BÉZOUT à Nemours
"Pour les monuments comme pour les hommes,
la
position fait tout."
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Étienne, Étienne... Que tu te promènes!
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En ce 25 juillet 1885,
l'hebdomadaire Le Monde Illustré
rapporte, l'inauguration de la statue d'Etienne
Bézout (1730-1783) à Nemours, sa ville natale; les festivités ont eu
lieu le 12 juillet. Comme c'est souvent le
cas dans cette deuxième moitié du XIX ème siècle qui voit
élever un
grand nombre de statues aux "grands hommes" et la III ème
République
s'inscrire dans la continuité d'un héritage historique glorieux, elle a
été confiée
à un artiste local -ce qui ne veut pas dire sans talent. La commande
avait été faite par la ville pour le centenaire du mathématicien.
" Le beau marbre de cette statue est dû au
ciseau d'un autre enfant de Nemours, le sculpteur Sanson, grand prix de Rome, connu par des œuvres
remarquables [...]
La dernière œuvre
de M. Sanson fait honneur à cet artiste.Le mouvement de sa statue est
d'une justesse rare, et l'exécution est fort remarquable."
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Marbre de Carrare, précise une
notice sur le monument. Pourtant, quand le Mathouriste s'est
arrêté pour la voir (en 2007), il était difficile de s'en rendre
compte, en raison d'une "patine" dont la cause principale semblait,
hélas, un manque d'entretien régulier!
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le numéro complet sur le site Gallica (BnF)
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le
dessin de la revue a été exécuté très fidèlement (M. Dupont);impossible
toutefois de dire si les formules sur la feuille ont bien étaient
gravées dans le arbre, en raison de l'état.
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Cet environnement fleuri, au calme,
un peu à l'écart du centre -quai Victor Hugo- est celui de l'ancienne
mairie. Mais la statue n'y est arrivée que vers 1970!
Á l'époque de son inauguration, elle avait
été installée en plein centre-ville, devant l'église. C'était
auparavant une place bien vide, si l'on en croit un auteur réputé qui,
prenant l'endroit pour cadre d'un de ses romans, avait effectué un
repérage sur place:
"Du côté du Gâtinais, Nemours est
dominé par une colline le long de laquelle s’étendent la route de
Montargis et le Loing. L’église, sur les pierres de laquelle le temps a
jeté son riche manteau noir, car elle a sans doute été rebâtie au
quatorzième siècle par les Guise, pour lesquels Nemours fut érigé en
duché-pairie, se dresse au bout de la petite ville, au bas d’une grande
arche qui l’encadre. Pour les monuments comme pour les hommes, la
position fait tout. Ombragée par quelques arbres, et mise en relief par
une place proprette, cette église solitaire produit un effet grandiose."
Honoré de Balzac, Ursule Mirouët (1841)
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ci-contre:
Balzac par Rodin (1892-97); parc
Middelheim, Anvers
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source des cartes postales:
CPA
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Mais le Monde Illustré n'est pas le seul à
faire écho à cette inauguration...
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Sur
six colonnes à la une, la moitié de l'avant-dernière et la dernière
sont consacrées à l'évènement, qui avait été annoncé dès son lendemain
sous forme de brève. Deux jours après, des détails, mais aussi un
souvenir qui recule de 40 ans (!), sous forme d'une lettre dont
l'auteur raconte "l'expédition de reconnaisssance" sur place de Balzac,
qu'il affirme avoir accompagné. Réalité ou plaisante fiction
facétieusement imaginée? Pas si facile à déterminer... Le Mathouriste
laisse chacun se faire sa propre idée!
Quoiqu'il en soit, voici comment il décrit l'ambiance de l'inauguration:
"Aujourd'hui dimanche 12 juillet 1885,
un aéronaute qui passerait sur Nemours au moment où j'écris ces lignes
serait fondé à croire que c'est la coutume de la ville d'avancer de
quarante-huit heures la fête du 14 juillet. Jugez plutôt: dans les
rues, nettoyées et sablées pour la circonstance, grouille une foule
bruyante et joyeuse. Les maisons sont pavoisées et enguirlandées; des
arbres verts sont plantés tout le long des trottoirs; on achève de
clouer le feu d'artifice; on accroche les lanternes de couleur et les
lampions; des bandes d'orphéonistes parcourent la ville; des fanfares
de clairons et de saxophones leur répondent; [...] enfin voici un arc
de triomphe sur le pont du canal, à la place même où l'auteur d'Ursule
Mirouët nous montre, au début de son livre, le maître de poste
Minoret-Levrault guettant l'arrivée de la diligence [...]
