que M. Fresnel a adoptée;
mais pour
cela il faudrait admettre que la lumière se meut plus
lentement
dans le verre que dans l'air."
Arago, Note sur la diffraction, 26
Février 1816
|
Mais elle ne sera réalisée que
bien après la mort de Fresnel: elle est l'œuvre de
Léon Foucault
en 1850, sur une idée d'Arago (1843) que celui-ci n'a pu
mener à bien en raison de la dégradation de sa
vue. Elle
établit que
la lumière se propage plus rapidement dans l'air que dans
l'eau,
invalidant ainsi la théorie corpusculaire au profit de la
théorie ondulatoire de la lumière: en effet, la
théorie corpusculaire prévoyait une vitesse
proportionnelle à l'indice de réfraction du
milieu, la
théorie ondulatoire une vitesse inversement
proportionnelle. Fresnel a donc vu juste!
|
Léon Foucault
Musée Carnavalet (Paris) |
|
Quant à réaliser l'unification entre chaleur,
lumière,
électricité et magnétisme,
ce sera, dès 1819
(découverte de l'influence de
l'électricité sur
les aimants, par Ø
rstedt) et 1820
(action
réciproque des courants, par Ampère)
l'œuvre de la
trinité des premiers continuateurs de Fresnel;et le terrain
sur
lequel ils s'avancent, l'étude de
l'électricité.
"Les
combinaisons chimiques, la chaleur,
l'électricité, le
magnétisme ont une cause commune, deux forces
répandues
dans la nature. Ces forces
générales et universelles sont des forces
électriques. " |
Ørstedt |
Ampère identifie l'éther
électrique, dans lequel se propagent les
actions à distance entre courants et aimants avec l'éther
luminifère de Fresnel. Par ses
expériences avec de la limaille de fer, Faraday introduit le
premier la notion de champ
de forces et de lignes
de champ;
tout est en place pour l'arrivée du héros
suivant,
honoré également par le choix "2015, année de la
lumière": 150 ans plus tôt, Maxwell
publiait l'article fondateur de sa théorie de l'électromagnétisme:
A dynamical theory of the electromagnetic field (1865
est l'année de publication, mais il fut
communiqué à la Royal Society le
08/12/1864).
|
"Nous avons
donc quelques raisons de croire, en nous appuyant sur les
phénomènes de
lumière et de chaleur, qu'existe un éther qui
remplit l'espace auxquels
les corps sont perméables [...]
Ce
milieu est donc capable de recevoir et de stocker deux formes
d'énergie, l'énergie "réelle" qui
dépend du mouvement de ses parties,
et l'énergie
"potentelle" qui correspond au travail effectué par ce
milieu en
retrouvant sa forme initiale par élasticité.
La
propagation des ondes consiste en la transformation continue d'une de
ces énergies en l'autre, alternativement [...]
Nous
savons maintenant que l'éther luminifère est,
dans certains cas,
sollicité par le magnétisme; car Faraday a
découvert que, lorsqu'un
rayon de lumière polarisée traverse un milieu
transparent et
diamagnétique dans la direction des lignes de force
produites au
voisinage par des aimants ou des ourants, le plan de polarisation est
soumis à une rotation."
|
"Ce qui
importe seulement, c’est de
dire que Maxwell sut résumer en des formules d’une superbe
concision mathématique les résultats de
ses devanciers et montrer
comment l’optique tout entière pouvait
être considérée comme un
rameau de l’électromagnétisme. "
|
Louis
de Broglie, thèse
(édition 1925) |
|
Avec les premiers succès de la radio (la Télégraphie
Sans Fil,
comme on dit alors), les ondes quittent le laboratoire et envahissent
le domaine "grand public" avec un succès croissant et...
exponentiel. Radio, télévision, rayons X en médecine,
micro-ondes font de plus en plus partie de la vie quotidienne du XXème
siècle, apportant la plupart du temps leurs bienfaits au
confort moderne, parfois leur menace (
radioactivité nucléaire).
