Et maintenant, suivons
Fourier dans les chapitres IV à VIII de la
Théorie
Analytique de
la Chaleur. Tel Maurice Ravel dans son
Boléro,
l'auteur a conçu un crescendo subtil dans la
difficulté.
Le temps, absent du chapitre III par souci de pédagogie,
s'introduit dès le chapitre IV; puis les diverses
symétries du domaine vont permettre autant de variations et
d'adaptations de la méthode, comme pour convaincre un
sceptique
par son adéquation à des situations de plus en
plus
complexes..Curieusement, ce n'est qu'à la fin du chapitre
VIII
(c'est à dire à la fin du groupe
étudié
dans cette page, et ce qui est la fin de son manuscrit de 1807) qu'il
justifie sa présentation:
"On a traité
jusqu'ici les questions fondamentales
de la chaleur,
et considéré l'action dans les corps principaux.
L'ordre et l'espèce des questions ont
été tellement
choisis, que chacune d'elles présentât une
difficulté nouvelle et d'un degré plus
élevé."
Fourier, Théorie Analytique de
la Chaleur,
ch. VIII, § 341 ( 1822)
|
L'Armille
Et tout d'abord... qu'est ce qu'une armille?
Le mot n'est plus guère présent dans nos dictionnaires, qui conservent cependant l'entrée armillaire; cet adjectif n'est employé que dans l'expression sphère armillaire: sphère qui porte des anneaux,
repérant les divers cercles (fictifs) tracés sur la
sphère céleste pour le repérage, et
destinée à l'enseignement de l'astronomie.
Une armille est donc un anneau!
Sphère armillaire (Rome, vers 1600)
par Giovanni Paoli Ferreri
Musée Borhaeve, Leiden (Pays Bas)
|
|
Après deux variables d'espace sans qu'intervienne le temps
(la lame), deux variables encore, mais cette fois
la variable temps et une seule
variable d'espace!
Pourquoi l'armille, et pas la barre rectiligne? Fourier n'en dit
rien... Il se peut qu'après un cas avec conditions aux
limites,
sans condition initiale, il veuille faire l'inverse:
étudier un cas avec condition initiale,
"sans" conditions aux limites, en raison de la forme de l'anneau...
en apparence du moins, car cela conduit à les remplacer par
une
condition de périodicité, il est vrai assez
intuitive.
Ou ne serait-ce pas plutôt une façon plus
naturelle
d'introduire, avec une condition initiale périodique, un
développement en série
trigonométrique ?
|
C'est
maintenant dans un anneau de rayon r que se
déroule l'action, en l'occurence le refroidissement.
x désigne
ici la coordonnée curviligne sur l'anneau.
D'emblée, l'équation (établie au
chapitre II) est
simplifiée par un changement de fonction. Il n'y a
là aucune
astuce, mais plutôt un sens de l'observation
que les physicnens développent parfois plus que les
mathématiciens vis à vis des groupements de
termes. Et
comme Fourier est les deux à la fois...
Oublions un instant la dépendance en x , et ramenons v au premier
membre; (b)
est de
la forme
v'(t) + h.v(t) = w (x, t)
On reconnait
au premier membre la
dérivée [ v(t). eht ]'
, à condition de corriger par un facteur
multiplicatif e-ht .
Et si on ne reconnait pas, c'est qu'on n'a jamais fait un calcul de
dérivation de sa vie! Il est alors naturel de poser u(t)
= v(t). eht soit v(t) =
u(t). e-ht
.
Rien n'empêche de faire de même avec u(x,t)
et v(x,t)... le
tour est joué.
Source
du document :
BnF
|
Il pourrait, comme au chapitre III, séparer les variables en
cherchant les fonctions
u(x,t) = f(x).g(t)
On ferait alors le travail de la même manière,
obtenant
les deux équations différentielles ordinaires
g'(t)
= m.g(t) ; f"(x) = - N.
f(x)
et
m
= -K.N
La
périodicité forcerait évidemment
à prendre N
= n².
Fourier ne prend pas cette peine: la périodicité
d'une part, la décroissance exponentielle en fonction du
temps
(à laquelle il s'attend) d'autre part, lui fournissent cette
solution
évidente, et, il le remarque un peu plus loin,
sa "sœur jumelle" en cosinus.