Mais revenons à notre
aéronaute. En se livrant à l'hypothèse que nous avons faite ci-dessus,
notre homme eût fait fausse route, ce qui est périlleux pour tout le
monde et particulièrement pour ceux de son métier. Ici comme partout,
le 14 juillet sera célébré le 14 juillet, et pas une minute auparavant.
On inaugure une statue, et
c'est à cette occasion qu'a lieu la fête de ce jour. Cette statue est
celle d'Étienne Bézout, né à Nemours, le 31 mai 1730, dans la rue qui
porte actuellement son nom et qui naguère encore s'appelait rue
des Bourgeois, celle-là même où Balzac a logé Mme de Portenduère et
l'adorable Ursule."
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La rue Bézout a fort heureusement
gardé son nom. Elle n'a guère changé d'allure (à défaut d'avoir
conservé l'accent aigu
du nom) , du moins par rapport à ce qu'elle était dans l'entre-deux
guerres. Il y a même aussi une petite place Bezout!
Nous n'en avons pas fini avec les
voyages de la statue, nous y reviendrons à la fin; mais, puisque nous
en sommes à la rue où il est
né, c'est un bon endroit pour commencer sa biographie.
Aperçu biographique
Les Débuts
Né le 31 mars 1730, Bézout illustre
une certaine forme d'ascension sociale en province: son grand père est
illettré, son père procureur au bailliage de Nemours (il effectue les
démarches au tribunal pour les gens qu'il représente); il a une sœur et
trois frères dont les carrières, jointes à la sienne, donnent aussi une
idée d'un brassage social sans doute impensable à la capitale: l'un
est avocat, l'autre curé, le dernier garçon de ferme. Il n'a que 8 ans
quand meurt sa mère, et 20 ans au décès de son père; sa part d'héritage
lui permet de s'installer à Paris en 1751, ce qui est un tournant
essentiel pour sa carrière.
Seul l'éloge que fit de lui
Condorcet à l'Académie permet de se faire une
idée, tant de sa vocation que de sa personnalité:
"Le
hasard lui offrit dans le cours de ses études, quelques Livres de
Géométrie élémentaire, qui lui en inspirèrent le goût [...]. Son
père vit avec peine des dispositions qui s'opposaient aux vues qu'il
avait formées; mais il fallut céder à un penchant devenu bientôt
irrésistible. [...]
M. Bézout s'était marié très
jeune, & comme alors il étoit sans fortune, il avoit pu suivre le
chemin de son cœur;
cette union fut heureuse, il fut un très bon père, non seulement parce
que c'est un devoir, mais parce qu'il aimoit à vivre au milieu de sa
famille, & qu'il préféroit cette société si douce et si pure, ces
soins si touchans, aux plaisirs qu'on trouve ou qu'on croit trouver
dans le monde. Il avait un cœur
droit; il aimoit le travail et la retraite, aussi eut-il toutes les
vertus et quelques uns des défauts qui sont la suite du goût de
sa solitude; défauts bien plus excusables que ceux qui se contractent
par l'habitude du monde & des affaires [...] Réservé
dans la société, parce qu'il y étoit étranger, il ne s'y montroit pas
tel qu'il étoit; son extérieur étoit froid, & il avoit une âme
ardente & sensible; sa conversation n'annonçait ni la sagacité de
son esprit ni ses connaissances à la fois étendues & profondes:
aussi son portrait tracé par ses amis, ou par ceux qui ne l'ont connu
que superficiellement, paraîtroit celui de deux hommes absolument
étrangers l'un à l'autre."
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à lire en entier ici
(Académie des Sciences)
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à Paris, près de l'Institut
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Une paire de portraits esiste pour ce
jeune couple; celui d'Étienne a-t-il servi de modèle au sculpteur? En
tout cas, la ressemblance du visage -notamment le nez légèrement
retroussé- est frappante.