Au tournant du XXIème
siècle,
grâce à l'essor de l'informatique,
téléphonie mobile, localisation par GPS,
réseau
mondial Internet consacrent les ondes
électromagnétiques
comme nerf de la communication moderne.
|
Plaque commémorative,
siège de British Telecom (Londres) |
|
Ondes,
Corpuscules: du "OU" au "ET"
Notre
promenade se poursuit... à Prague. C'est là,
pendant un séjour
relativement bref (18 mois,
à cheval sur 1911
et 1912) qu'Albert Einstein
prépare les manuscrits de ce qui sera
présenté en 1915 sous le nom de
relativité
générale. Il y prédit notamment une
déviation de la lumière des étoiles
par l'effet
gravitationnel du soleil dont "2015, année de la
lumière" commémore aussi le centenaire.
En raison de la guerre, la vérification n'en sera faite
qu'en 1919 par Eddington.
|
"Je
suis heureux que ce petit livre qui présente les
idées
essentielles de la théorie de la
relativité
soit maintenant publié dans la langue du pays où
j'ai
trouvé le calme nécessaire pour donner, petit
à
petit, aux idées de base de la théorie de la
relativité générale (1908) une forme
plus
définitive qui me permette de la présenter. C'est
dans
les salles tranquilles de l'Institut de Physique Théorique
de
l'Université Allemande de Prague, rue Viničná,
que j'ai
découvert en 1911 que le principe d'équivalence
implique
une déviation des rayons de la lumière du soleil
qui peut
être observée [...]."
|
Institut de Physique
Théorique Prague |
Albert
Einstein
Préface à
l'édition en langue tchèque
|
Einstein y résidait dans la calme rue Lesnická,
un peu
à l'écart des circuits tourstiques "classiques",
et
pourtant pas si loin de ce point de passage obligé qu'est la
célèbre maison Ginger & Fred
de Frank Ghery... traversez donc la Vltava (alias Moldau)
célébrée par Smetana, cela vous
réservera une bonne surprise!
|
|
Façade de la
maison, rue Lesnická, où résida Albert
Einstein en 1911-1912 (Prague)
|
|
|
En
plein centre ville, un lieu où Einstein retrouvait ses amis
pour un peu de détente.
Plaque apposée par l'Union des Mathématiciens et
Physiciens tchèques pour son 120ème
anniversaire (14/03/98) |
Seulement... depuis 1905, Einstein avait écorné
la
théorie ondulatoire en revenant au principe d'une
lumière
corpusculaire pour élucider l'effet photoélectrique
(et y gagner son prix Nobel 1921) en suivant la piste ouverte par Max
Planck et sa théorie des quanta. Il
y avait donc à
la fois des particules
(de lumière) et des fréquences -ou, ce qui
revient au même, des longueurs
d'onde dans la célèbre relation de
Planck
Et là où il y a des longueurs d'onde, comment
oserait-on
soutenir qu'il n'y a pas d'onde? Il fallait tout l'humour d'un Richard
Feynman (prix Nobel 1955) pour ne pas
s'arracher les cheveux et admettre la double nature
d'une lumière devenue Docteur Jekyll et Mister Hyde de la
Physique (prudemment, nous ne distribuerons pas les rôles...)
"[Ce
fut] une période où l'intelligence des physiciens
fut
mise à rude épreuve : la lumière,
disait-on, doit
être considérée soit comme une onde,
soit comme un
ensemble de particules, selon les situations expérimentales.
C'est ce qu'on a appelé la "dualité
onde-corpuscule"
[...] à cette époque la lumière
était une
onde les lundis, mercredis et vendredis, et un ensemble de particules
les mardis, jeudis et samedis. Restait le dimanche pour
réfléchir à la question . " |
Richard Feynman, Lumière et
matière, une étrange histoire |
Cest alors, en 1923, qu'intervient
Louis de Broglie:
non sans audace, il généralise à toute
la
matière la dualité onde-corpuscule; la
lumière n'est plus une exception singulière, elle
est
"dans la norme", pourrait-on dire: à
toute particule peut-être associée une onde, et
inversement. En commençant par la plus simple
de toutes, l'électron:
"La
structure discontinue des radiations et l'existence des photons ne
pouvaient plus guère être contestés.
