Ératosthène, lettre à Ptolémée III (citée par Eutocius)
|
La première solution purement géométrique est, d'une certaine manière... la plus compliquée. Et, deuxième sujet d'étonnement, elle résout par la géométrie dans l'espace un problème plan, ce qui est plutôt insolite, et à coup sûr exceptionnel dans le monde grec. Du coup, la réalisation d'un système de moyennes proportionnelles va passer par la joyeuse rencontre de trois surfaces dans l'espace! Son auteur, Archytas de Tarente (4o8-355 av. J. C) était un philosophe et mathématicien pythagoricien, ami de Platon. |
Buste d'Archytas de Tarente (Musée de Naples) |
Article 1: vous avez le droit de sauter ce paragraphe s'il vous paraît trop difficile à suivre... et d'y revenir plus tard; Article 2: si
|
Boudin torique, temple d'Apollon à Didymes (Turquie) |
Bijou punique, Musée du Bardo (Tunis) |
Deux vues opposées site des courbes mathématiques (R. Ferréol) |
Vue "aérienne" globale source: la remarquable page Archytas du wikipedia allemand |
Notre but est de construire deux longueurs x et y vérifiant, pour a et b donnés, Nous supposerons dans la suite que b < a ; par exemple a=2, b=½ dans le cas de la duplication du cube. |
||
Reprenons les formules (1) et (2) de la première étape, c'est à dire (1) et (2)
(1) est plutôt bien partie pour avoir l'allure du but visé! x = OB et y = OC seraient alors de bons candidats, à condition de "bien terminer" la deuxième égalité. Or, on a remarqué que le plan (BCD) -orange ci-contre- étant perpendiculaire à OA, le triangle OBD -mauve- est lui aussi rectangle, et donc, considérant l'angle ω = DOB (3)
Reportant (3) dans (2) on a |
||
Attention! Pas d'euphorie précipitée: dans cette formule, ω varie avec le point B (ou, ce qui revient au même, C); comment pourrait-il en être autrement, puisqu'elle tient pour tous les points de la courbe d'Archytas? Mais si cos (ω) peut prendre, à une certaine position, la valeur b/a, le but sera atteint! De l'intérêt d'avoir supposé au départ que b < a. L'ensemble des points M tels que, H désignant la projection orthogonale de M sur OA, on ait OH = b/a .OM
est un cône de révolution d'axe OA (puisque cela revient à fixer l'angle de la droite OM avec l'axe OA). Dès lors, tout point de la courbe d'Archytas se trouvant aussi sur ce cône réalise la relation souhaitée, faisant de x = OB et y = OC des moyennes proportionnelles intermédiaires entre a et b:
Les formules (que nous vous avons épargnées) permettent de justifier l'existence d'au moins un tel point. Qui, si l'on revient aux surfaces porteuses, se trouve ainsi à l'intersection d'un cylindre, d'un tore à collier nul, et d'un cône de révolution! Bien sûr, si satisfaisante qu'elle fût pour l'esprit, son élégance n'avait d'égale que son impraticabilité; Ératosthène
avait beau jeu de la citer en première position de la liste de celles
qu'il entendait surclasser avec son appareil. Voici l'avis d'un
spécialiste de l'étude des courbes:
|
Ératosthène, lettre à Ptolémée III (citée par Eutocius)
|
Cnide
(aujourd'hui Datça, en Turquie): le port de commerce, le cadran, le
port militaire... un petit avant-goût pour vous y inviter! |
"Eudoxe de Cnide (408-355 av. J. C) [...] s'est signalé par l'invention d'une courbe destinée à la solution du problème de Délos et qu'il appela du terme général de kampyle ( [mot qui signifie] infléchie). Malheureusement Eutocius n'a pas compris la solution d'Eudoxe qui subsistait encore de son temps, et, la trouvant erronée, ne nous l'a pas conservée. On est donc réduit, sur la nature de la kampyle, à des conjectures sans appui.[...]
J'ai supposé [...] qu'il s'agissait de l'une des projections des courbes gauches de la solution d'Archytas. " P. TANNERY, Notes pour l'Histoire des Lignes & Surfaces Courbes dans l'Antiquité,
in Bulletin des Sciences Mathématiques et Astronomiques 2e série, tome 8, n°1 (1884), p. 101-112 |
Et pour les amateurs d'équations ...( bis) On trouve facilement l'équation du cône à partir de sa méridienne dans le plan de base (Ox,Oy), qui est formée de deux droites symétriques par rapport à Ox. Cette méridienne s'écrit
(y - x tan ω ). (y + x tan ω ) = y² -x² tan²ω = y² -x² [ a²/b² - 1] = 0
L'axe de révolution étant Ox, il nous suffit de remplacer y² par y² + z² d'où l'équation de (K ) y² + z² - x² [ a²/b² - 1] = 0 Nous obtenons alors pour la courbe ( Χ ) le système formé par les deux équations (K ) b² ( x² + y² + z² ) - a²x² = 0
(T ) ( x² + y² + z² )² - a²( x² + y² ) = 0 Combinant les deux de manière à éliminer z, on a immédiatement le support de sa projection horizontale... la kampyle (χ ) ! (χ
) et (χ
)
N.B. : support seulement, parce qu'on a éliminé z² et non z; de ce fait, l'existence réelle d'un z correspondant à un point de (χ
) n'est pas garantie. De fait, on va voir que la kampyle a des branches infinies, ce qui n'est pas possible pour ( Χ
), portée par le tore, qui est borné.
|
L'idée est de couper toute la figure par un plan méridien du tore (vertical), qui pivote autour de (Oz),
comme nous l'avons fait pour étudier la courbe d'Archytas. Ainsi,
autant de positions considérées, autant de points construits des
courbes ( Χ
) et (χ
).