À Paris, Bézout entre rapidement dans
le cercle de d'Alembert, qui le fait nommer en 1755 censeur royal en
sciences mathématiques. Voici un exemple d'autant plus savoureux qu'il
concerne celui qui fera plus tard son éloge
"Approbation:
J'ai lu, par ordre de M. le
Vice-Chancelier, un manuscrit qui a pour titre, Lettre sur le
système du monde et le calcul intégral,
par M. le Marquis de Condorcet. Il m'a paru que cet ouvrage serait lu
avec plaisir par les mathématiciens, et je n'y ai rien trouvé d'ailleurs qui puisse
en empêcher l'impression.
À
Paris, le 8 Août 1768,
BEZOUT"
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Moins anecdotiquement, il soumet cette même année son premier mémoire à
l'Académie; il s'agit de dynamique. Le suivant, en janvier 1757, porte
sur les mathématiques les plus récentes, rebondissant sur un problème
récemment posé par Euler, qui mêle
géométrie
et
calcul intégral. La
longueur d'un arc
d'ellipse
est donnée par une intégrale qui résiste aux moyens de calcul connus à
l'époque (et qui sont ceux qu'on enseigne toujours en premier cycle!),
mais peut-on, dans certains cas, exprimer la différence des longueurs
de deux arcs de cette ellipse? Ces délicats problèmes donneront
naissance à la théorie des fonctions elliptiques (et justifie leur
nom), qui occupera de façon essentielle la plupart des mathématiciens
du XIX
ème siècle! Les commissaires sont
Clairaut et
d'Alembert:
en ce temps-là, les mathématiques sont encore un petit monde. Et Bézout
mérite bien l'emblématique compas que le sculpteur a posé à son pied;
respectant le code de l'époque : la statue et son socle se doivent de
faire figurer, explicitement ou symboliquement, les principaux titres
de gloire de celui qu'on honore (voir dans nos pages les cas de
Pascal,
Monge,
Carnot,
Fourier...)
Le Pédagogue
Et poussé par d'Alembert, il pose sa candidature à l'Académie à la fin
de cette même année: là encore, c'était un autre temps, sans contester
le moins du monde qu'
aux âmes bien
nées, la valeur n'attend point le nombre des années... Il échoue
mais une deuxième tentative, trois plus tard, le 18/03/1758, est un
succès: il y entre le 8 avril en qualité d'
adjoint-mécanicien. Mais assez
vite, un autre travail va l'accaparer en le détournant d'une recherche
pure à plein temps.
La grande politique n'y est pas étrangère: c'est le moment où, à la fin
de la Guerre de Sept Ans, la France a dû abandonner aux Anglais le
Québec (souvenez vous de l'image d'Épinal des livres d'histoire d'école
primaire,
Montcalm agonisant qui déclare
"Je meurs heureux, je ne verrai pas
les Anglais dans Québec"),
qu'elle n'a pu secourir car, sur mer, la "Royale" a été très inférieure
à la Marine britannique. Il est donc urgent d'élever le niveau, et le
ministre de la Marine y est bien décidé:
"En
1763, M. le Duc de Choiseul crut devoir exiger de ceux qui se
destinoient à la Marine, des connoissances mathématiques plus étendues,
& les assujettit à un examen. M.
Bézout fut chargé à la fois des fonctions d'Examinateur, & de la
composition d'un Cours de Mathématiques, destiné pour les Gardes de la
Marine. Quelques années après, à la mort de M. Camus, il fut
nommé Examinateur des Élèves
de l'Artillerie.
Il sentit que ces places exigeoient le sacrifice de ses goûts, &
qu'il seroit obligé de renoncer à la fois au plaisir de suivre
dans ses études l'impulsion de son talent, & à une partie de
la gloire qu'il pouvoit en espérer. Cependant il étoit père de famille,
il étoit sans fortune, & il ne se crut point permis de balancer
[...].
Condorcet, Éloge de M. Bézout
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Choiseul, en cela, ne fait que suivre un avis de
son cabinet, en date du 30/09/1764:
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"On ne voit personne qui puisse mieux remplir cet objet
que M.
