Non, ce qui les unit dans une même espèce, c'est la géométrie! Toutes deux illustrent un principe commun: faire glisser, parallèlement à elle-même, une première courbe en la fixant le long d'une seconde. Si vous croyez que c'est compliqué, c'est que vous n'avez jamais bien regardé dans votre penderie: les courbes qui glissent parallèlement à elles-mêmes, ce sont les cintres, et la courbe "porteuse", la tringle de la penderie. Au passage, ne résistons pas à cette observation: même dans une penderie, rien n'oblige les contres à être dans des plans perpendiculaires à la tringle... la preuve ci-contre! |
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(penderie 1) | (penderie 2) |
Ultime remarque avant de quitter notre penderie: avec de bon vieux (pour ne pas dire antediluviens) cintres dont la pièce de bois a la forme d'un arc de cercle, la surface décrite lorsque le crochet balaye la tringle support est une portion de cylindre, de révolution lorsque la tringle est horizontale (penderie 1), elliptique lorsqu'elle est inclinée (penderie 2). |
Enfin, peut-être avez vous été effrayé par l'expression savante double courbure? Bon, soyez raisonnable: êtes vous impressionné, si ce n'est favorablement, par l'image ci-contre (qui provient de notre page consacrée au mathématicien-vigneron Charles Méray)? Vous venez, en bon Monsieur -ou Madame!- Jourdain, de découvrir une surface à double courbure: on y voit en tout point deux courbes orthogonales de rayons différents, les cercles horizontaux (matérialisés par les cerclages du tonneau) et les planches "verticales", formant la précieuse cuve et cintrées en arcs de cercles -au moins en première approximation), à moins que ce ne soit d'ellipse... peu importe, d'ailleurs, car en adoptant le modèle d'une conique, cela permet, jolie découverte de Kepler, d'en donner une formule pour le volume, ce qui, convenez en, est bien le point essentiel. |
Pour inviter au rêve et au dépaysement, la visite du
célébrissime GOUM
de Moscou -ce grand magasin d'Etat du régime
communiste devenu le plus insolent temple du luxe, de la comsommation
effrénée et du capitalisme mondialisé s'impose: son toit est un
demi-cylindre dont la charpente métallique est formée de droites
horizontales, et de cercles verticaux, qui se translatent le long de la
génératrice sommitale: c'est l'expression la plus simple et la plus
naturelle d'une surface de translation. Mais on peut aussi la voir comme un ensemble de droites, qui se translatent le long d'un arc de cercle! C'est en fait une propriété générale des surfaces de translation qui le sont toujours de deux façons, à partir des deux familles de courbes (ici, cercles et droites) qui les définissent. Le bâtiment et sa verrière furent édifiés entre 1890 et 1893. Le demi-cylindre de fer et de verre a un diamètre de 14m. |
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La Place Rouge et le Goum: illuminations nocturnes à Moscou (Russie) |
la nuit tombe sur la verrière cylindrique du Goum, rehaussée par les illuminations du Nouvel An (Moscou, Russie) |
Monument à Shukhov, place Turgeniev, Moscou |
Mais au fait, à qui doit-on ce chef d'œuvre de simplicité et de luminosité? À l' "Eiffel Russe", Vladimir Shukhov (1853-), dont nous vous avons fait découvrir ici la géniale adaptation en architecture métallique de l'hyperboïde , et là le monument moscovite à sa mémoire, dont l'image ci-contre ne vous dévoile que la statue sommitale... or la base mérite qu'on s'y attarde!
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Lille, le Couvent des Dominicains, avenue Salomon |
"P.
Pinsard était un homme merveilleux et notre collaboration a été sans
nuage. Très vite, une amitié s'est nouée entre nous. Il avait une
personnalité très riche. C'était un caractère! Dans les réunions de
chantier, il ne tolérait pas l'à-peu-près. Ses plans avaient d'ailleurs
une qualité et une précision qui étonnaient les entreprises." Frère Michel-Robert Bous, interview, juin 2000
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"Pinsard s’est toujours associé avec d’autres architectes, comme il
l’était, par exemple, avant mon arrivée, avec Neil Hutchison. Non
diplômé, sans formation technique, maîtrisant peu la méthode du dessin à
l’encre des plans d’exécution précis, côtés, renseignés selon les
règles en cours et contractuels, il avait besoin de s’entourer. Son
cursus était davantage artistique que technique. Sûrement, gardait-il à
cet égard une sorte de complexe, des hésitations et une grande prudence. [...]. En revanche, c’était un remarquable
dessinateur qui avait travaillé avec Raoul Dufy. Il adorait dessiner,
faire des croquis, exécuter des perspectives au crayon.