Dès
lors, se posait avec une accuité accrue le redoutable
dilemme
des ondes et des corpuscules en ce qui concernait la
lumière. Il
fallait bon gré mal gré admettre que l'image des
ondes et
l'image des corpuscules devaient être tour à tour
utilisées[...]
et la
relation entre fréquences et énergie qu'Einstein
avait
mise à la base de la théorie des photons
indiquait
clairement que cette dualité d'aspect des rayonnements
était intimement liée à
l'existence
même des quanta.
Mais alors une question se posait pour ainsi dire d'elle
même:
puisque lexistence des états stationnaires pour les atomes
démontre l'intervention du quantum d'action dans les
propriétés de l'électron, ne doit-on pas supposer
que l'électron
présente une dualité d'aspect analogue
à celle de la lumière? À
première vue, une semblable idée paraissait bien
hardie [...].
Jamais l'électron n'avait manifesté de
propriétés nettement ondulatoires
analogues à celles que la lumière manifeste dans
les
phénomènes d'interférences ou de
diffraction. Prêter
à l'électron, en
l'absence de toute preuve expérimentale, des
propriétés ondulatoires pouvait
paraître une fantaisie d'un caractère peu
scientifique[...]. " |
Louis
de Broglie, La Physique Nouvelle et les
Quanta (1937) |
L'expression Mécanique
Ondulatoire, forgée en cette
occasion, marque ce double aspect; elle évoluera en Mécanique Quantique
sous l'impulsion de Niels Bohr, Erwin Schrödinger
(qui nommera
onde Ψ
l'onde associée à une particule) et Wolfgang Pauli.
Dès le début de sa thèse, rappelant
l'état
des opinions sur la lumière en un bref historique, de
Broglie rend
hommage à Fresnel avant de poser le principe fondamental de
ses
recherches:
|
"Un des grands succès
de
Fresnel fut d’expliquer la propagation rectiligne de la
lumière
dont l’interprétation était si
intuitive dans la théorie de
l’émission. Quand
deux théories fondées sur des
idées qui nous
paraissent entièrement différentes, rendent compte avec la
même
élégance d’une même
vérité expérimentale, on peut toujours
se
demander si l’opposition des deux points de vue est bien
réelle et
n’est pas due seulement à l’insuffisance
de nos efforts de
synthèse. Cette question, on ne se la posa pas
à l’époque de
Fresnel et la notion de corpuscule de lumière fut
considérée comme
naïve et abandonnée."
|
|
Louis de Broglie, thèse
(édition 1925) |
Georges
Lochak, qui préside la fondation
Louis de Broglie, a raconté
que de Broglie, en souvenir du domaine familial où
était né Augustin, avait un buste de Fresnel -un
de
plus!- sur son bureau. Et, quand ses interlocuteurs avait du
mal
à le suivre, il se tournait vers la sculpture et disait: "Lui m'aurait compris..."
En 1927 se placent deux événements
importants. Le
premier est une confirmation expérimentale des
idées de
Louis de Broglie
"...
la liaison entre les ondes et les corpuscules et la
nécessité de construire une mécanique
nouvelle
à caractère ondulatoire avaient pris en 1926,
grâce
aux admirables mémoires de M. Schrödinger,
une ampleur et une précision extraordinaire. Mais si belles
que
fussent les idées générales et les
méthodes
fondamentales de la mécanique ondulatoire, si
précises que parussent les vérifications qu'elles
avaient
reçu par la prévision exacte des
phénomènes
atomiques, il manquait encore à ses conceptions une
vérification expérimentale directe.