Bézout de l'Académie Royale des Sciences que Monseigneur a
chargé de
faire le traité d'études à l'usage des Gardes de la Marine et a déjà
envoyé à Brest pour prendre connaissance de l'instruction des Gardes. Il réunit toutes les qualités nécessaires
pour faire solidement et
impartiallement cet examen; l'on propose à Monseigneur de
l'établir Examinateur des Écoles et de lui régler 2400 livres
d'appointements par an à commencer du 1er octobre prochain".
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Ce cours, qui occupera finalement six volumes et dont la
rédaction s'étale de 1764 à 1769, connaîtra un succès durable: en 1810,
il en est déjà à sa huitième édition! Il sera d'ailleurs longtemps
utilisé comme manuel de préparation à l'École Polytechnique. Les
mathématiques sont
essentiellemnt conteues dans les trois premiers tomes; les deux suivant
sont consacrés aux applications, et le dernier... carrément à la
navigation!
Parallèlement, Bézout est chargé de la réorganisation des études. On le
voit proposer des emplois du temps complets pour les différentes années
et... remettre de l'ordre dans la maison là où c'est nécessaire, comme
en témoigne cet extrait de rapport de 1772:
"Il
est d'usage à Toulon de fermer les salles pendant les mois de juillet
et d'août à cause des grandes chaleurs et de permettre aux gardes
d'aller passer ce tems à la campagne. Tant
de mollesse dans leurs exercices et dans leur instruction n'est pas
propre à les endurcir aux fatigues du métier de la mer,
indépendamment de ce que c'est perdre deux des plus beaux mois et les
plus longs jours de l'année."
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Comme examinateur, il fait de nombreuses tournées qui le font voyager
vers Brest, Rochefort et Toulon, auxquelles s'ajoutent Bapaume et
Mézières, quand il s'occupe aussi des écoles d'artillerie. Son cours
est d'ailleurs décliné en une version pour ces écoles. Il fait preuve
d'une très haute conscience professionnelle dans cet emploi, sans
songer à se ménager.
"Pendant
un examen à Toulon, il apprend que deux Élèves ne pourront se
présenter, parce qu'il sont attaqués de la petite vérole; il n'avoit
pas eu cette maladie, il la craignoit; cependant il sait que s'il ne
voit pas ces Élèves, il
retardera d'un an leur avancement; dès ce moment ses répugnances se
taisent, il se fait conduire au lit des malades, les examine & se
trouve heureux de ce qu'ils ont été dignes du scarifice qu'il a fait
pour eux.
Un pareil acte d'une justice
rigoureuse exercée même au péril de ses jours, est un des traits qui
répondent d'une vie entière."
Condorcet, Éloge de M. Bézout
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Se montrer humain ne l'empêche pas d'être sévère, voire impitoyable
quand il le faut, pour dénoncer l'absentéisme aux cours et les
tire-au-flancs; ainsi ce rapport où il se désole de n'avoir pu décemment
recevoir à l'examen que 32 candidats des 81 de Rochefort:
"Je crois de mon devoir de ne point vous
dissimuler [...]
l'engourdissement qui s'est fait remarquer dans les études de ce
département pendant le cours de l'année dernière [...] je dois citer comme remarquable à
cet égard, M. ****, qui après trois années n'est pas plus avancé qu'à
son arrivée."
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C'est en tout cas, hors des moments héroïques, une tâche
harassante qui s'alourdit quand l'effort de guerre pour soutenir la
guerre d'indépendance des États Unis
(1775-1783) l'oblige à faire deux tournées annuelles au lieu d'une. Une
cause supplémentaire de fatigue qui, jointe à un phénomène
météorologique inédit, a
peut-être hâté la fin de ses jours.: on y reviendra un peu plus bas...
L'Innovateur
En 1762, Bézout s'intéresse à la
résolution des équations de tous les degrés, travail qu'il perfectionne
en 1765 en concurrence avec Euler; ni l'un ni l'autre ne réussissent à
passer le mur du cinquième degré. Mais c'est dans l'analyse de son
échec que
Lagrange,
de son propre aveu, puisera la matière de ses
Réflexions sur la Résolution Algébrique
des Équations
(1771) où il introduira l'étude des permutations de racines qui
conduira tout à la fois à la fondation de la théorie des groupes et au
résultatde Galois sur l'impossibilité d'une résolution générale "par
radicaux" (c'est à dire, au moyen de formules explicites).