Homme instinctif, très cultivé, plein de
sensibilité et de charme, passionné de musique, il aimait séduire ses
interlocuteurs. C’est comme cela qu’il est rentré en contact avec des
écrivains comme Blaise Cendrars.[...] S’il se disait athée, en fait, Pierre Pinsard était profondément religieux, mais il doutait. "
Hugo Vollmar, interview, juin 2000
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Couvent des Dominicains: première cour |
"De
bons esprits se sont demandés s'il existe une sorte de hiérarchie des
matériaux. Il peut sembler en effet que le matériau naturel (pierre, bois)
a une certaine supériorité sur le matériau obtenu: métal, béton, glace,
plastique, etc... En fait, je crois que c'est la façon de traiter la
matière et de lui insuffler l'esprit qui compte. Je ne crois pas à un
style architectural religieux. Il y a l'architecture dun temps donné et son expression religieuse.[...] On entend souvent: ça fait usine! Et alors, pourquoi pas: il y a de très belles usines. Les matériaux passés au crible de notre intelligence et de notre cœur sont notre langage et doivent nous permettre de nous exprimer en glorifiant le Créateur de toutes choses." Pierre Pinsard, conférence, Gand 1960
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Couvent des Dominicains: grande galerie du cloître |
Cette surface est mathématiquement répertoriée sous le nom de dôme bohémien. Le nom provient de la région où exerçait celui qui l'étudia de façon approfondie (1884):
Antonin
Sucharda
(1854-1907), professeur d'université à
Brno, en... Bohême (aujourd'hui, en République Tchèque). Certains
auteurs réservent l'appellation au cas où les deux cercles ont même
rayon; d'un autre côté, Sucharda a généralisé à des surfaces de
translation engendrées par deux coniques, ce qui légitime le nom dans notre
cas où les rayons diffèrent.
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Le dôme bohémien, clooection de modèles de l'Institut Henri Poincaré (Paris) |
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Mais
attention! Pour voir ce modèle en plâtre comme le toit des couloirs
précédents, il faut lui faire subir une rotation de 90°, comme illustré
à gauche. On retrouve bien alors la double génération cerclée dans la
même disposition. C'est très facile sur l'image... Cela aurait été
impossible physiquement, du moins sans un support en fil de fer! (La
surface aurait reposé sur un point unique, l'étagère constituant le
plan tangent en ce point)
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Le dôme bohémien une surface du quatrième degré,
comme le tore; mais dans le cas du tore, un cercle est en rotation en
s'appuyant sur un autre cercle, au lieu d'être en translation dans le
dôme bohêmien. Si vous avez envie de voir cette équation plus en détail, rendez-vous sur la page dédiée du site mathcurve.com de Robert Ferréol.
Elle présente une auto-intersection,
comme on le constate sur le modèle. N'oublions pas que le toit n'est
qu'une portion, tout à fait lisse, de cette surface.
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L'appellation voûte bohémienne paraît
avoir été, antérieurement à Sucharda, en usage dans les descriptions
architecturales; elle est parfois assez vague, et peut alors se voir
appliquée à différentes formes géométriques (dont sphère,
paraboloïde...), en fait à une voûte à deux courbures posée sur un
carré ou un rectangle.
Ci-contre, à titre d'exemple, un Manuel sur l'Art de la Construction (1820) manifestement à l'usage des ingénieurs, dit à peu près ceci, à l'issue du double exercice de réécriture dans une police civilisée, puis de traduction (la première étape ayant été jugée indispensable...)
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"
Le dôme bohémien est une forme de la voûte apparentée au dôme suspendu.
La voûte lisse en est étirée sur un plan d'étage principalement carré. Les arches délimitant le champ voûté, visibles sur les parois latérales, ne sont pas semi-circulaires dans la calotte bohémienne, mais forment des arcs très aplatis, ce qui rend cette voûte beaucoup plus plate que le dôme suspendu."