Source du document :
BnF
|
|
Fourier dispose donc d'un ensemble de solutions
élémentaires suffisamment vaste, les
( an
cos nx + bn
sin nx
) e-Kn²t.
qu'il peut
sommer,
en série aussi bien qu'en somme finie,
puisque les deux procédés ne sont pour lui qu'un
seul, la
sommation. Au passage, notons que des indices font, presque pour la
première fois (on en trouve à la toute fin du
chapitre
III), leur apparition. Faisant
t
= 0,
il constate que les coefficients doivent lui être
donnés
par un développement de la fonction qui
représente la
condition initiale; comme tout a été dit sur la
question
au chapitre III, il ne s'apesantit pas. Tout est dit dans ce
§ 240:
Source du document :
BnF
- le développement
de la fonction F donnant la température initiale;
- la vérification
par la série formée de toutes les conditions
demandées;
- le calcul des
coefficients (qui renvoie, bien sûr, aux
formules générales des coefficients de Fourier du
chapitre III):
- en prime, au début du § 241,
l'approximation de la
série par ses deux premiers termes, suivi d'une ode
glorifiant
ce qu'on appellera bientôt les modes propres du
problème, qui sont mathématiquement
à la chaleur ce que sont les modes propres
de vibration à une corde (pour qui l'expression
a été inventée):
"Ainsi les valeurs
particulières que nous avons
considérées précédemment,
et dont nous composons
la solution générale, tirent leur
origine de la question elle-même. Chacune d'elles
représente un
état élémentaire qui peut subsister de
lui-même dès qu'on le suppose formé;
ces valeurs ont une relation
naturelle et nécessaire avec les
propriétés physiques de la chaleur."
Fourier, Théorie Analytique de
la Chaleur,
ch. IV, § 241 ( 1822)
|
Il traite en application
deux
exemples; le second, où les deux demi-cercles
représentant l'armille sont aux températures
respectives
1 et 0 l'amène naturellement au développement de
la
fonction créneau, considérée comme
naturellement
périodique (et non par l'effet d'un prolongement, comme au
chapitre III)
Il s'offre pour terminer une assez longue digression pour
traiter le
problème d'une autre manière:
considérant
d'abord le cas d'un nombre fini de masses réparties
régulièrement sur l'armille, il fait tendre ce
nombre
vers l'infini pour retrouver ses résultats, levant le voile
sur
son approche:
"On
pourrait résoudre la question pour un nombre
déterminé de corps, et supposer ensuite ce nombre
infini.
Cette méthode de calcul a
une clarté qui lui est propre, et qui dirige les
premières recherches.
Il est facile ensuite de passer à une méthode
plus
concise dont la marche se trouve naturellement indiquée."
Fourier, Théorie Analytique de
la Chaleur,
ch. IV, § 278 ( 1822)
|
Et voici qu'il passe aux aveux: c'est ainsi qu'il a obtenu la
série solution, puis, faisant
t
= 0, le développement de la condition initiale sous une
forme
comportant des intégrales: ainsi lui sont apparus "pour la
première fois" les coefficients de Fourier sous forme
intégrale, et la
révélation du calcul par orthogonalité !
|
|
Source des documents : BnF
|
Enfin,
doit-on préciser que la physique expérimentale
n'est pas
oubliée? Elle était présente
dès la mise ne
équation, au chapitre II.
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Source des
manuscrits : BnF |
|
croquis décrivant le
dispositif expérimental de l'armille.
|
relevé
d'expériences: y compris la date, qui nous
renseigne sur l'avancement du travail de Fourier! |
La Sphère
Préparation
Si l'équation de la chaleur demeure
l'expression en coordonnées sphériques du
laplacien est bien moins engageante:
Fort heureusement, le problème que se pose Fourier,
à
savoir le
refroidissement dans l'air ambiant d'une sphère
préalablement
chauffée, possède
d'évidence la
symétrie sphérique: le refroidissement
s'opère de
même dans toutes les directions. La fonction
cherchée sera
donc
radiale,
c'est à dire ne dépendra que de la
coordonnée sur le rayon,
r, et non des deux
angles. En ce cas, l'expression du laplacien est
déjà moins farouche:
D'ailleurs, Fourier
n'opère
pas ainsi (cas général simplifié par
les
symétries), il établit directement son
équation
avec une seule variable d'espace, tant il est évident que le
phénomène est indépendant de la
direction
spatiale: il imagine la boule comme une réunion de
sphères successives, concentriques, de faible
épaisseur,
chacune à une tempréature uniforme. Il
nomme
x (et
non
r
comme il est de tradition aujourd'hui) cette unique variable d'espace,
et
X=R
sa limite supérieure (rayon de la
sphère enveloppe, au contact de l'air).