Dès lors, Bézout ne quittera plus le domaine de l'élimination dans les
systèmes d'équations algébriques, jusqu'à la publication de son grand
traité en 1779, qui affiche
un but
encore plus ambitieux: s'attaquer
aux systèmes polynômiaux de n équations à n
inconnues. Entre son capital Mémoire de
1765:
Recherches sur le degré des
équations résultantes de l'évanouissement des inconnues et sur les
moyens qu'il convient d'employer pour trouver ces équations (
analyse détaillée dans BibNum), et cette
Théorie Générale des Équations Algébriques
qui en est l'extension,
plus aucune
publication à l'Académie tant il est occupé par la rédaction de
son cours et ses tournées
dans les écoles militaires; c'est encore Condorcet qui nous explique ce
dilemme enseignement/recherche, pas très fréquent alors, tout en
faisant le point sur les équations.
"[...]
il prit le parti qu'un esprit très sage devait choisir: il vit que s'il
ne traçoit pas une ligne bien marquée entre son devoir & sa
passion, il faudroit la combattre sans cesse, & finir toujours par
lui céder. Il résolut donc de
concentrer sur un seul objet ses méditations mathématiques, afin d'être
plus sûr ne leur donner que la partie de son temps qui n'appartenoit
point à l'État; & il choisit la Théorie générale des Équations
déterminées.
On sait que les équations du troisième de gré, & du même celles du
quatrième, ont été résolues par des Géomètres Italiens, vers le milieu
du seizième siècle. Depuis ce temps l'analyse a fait des progrès
immenses, plusieurs découvertes importantes sur les équations, ont
illustré les noms de Viète & de Descartes; cependant l'équation du cinquième degré n'a
pas encore été résolue;
& si les efforts que tous les Géomètres ont dirigé vers cet objet
depuis plus de deux cents ans, ont été plus d'une fois utiles aux
progrès de la Science en général, ils l'ont été très peu à la solution
de ce problème en particulier."
Condorcet, Éloge de M. Bézout
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la dédicace...
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... à un personnage rendu célèbre par une
excellente série TV!
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SARTINE! Le lieutenant général de police,
et supérieur du commissaire
Nicolas
Le Floch dans les romans de
Jean-François Parot,
est devenu ministre de la Marine, peu après le couronnement de Louis
XVI, en 1774. Bézout, par ses fonctions, ne pouvait faire moins; mais
il faut reconnaître aussi qu'il avait la pleine confiance et le soutien
du ministre, alors même qu'un clan dénonçant l'excès de théorie dans
les Écoles reprenait du poil de la bête avec un argument aussi éternel
que renouvelé dans la comparaison: c'était alors
"Jean Bart ne connaissait rien aux
mathématiques, et c'était un excellent marin", et c'est en 2019
Donald Trump dans
"Je ne
sais pas en ce qui vous concerne, mais moi, je ne veux pas d’un Albert
Einstein comme pilote.
Je veux de grands professionnels qui
puissent facilement et rapidement prendre le contrôle de leur avion
!". De
tels tiraillements sur les prétendus excès de théorie ont aussi émaillé
deux siècles d'histoire de l'École Polytechnique et les débats
enflammés sur ses programmes...
La première phrase a de quoi faire sourire un lecteur irrévérencieux,
quand on sait que dans sa fonction de "premier flic de France", Sartine
avait mis de l'ordre dans... les jeux et la prostitution, réservées à
des
"établissements" quil lui
fournissaient ainsi du renseignement et... des taxes! Le sage et
discret Bézout doit penser à autre chose...