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" Au bout de quelques petites
minutes, Aglié entrait. «Veuillez m'excuser, mes chers amis. Je sors
d'une discussion désagréable, et c'est peu dire. [...] Mais suivez-moi,
je vous prie, dans mon petit cabinet de travail, où l'atmosphère pour
converser sera plus confortable.»
Il souleva la portière de cuir, et nous fit passer dans l'autre pièce.[...]Ce
jeu de lumières différentes, aussi innaturelles les unes que les
autres, d'une certaine façon ravivait cependant, au lieu de l'éteindre,
la polychromie du plafond.
C'était un plafond
en voûte, que la fiction décorative voulait soutenu aux quatre côtés
par des colonnettes rouge brique avec de petits chapiteaux dorés, mais
le trompe-l'œil des images qui lenvahissaient, réparties en sept zones,
lui donnait des allures de
voûte bohémienne, et toute la salle prenait le ton d'une chapelle
mortuaire, impalpablement peccamineuse, mélancoliquement sensuelle."
Umberto Eco, Le pendule de Foucault
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Couvent des Dominicains: première cour |
Il y a de quoi surpendre, de prime abord: les
deux couloirs ont même largeur, il suffirait donc, mathématiquement, de
prendre pour toit de l'angle... un unique dôme de Bohême!
Lisible en cercles parallèles de même taille dans les deux directions,
il constituerait le raccord parfait. Alors, pourquoi voyons nous autre
chose? Probablement parce que, si la solution est géométriquement parfaite, elle ne l'est pas du point de vue du matériau:
les lignes de brique privélégiraient une direction au dépens de
l'autre. La solution esthétique a donc été de substituer l'intersection de deux voûtes
cylindriques, qui, puisque les cylindres sont de même taille, est
formée de deux ellipses, bien visibles sur les images. (Ce cas est
présenté plus en détail, sur d'autres édifices, dans notre page sur les intersections de cylindres)
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Le réfeectoire | La salle commune |
Pénétrer
dans l'église, c'est à coup sûr être saisi par l'élégance de la
composition architecturale: sobriété des murs et de leurs vitraux,
finesse des piliers tronc-coniques (pointe vers le bas, comme dans le
palais de Minos en Crète -à voir dans cette page),
entièrement décollés des murs. Ce n'est que peu à peu que le regard
s'élève vers ce qui était censé être notre intérêt géométrique premier:
le voile de béton qui en forme le toit. Et pourquoi ne pas s'instruire
de l'intention artistique, avant de passer à l'aspect géométrique?
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Admirer à la fois l'élégance du toit et celle des claustras de vitraux: simplicité et pureté. |
Source des images: Historique du Couvent des Dominicains (sur le site web du couvent) | Dessin de l'architecte (source: site de P. Pinsard) |
"Shukhov avait entamé la
construction de charpentes métalliques voûtées en 1890, afin de
recouvrir deux stations de pompage à Grozny. La section droite des
toits était un arc de cercle, d'empattement approximatif 9m. En vue du
dessus, la structure offrait l'aspect d'un réseau "en as de carreaux",
formé par deux familles, symétriques par rapport à la section droite, de poutrelles parallèles.
Dans l'espace, celles-ci formaient donc des ellipses, rivetées à leurs
points d'intersection.[...] Il breveta ce système en 1895 pour des
surfaces à simple courbure et l'appliqua en différents endroits,
notamment à la foire-exposition de Nizhny-Novgorod." M. Beckh, R. Barthel,
The First Doubly Curved Gridshell Structure - Shukhov's Building for the Plate Rolling Workshop in Vyksa. (Congrès, 2009)
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plans originaux de Shukhov pour une voûte à simple courbure (source) les sections par les plans rouge et vert sont elliptiques, puisque la section droite (représentée au dessus) est circulaire. |
plan et gravure de l'usine de Vyksa, reproduits dans l'article de Beckh & Barthel à partir d'un livre de R. Graefe |
L'article Rethinking Complexity: Vladimir Shukhov's steel lattice structures (références
complètes ci-dessous) compare les principes architecturaux de ce toit
avec celui réalisé au British Museum (Happold, Chris Williams):
ce dernier doit raccorder un cylindre central au carré de
bâtiments qui l'entoure.