On regarde donc désormais la fonction inconnue
v de Fourier comme
fonction des seules variables
r
(espace) et
t
(temps)
v = v (r, t)
Enfin, il traduit le bilan des flux de chaleur au bord,
à
tout instant. Ainsi s'obtient un système qui, pour la
première fois dans le traité, mêle
conditions aux
limites et condition initiale: la progression dans la
complexité
se poursuit, sans changer pour l'instant le nombre de variables. Et la
condition au bord est moins simple que celle que donnerait le maintien
à température constante,
v(
R,0)
= 0 par exemple, et cela aura une incidence intéressante.
Voici,
en notations modernes, la position complète du
problème.
évolution |
|
coordonnées
sphériques
|
condition
au
bord |
(R, t) + h.v (R, t) = 0 |
échange
avec l'air ambiant |
condition
initale |
v (r, 0) = F (r) |
F donnée |
Nous pouvons donc
maintenant lire Fourier, qui commence par
énumérer au §283 ces trois conditions:
Source : BnF
Le
changement
de fonction inconnue
est probablement inspiré par la technique classique qui
permet,
dans une équation différentielle du second ordre,
d'enlever la dérivée première.
À moins
qu'il n'ait trouvé dans Euler des cas d'équations
ramenées aux coefficients constants... Il
expose
alors son plan (classique et identique aux cas
déjà résolus) et
annonce
un résultat d'unicité.
Mais puisqu'il a retrouvé... la même
équation que
dans le cas de l'armille, inutile de refaire les calculs: les
solutions
élémentaires sont les
mêmes!
y (r, t) = ( a cos nr + b sin nr ) e-Kn²t.
Cependant, la division par
x
pour retrouver
v va obliger à annuler les termes en
cos,
pour que les
solutions restent bornées à l'origine,
ce qu'exigent la physique... et le bon sens. C'est en fait une
deuxième condition à la limite, qui n'a pas
été explicitée au départ.
Reste donc
v (r, t) = b e-Kn²t. sin nr / r
À ceci près que
n n'a aucune
raison d'être entier,
en dépit de la notation! L'argument de
périodicité
qui amenait à cette conclusion pour l'armille n'existe
plus...
Des Racines et des Modes...
L'intéressant,
la nouveauté arrivent en se penchant sur la
condition à la limite
R
(X
pour Fourier); puisque c'est une condition de nullité, il
suffit
de la vérifier sur chaque composante
élémentaire
pour qu'elle reste vraie pour toute somme, finie ou non. La traduction
est immédiate, mais conduit à une
équation
transcendante, dont les solutions exactes ne peuvent plus
être
explicitées. Il n'y a de quoi arrêter
- ni le
"mathématicien pur" Fourier, qui va remplacer la suite d'entiers n = j de
l'armillepar une suite de
réels n j
pour la sphère,ce qui lui fournira
encore une
famille dénombrable de fonctions comme "base" de
développement,
- ni le "mathématicien appliqué" Fourier, qui va
nous
indiquer comment les évaluer numériquement. Et si
nous
avons mis ces qualificatifs entre guillemets, c'est pour mieux montrer
que cette séparation n'a guère de sens: il n'y a
que des
mathématiciens... ou alors, ce ne sont pas de vrais
mathématiciens!
|
|
Étude de
l'équation, ramenée à
tan ε = ε
/ λ
Selon
la pente, la droite coupe, ou ne coupe pas, le premier arc ailleurs
qu'en la solution triviale 0; en prolongeant (mentalement) la figure
vers le haut, on imagine facilement l'existence d'une racine unique
dans chaque intervalle délimité par les
asymptotes
verticales.
Source des documents : BnF
|
Fourier présente le
calcul par
approximations successives, ayant disposé
convenablement l'itération pour assurer la convergence.; il
détaille
l'interprétation graphique,
en soulignant qu'il est possible de partir d'une valeur
supérieure comme d'une valeur inférieure
à la
racine cherchée, voire coupler les deux pour obtenir un
encadrement.
|
|
Étude de
l'itération, présentée avec le graphe
de la fonction tan
sous la forme
tan εn+1
= εn / λ
mais en fait
réalisée numériquement sous la forme
εn+1
= arc tan εn
/ λ
Source des documents : BnF
|
Bizarrement,
il reviendra à la fin du chapitre sur cette
équation pour
justifier qu'elle n'a d'autres racines que les racines
réelles qu'il
vient de mettre en évidence.