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Cest dans ce livre qu'on trouvera la version défintive des résultats
qui ont fait passer Bézout à la postérité: le théorème sur le nombre de points
d'intersection de deux courbes algébriques et la caractérisation
de deux polynômes premeirs entre eux: la célèbre identité de Bézout,
arrivant assez curieusement comme un produit auxiliaire de son
travail... En outre, si elle appartient légitimement à Bézout pour les
polynômes, elle avait été découverte bien avant dans le cas des nombres entiers par un correspondant de Fermat, Bachet de Méziriac
(1581-1638). Il serait donc plus correct de parler de théorème de
Bachet dans ce cas, ou de théorème de Bachet-Bézout en général, mais
l'usage -et en fait, à partir de Bourbaki- a consacré Bézout en
oubliant Bachet.
Nous vous proposons une
approche douce de ces résultats dans des pages spécialement dédiées:
vous pouvez donc cliquer ou non... selon vos goûts, mais n'ayez pas
peur! Petits dessins, ouvrages historiques et grands personnages au
rendez-vous...
|
personnage célèbre
n'hésitant pas à invoquer les deux noms, d'après Hergé, très légèrement
(seulement!) modiifée. |
Pour nous rappeler que c'est un ouvrage très important, il y a d'abord
le socle de la statue, où le sculpteur a gravé son titre
mais il y a aussi les lettres qu'écrit, depuis l'abbaye de Saint-Benoît
sur Loire, un jeune novice promis à un brillant avenir, à son ancien
professeur de mathématiques:
C'est caché, la nuit, dans un placard du collège d'Auxerre, à la lueur
de bougies faites de l'assemblage de toutes les chutes qu'il a pu
récupérer dans la journée aux cuisines, que
Fourier avait
découvert et dévoré cet ouvrage, qui lui manque tant lors de son
noviciat à Saint-Benoît, alors qu'il essaie de
"travailler les méthodes d'élimination". Un
seul lecteur nous en dit plus que toutes les statistiques de tirages!
La Sépulture de Bézout
Victime d'un volcan islandais?
On se souvient sûrement de l'immense
pagaille aérienne de 2010, engendrée par l'éruption du volcan islandais
Eyjafjöll et, surtout... le "principe de précaution", appliqué sans
grand discernement selon les itinéraires et les temps de vol. Le
copieux nuage de cendres resta en altitude, et ne fit tousser personne
sur le sol français. Il n'en fut pas de même en 1783, lorsque
le
volcan Laki répandit son mélange de cendres et de gaz sulfurés
sur une bonne partie de l'Europe, avec d'importants contrecoups
climatiques jusqu'en Amérique du Nord. Restons avec Jean-François
Parot, qui pose cette circonstance extraordinaire comme cadre à l'un
des ses romans, et faisons confiance à son souci d'une documentation
soignée. Son histoire s'ouvre sur une lettre:
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Lettre du
chevalier de *** à M. Artaud, rédacteur du Courrier d'Avignon, de Samon
de Crau en Provence
Le 1er juillet 1783
Il
y a environ dix jours qu'il règne
sur nos contrées un brouillard singulier, & tel que nos
vieillards
assurent n'avoir jamais rien vu de pareil. Ce brouillard remplit
l'atmosphère, & le soleil quoique très chaud (puisqu'il fait
monter le thermomètre à 45 degrés) n'a pas la force de le dissiper. Il
est continué le jour et la nuit, mais acvec une intensité qui varie.
Quelquefois il nous masque les montagnes les plus voisines de la ville.
Le ciel, qui est ordinairement d'un beau bleu dans ce climat, ne nous
offre plus qu'un gris blanchâtre. Le soleil qui est fort pâle
dans
la journée est rouge à son lever & plus rouge encore à son
coucher, & on peut le fixer en tout temps sans être incommodé, la
lumière de ses rayons étant absorbée par le brouillard. On s'est aperçu
que ce brouillard a quelquefois une
odeur puante & très difficile à
déterminer. Il est très sec, puisqu'il ne ternit pas seulement
les
glaces qu'on y expose, qu'il dessèche les sels au lieu de les faire
entrer en déliquescence, qu'il ne fait point monter lhygromètre, &
qu'il n'empêche pas l'évaporation d'être abondante. Il cause une légère
cuisson dans les yeux, & les personnes qui ont la poitrine délicate
en sont désagréablement affectées.