Une première proposition a servi de base à une étude des déformations possibles afin d'ioptimiser la structure. L'influence de la méthode des éléments finis est ici évidente (née avec la montée en puissance des ordinateurs, elle décompose une surface en éléments de forme simple, souvent triangulaires, mais de taille variable, afin d'évaluer les forces sur chaque panneau; elle s'applique aussi bien à laoûte d'un barrage qu'au fuselage d'un avion ou la coque d'un navire). Mais de ce travail ont résulté 3312 panneaux de double vitrage, tous différents; et même si l'ordinateur délivre le mode d'assemblage de ce puzzle géant, les raccords aux 1826 points nodaux s'est révélé délicat... Alors, comment ne pas être frappé par la simplicité des idées de Shukhov, exploitant la propriété de définition des surfaces de translation pour construire sa couverture à l'aide d'un grand nombre d'éléments standardisés, interchangeables et fabricables à la chaîne? Joli sujet de dissertation sur l'intelligence géométrique de l'homme et les ressources offertes par les merveilleuses "bêtes à calcul" qu'il a su créer... le Mathouriste vous laisse méditer la question! | Comment visiter Londres sans aller voir les trésors du British Museum? Ce jour là, le Mathouriste
pensait bien laisser ses maths au vestiaire et redevenir un touriste
ordinaire... mais comment ne pas être frappé par ce plafond en éléments
finis? Chassez les maths, elles reviennent au galop!
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Photo d'origine: G. Krämer
| On passera d'abord par l'Allemagne: le journal Main Post
relate, dans son édition du 15/12/2015, les travaux de restauration du
Musée Franconien de Bad Wisheim avec un cliché très intéressant quant
au procédé de contruction traditionnel en briques: sur les deux arcs
(de cercle? d'ellipse? -il n'y aurait guère de différence perceptible à
ce rayon et cet empattement) reposent des arcs parallèles -les lignes de briques- orientées à l'oblique (45°) par rapport au rectangle projetant la voûte: c'est, avant lui, le principe appliqué par Shukhov!
Compte-tenu d'une taille plus modeste, mais en contrepartie d'un
matériau plus fragile, la raison en est sans doute la même: renforcer
la solidité; et l'on pariera volontiers sur l'empirisme d'artisans
observateurs et expérimentés que sur de savants calculs.
On observera qu'il n'y a ici pas une, mais quatre
surfaces de translation qui se rejoignent deux à deux selon des lignes
parallèles aux arcs bordants, nettement marquées puisque les plans
tangents à chacune des surfaces sont différents. L'état inachevé est
une aubaine pour valider l'angle de 45° (ce n'est pas celui
estimé optimal par Shukhov!) : le trou se projette suivant un carré.
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Photos recadrées sur la voûte (source: catalogue d'images de l'établissement) |
Voilà qui commence à prouver que cette technique de construction a
essaimé dans une partie de l'Europe Centrale. Mais, direz vous, si la
Bavière nous rapproche... ce n'est tout de même pas la Bohême! Aussi
le Mathouriste est-il retourné à ses stocks de souvenirs photographiques... et il y a
trouvé l'église Sainte-Marie de l'Annonciation, à Litomerice
(République Tchèque, pour donner la localisation actuelle; mais la
région est dénommée Bohême du Nord.)
Adossée au Collège des Jésuites, elle a été construite entre 1701 et 1731 par l'architecte Octavio Broggio (1670-1742), qui a conçu plusieurs bâtiments religieux dans la région. Prenez donc le temps, en entrant, d'être saisi par la majesté du lieu... avant que la Géométrie ne reprenne ses droits! |
À regarder tout particulièrement! Aggrandissez en cliquant!!! |
L'église Saint Nicolas de Staré Město est située sur la grand place, où trône la statue de Jan Hus. (Attention, il y a une autre église Saint Nicolas de l'autre côté de la Vltava, dans le quartier de Mala Strana); elle a été conçue entre 1732 et 1737 par l'architecte Kilian Ignace Dientzenhofer.(1689-1751), donc, un peu après celle de Litomerice... La voûte bohémienne y rend saisissante, par sa double courbure, l'impression prosuite par la peinture en trompe-l'œil d'un dôme à caissons, visiblement inspiré du Panthéon de Rome. Une autre encore domine l'orgue aux 2500 tuyaux! |