Curieux
mélange d'une volonté de rigueur
et d'une pratique eulérienne qui en a beaucoup moins: il
reprend le
développement du sinus en produit infini, qu'il affectionne
décidément,
le tronque à un ordre m,
le dérive: les racines sont celles d'un polynôme,
et comme il en tient m,
le plein est fait, si toutefois on interprète bien ce qu'il
entend par "principes
ordinaires de l'algèbre".
Mais il n'y a pas plus de preuve d'existence des
m racines
de ce polynôme (si ce n'est l'acte de foi: plus m est grand, plus ce
polynôme est proche de la fonction
étudiée, donc a des racines proches de celles de
cette fonction) que de justification que cette situation
demeure par passage à la limite.
Ce qui ne nuit pas
le moins du monde à la
sérénité de sa conclusion!
|
|
Source du document : BnF
|
Et tout ceci pour conclure qu'au fond, cette digression n'avait rien
d'indispensable. Pourtant, si les mémoires de 1807 et 1811
ont
éventuellement la marque d'un écrit
terminé en
hâte, ce ne peut être le cas ici: Fourier a eu le
temps et
le sésir de peaufiner le texte édité.
Alors, c'est
peut-être une réponse indirecte aux critiques de
ses
pairs, Lagrange, Laplace, Poisson...
"Au reste la
solution que nous avons donnée n'est point fondée
sur la
propriété d'avoir toutes ses racines
réelles. Il n'aurait donc pas été
nécessaire
de démontrer cette proposition par les principes de
l'analyse algébrique. Il suffit pour l'exactitude de la
solution
que l'intégrale puisse coïncider avec un
état
initial quelconque [...]"
Fourier, Théorie Analytique de
la Chaleur,
ch. V, § 305 ( 1822)
|
Un Développement d'un Nouveau Genre
La suite parait d'abord tenir de la routine:
former une
série candidate, avec des coefficients non
précisés; puis
ajuster
ces derniers au bord, pour
t = 0.
§ 290 &
291, mise en page recomposée (Source : BnF)
Le miracle du
calcul
des coefficients, grâce à une
intégration terme à terme, et
l'annulation de toutes les intégrales sauf une,
va-t-il se reproduire? Oui,
grâce
à l'équation que vérifient les valeurs
(n'ayons pas peur de le dire: les
valeurs
propres!)
nj.
Ce que Fourier vient de réaliser, c'est l
'un des
premiers développement en série de fonctions
orthogonales.
Certes, comme souvent en sciences,
l'idée est dans
l'air du temps: dans son étude du potentiel de
l'ellipsoïde, en 1785,
Legendre a obtenu des relations
d'orthogonalité entre "ses" polynômes. Mais il n'a
pas
développé une
fonction
quelconque!
L'article de
Gauss sur les quadratures
approchées,
considéré comme séminal pour la notion
de
polynômes orthogonaux, date, lui, de 1814 -il est
donc
postérieur aux deux premiers mémoires de Fourier;
et le
concept d'orthogonalité ne sera pleinement
dégagé
qu'en 1826 par
Jacobi, dans le sillage de Gauss.
Avec tout le confort des notations modernes, et l'abus de vocabulaire,
commun chez les physiciens, mais qui fait ticquer les
mathématiciens (le mot exact serait
base
hilbertienne,
mais il est un peu plus difficile à définir!), le
travail
effectué se résume, de façon aussi
esthétique que compacte, en:
"base" |
φj (x) = sin nj x /
x |
fonctions propres |
produit
scalaire |
|
"poids" x²
|
orthogonalité |
<
φi , φj > = 0 |
i et j distincts
|
coefficients |
aj = < F , φj > / < φj , φj > |
|
Voilà qui est promis à une belle descendance
mathématique, et Fourier va être, dès
le chapitre
suivant, encore le premier à explorer la voie qu'il vient
d'ouvrir. Mais avec toutes ces belles mathématiques, il ne
faudrait pas oublier la physique. D'abord, rappeler que, comme pour la
lame, comme pour l'armille, les séries théoriques
laissent la place, en pratique, à des sommes de quelques
termes
seulement:
"Les racines n1, n2, n3, n4, etc. de l'équation
nX / tan nX = 1 - hX sont très
inégales;
d'où l'on conclut que si la valeur du temps
écoulé
t est considérable, chaque terme de la valeur de v est extrêmement petit par
rapport à celui qui le précède.