L'année 1927 a
apporté cette vérification grâce
à la
découverte par MM Davisson et Germer de la diffraction des
électrons." |
Louis
de Broglie, La Physique Nouvelle et les
Quanta (1937) |
et nous voilà revenus à la diffraction, c'est
à dire au point de départ même de
Fresnel!
Le second est un congrès Solvay
resté parmi les plus célèbres: tous
les physiciens
fondateurs de la mécanique quantique sont
présents et
vont en discuter au cours de débats passionnés.
Les participants du
congrès 1927, à Bruxelles
Fait exceptionnel, le congrès se transporte à
Paris pour une journée
d'hommage commémorant le centenaire de la mort d'Augustin
Fresnel (On trouvera ici le
lien
vers un recueil contenant les trois interventions de Picard,
Lorentz et Fabry). Ce qui permet à de Broglie, qui a eu le
plaisir d'y rencontrer Einstein, de prolonger leurs échanges
de
vues:
"Revenant
de Bruxelles à Paris avec lui pour assister à la
célébration de l'hommage rendu au grand physicien
français Augustin Fresnel à l'occasion du
centième
anniversaire de sa mort, j'eus une dernière conversation
avec
Einstein sur le quai de la gare du Nord. Il me dit encore
qu'il avait peu de confiance dans l'interprétation
indéterministe et
qu'il blâmait l'orientation trop formelle que
commençait
à prendre la Physique quantique; forçant
peut-être
quelque peu sa pensée, il me disait que toute
théorie
physique devrait pouvoir en dehors de tout calcul, être
illustrée par des images si simples «qu'un enfant
même devrait pouvoir les comprendre». " |
Louis
de Broglie, Nouvelles
Perspectives en Microphysique (1956) |
En 100 ans, les ondes avaient envahi toute la
physique, jusquà ses développements les plus
récents!
Et
bientôt 200 ans après, c'est l'industrie qui a
été conquise par les ondes de
matière, comme
elle l'avait été une première fois par
les ondes
"classiques" aux temps du développement de la TSF.
"Les
lois quantiques et les propriétés ondulatoires de
la
matière qui ont jadis été une
hypothèse,
puis un fait expérimental, sont maintenant partout
présentes dans notre vie quotidienne. Elles sont, entre
autres,
à la base de nos connaissances sur les
propriétés
de conduction électrique de l'état solide. Or ce
sont ces
propriétés qui permettent le fonctionnement des
transistors et des circuits intégrés et c'est
donc
la connaissance
que nous en avons qui a permis le développement actuel de
l'informatique, de l'automation, de la radio et de la
télévision, du radioguidage, etc. Ce sont
également les
propriétés quantiques
et ondulatoires de la matière et de la lumière
qui sont
le fondement même de toute l'électronique et de
phénomènes devenus importants dans la pratique
comme la résonance magnétique
nucléaire et la supraconductivité. [...]
Quand cet ouvrage a été écrit, les
théories
quantiques et ondulatoires étaient encore essentiellement un
objet de spéculation qui n'intéressait que
quelques
centaines de personnes dans le monde. Aujourd'hui, elles sont au
cœur
de l'industrie, de la médecine, des transports, de la
communication. "
G.
Lochak, Préface à Louis
de Broglie, La Physique Nouvelle et les
Quanta (éd. 1986)
|
Pour terminer sur ces développements en proposant un point
de vue actuel, le Mathouriste
préfère vous laisser en compagnie de deux
physiciens
renommés, à l'occasion de conférences
récentes. Inévitablement, ils vous parlent de
Fresnel et
de Broglie avant d'évoquer leurs propres avancées:
Même si vous n'avez pas fait de physique, vous ne
pourrez
qu' apprécier la clarté... et la franchise du
conférencier; petit exemple tiré de la
première:
"Je voudrais vous inviter
à ne pas vous
laisser avoir.
Ce n'est pas parce qu'un prof'
va vous répéter: «Ce n'est pas
difficile, la réponse à la question, c'est la
dualité onde-particule.», si vous trouvez ça
difficile, eh bien, vous avez raison. Moi, ça fait 50 ans
que j'essaie de comprendre ces mots, et je ne suis pas
sûr de les avoir vraiment compris.