Permettez moi, Monsieur, de me servir de votre feuille... pour tâcher
de calmer les alarmes de mes compatriotes & de nos voisins au sujet
de ce phénomène, dont on s'effraye mal à propos. Vous ne sauriez croire
combien le peuple est affecté: l'ignorance, la peur, un certain
penchant à redouter tout ce qu'il ne connaît pas, lui font craindre des
malheurs de toute espèce & qui n'ont pas le moindre fondement. Ce
brouillard ne me paraît pas avoir d'autre cause que la sécheresse qui a
régné si longtemps, & qui a retenu dans la terre des vapeurs
qu'elle
exhale si ordinairement. Les dernières pluies ayant détrempé la matière
de ces exhalations, elles montent actuellement dans l'air avec l'eau
qui leur sert de véhicule, & quelques orages suffiront pour les
consommer ou pour les abattre, ou si le vent du sur amène dans peu des
nuages, ils s'empreindront de ces exhalations,qui disparaîtront avec eux.
J'ai l'honneur, etc... |
Il est possible que ce phénomène, sur lequel, à peine rentré de
tournée le 3 août, il avait le 16 présenté à l'Académie un
mémoire hélas perdu (
"Sur les brumes
des mois de juin & juillet" ) ait hâté la fin de notre
savant. Au même moment, ou presque, Parot envoie son héros constater qu'il en est à Londres comme en France:
" Jeudi 24 juillet 1783.
Un soleil voilé se couchait quand il arriva à Londres. La vision lui apparut cependant magnifique. [...] L'or rouge du crépuscule faisait miroiter les flots de la rivière couverte de bateaux innombrables.
Vendredi 25 juillet 1783.
Nicolas sz fit conduire à l'amirauté où il déposa un pli pour lord Ashbury. [...]
- Soit, Monsieur le marquis, soit! [...] Que dit-on du temps en France?
- Il inquiète, milord; Et mon parcours m'a permis de constater le
ravage d'un certain brouillard dans nos campagnes. J'ai remarqué que
pareillement à Londres, le soleil est pareillement voilé, et qu'une
certaine odeur puante surnage d'une étrange façon." |
Claude Monet, 1904 (Musée d'Orsay, Paris)
Le Parlement de Londres, effet de soleil dans le brouillard
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Claude Monet, 1903 (Metropolitan Museum, New York)
Le Parlement de Londres, effet de brouillard
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Sa dernière Demeure
Bézout, parti se reposer dans sa maison de
campagne des Basses-Loges au début septembre, y meurt d'une fièvre le
27. Cet endroit est un quartier d'Avon, commune jouxtant Fontainebleau;
il est enterré "sous le porche" (sic) de cette simple mais belle église
du XI
ème siècle, avec un clocher du XII
ème ; cest
là que fut baptisé Louis XIII.
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son porche est une surface réglée
cylindrique assez insolite!
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Entrons: un intérieur simple, sans surcharge -et comme c'est agréable!
Mais retournons nous, car ce que nous cherchons est immédiatement à
droite en entant, juste avant le premier pilier..
Le cimetière qui l'entourait jadis comportait un assez grand nombre de
dalles tombales anciennes (environ 60); elles ont été relevées puis
fixées sur le mur droit (
voir ici;
il y en avait bien moins lors de notre visite, peutêtre en raison d'une
réfection des murs). Celle de Bézout a reçu un poème à sa mémoire,
de la plume de
Jacques Delille
(1738-1813), académicien, professeur au Collège de France, considéré
comme le plus grand poète français de son temps.. L' ouvrage phare y est
encore rappelé, ainsi que la coïncidence de l'année de décès avec Euler
et d'Alembert.
Dernières aventures de la statue
Au temps de
sa localisation au centre-ville, elle n'avait guère été
épargnée par les graffiti des conscrits ou la peinture rouge dont elle
avait été douchée en 1968, des égratignure mineures, certes, mais qui
avec l'usure des pluies et le développement des mousses en rendait
urgente la restauration. Celle-ci a été confiée en 2009 à un artisan
expert de la
ville, Jean-Louis Quignaux, "tailleur
de marbre de père en fils depuis 1700 et marié à une descendante de
Sanson !", nous aprend le site
de la ville.