En effet, chacun de ces
plans a une intersection très simple avec chacune des deux surfaces en
jeu: un cercle méridien pour le tore (T ), et un couple de génératrices pour le cône de révolution (K), puisqu'il contient le sommet. Ainsi, dans ce plan auxiliaire (Π
), l'affaire se résume à une intersection droite-cercle.
Le cercle méridien est connu, de rayon fixe et tangent en O à (Oz); le seul travail est donc de construire l'intersection du plan (Π ) avec le cône. On choisit un plan arbitraire (V) perpendiculaire à l'axe de révolution, à la fois Vertical et Vert... d'où son nom. (Π ) le coupe selon une verticale issue du point H. Quand on rabat ce plan sur le plan horizontal, c'est à dire qu'on le fait tourner de 90° autour de "charnière 1", on voit en vraie grandeur HM où, par rotation, M est le point sur la génératrice de (K) qui se trouve dans (Π ). Dans un deuxième temps, on rabat (Π ) -en bleu- autour de "charnière 2" pour lire en vraie grandeur ce qui s'y passe. HM = HN , car M =et N ne font qu'un dans l'espace, ce qui permet de tracer ON, génératrice de (K) qui se trouve dans (Π ). Elle rencontre le cercle méridien -rouge- de (T ) en P, qui est donc un point de ( Χ ) , dont la projection orthogonale K est un point de la kampyle (χ ). |
|
Vous n'avez plus, pour
mieux voir dans l'espace, qu'à découper la figure, et remonter votre
carton d'emballage dans l'espace en pliant suivant les pointillés!
L'ouvrage de Knorr [17] donne une autre explication possible, ainsi qu'un procédé de génération par points (c'est à dire, un moyen de construire des points de la courbe, autant que l'on voudra) . |
" [...] Mais à tous il arriva de donner la
démonstration sans qu'ils pussent la réaliser
effectivement et en faire l'application pratique, à l'exception
de Ménechme qui
y réussit un peu, d'une manière
laborieuse."
Ératosthène, lettre à Ptolémée III (citée par Eutocius)
|
Solution 1 | Solution 2 |
a / x = y / b et x / y = y / b | a / x = x / y et x / y = y / b |
xy = ab et y² = bx | x² = ay et y² = bx |
hyperbole et parabole |
parabole et parabole |
Statue d'Omar Khayyam au parc Laleh (Téhéran) Dans la douceur d'une nuit persanne... |
Cette solution 2, par intersection de deux paraboles, est aussi celle qu'emploie Omar Khayyam pour résoudre l'équation fondamentale du troisième degré, x3 = c. En effet, tirant y=x²/a de la première et reportant dans la seconde, on a, en écartant la solution triviale x=0, x3 = a²b . Il fait référence explicitement à Apollonius et à l'intercalation de moyennes. Mais s'il se place ainsi dans la continuité des géomètres grecs, il va beaucoup plus loin en étendant la résolution par intersection de coniques à toutes les équations du troisième degré. L'histoire de cette grande première est à retrouver dans notre page spéciale, en compagnie de ses poèmes et de miniatures persannes illustrant une édition iranienne de ses fameuses Rubayyiat. |
"[...] comme les anciens, au rapport de Pappus, ont estimé que c'estoit une grande faute de résoudre par les lieux solides, ou linaires, un Problème qui de sa nature pouvoit être résolu par les seiuls lieux plans; j'estime semblablement que la faute n'est pas moindre de résoudre par des lieux linaires, ou [...] par des descriptionss à tâtons, un Problème qui de sa nature pouvoit être résolu par par les lieux solides." |
"[...] puisqu'à l'imitation de la nature, nous devons tout faire par les moyens les plus simples." |
Oui, le célèbre Gilles Personne de Roberval (1602-1675) celui de la balance à deux plateaux... | démonstration complète: pp 410-411 |
à la Bibliothèquz Sainte Geneviève, Paris |
Descartes reprend l'idée dans la Géométrie, et l'applique à toute équation du troisième degré. Cercle et parabole pour tout le monde!
Le principe de Khayyam simplifié, en somme (grâce à la considération de coefficients négatifs, ce qui évite la prolifération des cas), mais pas mal d'années après. |
|
On
remarque que le problème des moyennes proportionnelles (mais aussi,
plus loin, la trissection de l'angle) est explicitement mentionné comme
cas d'application. |