Le
message que je veux vous donner, c'est que si on pense qu'on ne
comprend pas, il ne faut pas dire « Oui, j'ai
compris» pour
faire plaisir à ceux qui vous répètent
des mots
comme une litanie. Ce n'est pas parce qu'on va
répéter «dualité onde-particule» tous
ensemble et en chœur, qu'on aura bien compris
à la fin de la séance. Si ça nous pose
des
questions, il faut accepter que ça nous pose
problème, et
il faut creuser le problème.[...]
La science
progresse en allant voir les endroits où on est
gêné, et moi je suis gêné par le
fait qu'il est facile de prononcer les mots «onde-particule»,
et qu'au fond de votre tête, vous vous dites «oui, mais
ça veut dire quoi exactement?» " |
Alain Aspect, L'héritage
de Louis de Broglie : La dualité onde particule du photon |
Fresnel et
Fourier
Commençons par l'accessoire, leur
similitude de
carrière. Tous deux n'ont été
scientifiques qu'en
marge de leur fonction principale (préfet pour l'un,
ingénieur pour l'autre, ce qui leur a valu de s'occuper l'un
et
l'autre des routes des Alpes!). Tous deux ont été
des
chercheurs isolés en raison de leur éloignement
de la
capitale (à la nuance près que Fresnel a maintenu
un lien
grâce à sa correspondance nourrie avec Arago).
Tous deux
ont connu la disgrâce politique (l'un sous les Cent Jours,
l'autre sous la Restauration), heureusement assez vite
effacée;
plus grave, tous deux ont dû affronter un milieu scientifique
non
préparé à leurs avancées et
plutôt
réticent (tous deux ont affronté
l'hostilité de
Poisson, grand mathématicien et physicien par ailleurs), ont
été priés de revoir leur
mémoire, avant de
connaître la consécration et l'élection
à
l'Académie.
Ils semblent s'être assez peu côtoyés;
il est vrai
que la gloire de Fourier
commence à peu près quand la
santé de Fresnel l'éloigne de Paris. Fourier a
été commissaire pour certains mémoires
de Fresnel,
mais les rapports portent plus la marque d'Arago que la sienne!
Il
est sans doute
à regretter qu'ils n'aient pas eu plus d'échange,
car la
notion d'onde est au centre de leurs travaux respectifs. Chez Fresnel,
elle est d'abord expérimentale explication des
phénomènes lumineux; tandis que, chez Fourier,
elle est
un outil théorique: il est possible de décomposer un signal
périodique en une série d'ondes!
Cela correspond, au fond, à la dominante du
tempérament
de chacun. Il est remarquable que leurs découvertes aient
suscité autant de longs prolongements théoriques
(Mécanique quantique d'un côté,
théorie des
séries trigonométriques, espaces de Hilbert... et
jusqu'à la théorie des ensembles de l'autre) que
d'applications pratiques fructueuses, qu'ils auraient
été
bien en peine de deviner.
"La
théorie des vibrations harmoniques a donné lieu
à
l'une des plus grandes découvertes mathématiques
du
XIXème siècle, celle des séries de Fourier
qui représentent une fonction périodique (comme
la vibration d'une corde) par une somme de vibrations harmoniques . [...]
Ce sont les séries de Fourier qui sont à l'origine de l'espace de Hilbert.
[...] La théorie des espaces
de Hilbert était déjà très
élaborée dans les années vingt,
prête
à accueillir en son sein la mécanique quantique [...]
On comprend pourquoi cette
entreprise était promise au succès, puisque
la théorie
de l'espace
de Hilbert était née de la théorie
générales des vibrations. Or, grâce
à la mécanique ondulatoire, un système
quantique comme un atome n'est rien d'autre, depuis Schrödinger,
qu'une enceinte à l'intérieur de laquelle l'onde
de de
Broglie se trouve dans des états stationnaires qui
correspondent
aux modes normaux de la physique des vibrations. "
G.