Elle est désormais exposée "dans la
salle des mariages de l'hôtel de ville", ajoute l'article. Très
bien, la voilà à l'abri des intempéries et des indélicats (voire hélas
des vandales), MAIS....
- est-elle
aussi visible de chacun qu'autrefois?
Une salle d'honneur de mairie n'est pas un endroit où l'on passe tous
les jours... Sans y voir d'intention délibérée, comme c'est le cas à
Arras pour la statue de Robespierre (éternel sujet de polémiques
mesquines), cela ne participe-t-il pas d'une forme de science-bashing qui marque, bien
peu glorieusement, ce début de millénaire où ressurgissent fanatismes
et obscurantismes? C'est un homme des
Lumières que l'on soustrait à la vue de tous (voir aussi dans
nos pages
l'affaire Arago).
Pourtant, l'identité de Bézout n'a jamais été autant employée que
depuis l'entrrée en force, dans nos vies, de la cryptographie
arithmétique!
- Qu'est
devenu le socle gravé?
Car il rappelait le nom, les dates, et l'ouvrage majeur de Bézout!
Exposer la statue sans ce socle -ou sans lui en reconstruire un si
nécessaire-, c'est une autre forme de mutilation.
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Loin de
l'idée du Mathouriste
de dénigrer cette belle restauration et la protection de l'œuvre. Aussi
aimerait-il suggérer qu'on en fasse
un moulage et qu'on expose cette copie bien en vue dans la ville...
ce ne serait pas la première statue que l'on protège ainsi sans
dénaturer le site (penser aux cariatides de l'Érechthéion
à l'Acropole, par exemple). Sans doute cela a-t-il un coût: la culture
et le patrimoine ont un coût, mais pas forcément plus élevé que celui
d'un rond-point, et
quelle ville pourrait affirmer qu'elle n'en a pas installé un de trop?
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partir sans se retourner, loin du socle
historique?
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à
Paris aussi...
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Références
Avec, premier de la liste, l'ouvrage
qui a été une référence précieuse pour construire le texte autour de
nos images; il est suivi d'articles et d'une conférence en vidéo de l'
auteure, qui a consacré sa thèse à Bézout.
- L.ALFONSI, Étienne Bézout
(1730-1783), Mathématicien des Lumières (L'Harmattan, 2011; lien éditeur)
- L.ALFONSI, Apports et Problèmes d'une Biographie de
Mathématicien: le Cas d'Étienne Bézout (vidéo d'une
conférence à l'Université de Lille)
- L.ALFONSI, Bézout et les intersections de courbes algébriques
(Analyse sur BibNum du Mémoire de 1765)
- L.ALFONSI, Étienne Bézout
(1730-1783), Analyse Algébrique au Siècle des Lumières (Revue
d'Histoire des Mathématiques, tome 14-2, 2008)
- L.ALFONSI, Étienne Bézout
- L.ALFONSI, Un "Savant" su
Siècle des Lumières, Étienne Bézout, (1730-1783), Mathématicien, Académicien et Enseignant
- L.ALFONSI, L'Enseignement
Scientifique et Technique dans les Écoles des Gardes de la Marine: le Rôle essentiel
d'Étienne Bézout
- L.ALFONSI, Un Successeur de
Bouguer: Étienne Bézout, commissaire pour la Marine à l'Académie des
Sciences
- É. BÉZOUT, Recherches sur le
degré des équations résultantes de l'évanouissement des inconnues et
sur les moyens qu'il convient d'employer pour trouver ces équations
- É. BÉZOUT, Théorie Générale des
Équations Algébriques
(sur e|rara, ETH
Zürich)
- É. BÉZOUT, Cours de
Mathématiques à l'Usage des Gardes du Pavillon et de la Marine : vol. 1 , vol. 2 , vol.
3 , vol. 4 , vol. 5 , vol. 6 (sur e|rara, ETH Zürich)
- É. BÉZOUT, Cours de
Mathématiques à l'Usage du Corps de l'Artillerie (sur
e|rara, ETH
Zürich)
- CONDORCET, Éloge de M. Bézout (Académie
des Sciences)
- J.F. PAROT, L'Année du Volcan,
une Enquête de Nicolas Le Floch (10-18)
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