Lochak, La
Géométrisation de la Physique (1994)
|
S'il est aujourd'hui une discipline incontournable dans la
formation des étudiants physiciens comme dans celle des
élèves
ingénieurs, c'est la théorie du signal et
l'analyse de
Fourier; les deux héritages s'y trouvent intimement
mêlés. Kelvin
lisait le traité de Fourier comme un "poème
mathématique", on pourrait dire:
une ode
à l'onde.
Pour
repousser les limites de cet outil, les mathématiciens lui
ont forgé un prolongement, la théorie des ondelettes.
C'est tout cela, l'héritage conjoint de Fresnel et Fourier.
"Les
équations du mouvement de la chaleur, comme celles qui
expriment
les vibrations des corps sonores, ou les dernières
oscillations
des liquides, appartiennet à une des branches de la science
du
calcul les plus récemment découvertes, et qu'il
importait
beaucoup de perfectionner. Après avoir
établi ces équations différentielles,
il fallait en obtenir les intégrales [...] Cette recherche difficile
exigeait une analyse spéciale, fondée sur des
théorèmes nouveaux [...]
Les théories nouvelles,
expliquées dans notre ouvrage, sont réunies pour toujours aux sciences
mathématiques, et reposent comme elles sur des
fondements invariables. [...] On perfectionnera les
instruments et on multipliera les expériences . La théorie
elle-même dirigera toutes les mesures, et en assignera la
précision. Elle ne peut faire désormais aucun
progrès considérable qui ne soit fondé
sur ces
expériences; car l'analyse mathématique peut
déduire des phénomènes
généraux et
simples les lois de la nature; mais l'application spéciale
de
ces lois à des effets très composés
exige une
longue suite d'observations exactes."
J, Fourier,
Discours
Préliminaire à la Théorie Analytique
de la Chaleur (1822)
|
Souvenirs
de Paris
Outre le Musée de la Marine et
l'École Polytechnique, il y a
d'autres lieux parisiens où lire en gloire le nom de Fresnel
|
|
|
Dans le XVIème arrondissement de Paris
|
Sur la tour Eiffel,
côté École Militaire (Paris)
Fresnel y est en
compagnie de son ami Arago, à côté de
De Prony, qui l'a aussi soutenu.
|
Un peu plus caché aux regards des passants... son
buste est
également présent dans la cour
intérieure de
l'ENS, rue d'Ulm
|
|
|
Mais...
surveillé en coin par Poisson! |
Dans
l'angle, Poisson et Fresnel. Ampère est juste à
droite de Fresnel |
Cornu, lui, a eu moins de chance... ou plutôt, devrait-on
dire, a
été victime d'une infâmie à
Paris!
|
|
Il
a été un peu mieux traité à
Orléans, sa ville natale (photo à Orléans: V. Fraticelli)
|
Loin,
très loin du Mathouriste,
l'idée de taxer d'usurpateur J.-H. Lartigue: difficile
d'aimer faire des photos, fût-ce en amateur, et de ne pas
être convaincu de la légitimité d'un
hommage
à l'un des plus grands de son époque. Mais
pourquoi
diable s'en prendre à Cornu, quand, à plusieurs endroits,
de la capitale, le même nom est donné
à deux
voies différentes? Exemple: avenue du Maine, rue du Maine...
En renommant une des deux, on
pourrait à la fois éviter les erreurs d'adresse
et cette
désagréable façon de rayer un
scientifique (ou de l'ignorer, c'est le cas de Fourier) du
paysage urbain -ce qui témoigne assurément d'un
certain
mépris. Car, bien évidemment, après
une
période de transition (pour ménager le facteur?),
le nom
de Cornu a totalement disparu!
Enfin, bien averti de son influence sur les
pères
fondateurs de l'électricité, Raoul Dufy a
représenté Fresnel dans sa Fée
Électricité... mais voilà
que son voisin le plus
proche est son farouche adversaire Biot! Heureusement,
Ampère,
qui l'a soutenu, n'est pas loin...
Un hommage plus crypté est cette cariatide géante (3 niveaux
d'appartements!) qui soutient de ses ailes un balcon au 57, rue de
Turbigo. Elle est couramment dénommée "ange de Turbigo"... et quel rapport avec Fresnel, vous demanderez-vous fort à propos?
L'hommage le plus récent (à notre connaissance) est l'appartition
-un peu trop discrète pour qui ne suit pas l'actualité philatélique-
d'un timbre à l'ffigie de Fresnel, en mai 2019.
Et comme il met
l'accent sur les phares et la fameuse lentille... voilà encore une incitation à consulter
|
|
Laissons la conclusion à Alfred Cornu, qui
soulignait avec pertinence, en inaugurant la statue d'Arago, le
rôle essentiel de ce dernier,
promoteur enthousiaste puis ami indéfectible de Fresnel:
"Il
accueillait en effet avec une bienveillance extrême tous ceux
qui
venaient lui apporter leurs travaux; les jeunes, les isolés
surtout; il les encourageait, les conseillait, les
soutenait au
besoin, payant ainsi sa dette de reconnaissance envers ceux qui avaient
guidé ses premiers pas. A
ce point de vue, la postérité n'oubliera pas que
c'est à Arago qu'on doit Fresnel.
Modeste ingénieur des ponts et chaussées au fond
de la
province; Fresnel occupait ses loisirs à méditer
sur la
théorie newtonienne de la lumière; accumulant les
objections à cette doctrine il s'adressa un jour
à Arago
pour lui soumettre des expériences en contradiction formelle
avec la théorie de l'émission [...]
Leur
liaison, purement scientifique d'abord, se transforma peu
à peu en une vive amitié, et leurs
pensées, comme
leurs travaux, se confondirent bien des fois dans d'affectueux
entretiens. [...]
C'est
ainsi que Fresnel a grandi à l'ombre d'Arago et qu'il est parvenu, malgré
sa fin prématurée, à
édifier sur des bases
inébranlables cette merveilleuse théorie des
ondes, l'un des plus beaux monuments
scientifiques du siècle."
A. Cornu,
Discours
d'inauguration de la statue d'Arago à Paris (11/06/1893)
|
Références
Œuvres de
Fresnel numérisées:
Les œuvres contiennent notamment les échanges par
lettre
de Fresnel avec Arago, Poisson, les membres de sa famille dont nous
avons donné quelques extraits.
Fresnel
présenté et commenté, sur BibNum:
Des textes sources, commentés et
présentés par les scientifiques
d'aujourd'hui.
Autres sources sur la
toile:
Livres et revues:
Des extraits -la totalité dans le cas du premier- sont
consultables en ligne lorsqu'il y a un lien.
- F. ARAGO, Éloge de
Fresnel à l'Académie des Sciences
in Œuvres Complètes, tome 1
pp107-186 (sur Gallica)
- L. de BROGLIE, La Physique Nouvelle et les
Quanta (Champs Flammarion)
- J. BUCHWALD, The
Rise of the Wave Theory of Light (University of
Chicago Press)
- R. FEYNMAN, Lumière et
Matière, une Étrange Histoire (Points
Sciences)
- J. LEQUEUX, François
Arago, un Savant Généreux (EDP
Sciences)
- T. LEVITT, A
Short Bright Flash: Augustin Fresnel and the Birth of the Modern
Lighthouse (Norton)
- B. MAITTE, Une Histoire de la Lumière (Seuil)
-nouveauté 2015, considérablement
augmentée par rapport à l'ouvrage
(épuisé) paru en 1981
- Les
Cahiers de Science & Vie , Fresnel, Qu'est ce que la
lumière? (n°5, octobre 1991)
Cette dernière référence est
idéale pour un
abord à la fois agréable et accessible, d'une
part,
sérieux et documenté, de l'autre. Elle n'est
malheureusement plus disponible (sauf éventuellement en
occasion.)