À mesure que le temps du refroidissement augmente, les
dernières parties de la valeur de v cessent d'avoir aucune
influence sensible; et ces
états partiels et élémentaires qui
composent
d'abord le mouvement général, afin qu'il puisse
comprendre l'état initial, disparaissent presque
entièrement, excepté un seul."
Fourier, Théorie Analytique de
la Chaleur,
ch. V, § 292 ( 1822)
|
Bref, tout ceci reste aussi maniable. Puis, viennent les
applications physiques proprement dites: un long
développement
sur les thermomètres, et une annonce spectaculaire:
"La question du mouvement de la
chaleur dans une sphère comprend
celle des températures terrestres.
Pour traiter cette dernière question avec plus
d'étendue,
nous en avons fait l'objet d'un chapitre séparé."
Fourier, Théorie Analytique de
la Chaleur,
ch. V, § 304 ( 1822)
|
En outre, la chaleur dans une sphère, cela peut concerner aussi
une serre, témoins ces géantes (dédiées
à la présentation d'un nombre ahurissant
d'espèces) inspirées par les célèbres
dômes géodésiques de
Buckminster Fuller!
.
Extérieur et intérieur des serres de l'Eden Project, St Austell (Cornouailles, Grande Bretagne)
Le Cylindre
Fourier remplace la
sphère du chapitre précédent par un
cylindre infini, et, comme on va le voir,
très
peu de choses changent; pour être plus précis,
juste un misérable coefficient 2 qui devient 1.
Non, ce n'est pas une erreur de calcul! C'est que le
problème est exprimé en coordonnées
cylindriques, ce qui modifie radicalement l'expression du laplacien
Mais comme précédemment, il y a simplification
par symétrie. La symétrie sphérique
laisse sa place à la
symétrie
de révolution, le paramètre
angulaire n'intervient donc pas, et il reste pour une fonction radiale
X=R
est maintenant le rayon du cylindre, et sans surprise la condition au
bord s'y traduit de la même manière. À
nouveau, le problème n'a plus que deux variable,
r qui
désigne la position sur le rayon à
l'intérieur du cylindre (espace) et
t (temps); la
fonction inconnue
v de
Fourier s'écrit
v = v (r, t)
et vérifie le système
évolution |
|
coordonnées
cylindriques
|
condition
au
bord |
(R, t) + h.v (R, t) = 0 |
échange
avec l'air ambiant |
condition
initale |
v (r, 0) = F (r) |
F donnée |
Aussi Fourier, qui a fait sa mise en équation au
chapitre II, écrit-il d'emblée les deux
premières, équation de
diffusion
de la chaleur et
condition
au bord.
§ 306, mise en
page recomposée (Source : BnF)
Sans détailler une séparation des variables
qu'une lectrice scrupuleuse (la lectrice est souvent plus scrupuleuse
que le lecteur, c'est bien connu...) aura tout
intérêt à détailler
v (r, t) = u(r). w(t)
il pose directement
w
comme exponentielle, mais écrit
l'équation
différentielle vérifiée par
u. S'il
avait explicité celle concernant la sphère, il
aurait obtenu presque la même: la modification du
1 en
2 peut facilement
être suivie à la trace! En posant, comme il le
fera un peu plus bas, g =
m
/
k, on
aurait respectivement
sphère |
r u"(r) + 2.u'(r) + gr u(r)
= 0 |
cylindre |
r u"(r) + 1.u'(r) + gr u(r)
= 0 |
Oui, mais voilà: finie la petite astuce qui vous
ramène aux coefficients constants! On n'est pas dans un
exercice de mathématiques où tout a
été prévu pour que le calcul
s'arrange... Dame nature est moins gentille avec le
physicien/mathématicien. Qu'à cela ne tienne,
Fourier a de la maîtrise technique -on l'a
déjà vu: il cherche les solutions
développables en série entière
Et sur quoi peut-il tomber, de cette manière?
Prenons un instant
g = 1,
pour ne pas nous encombrer:
on
reconnait l'équation différentielle de Bessel, et
le développement en série entère
correspondant de la fonction J0! Et ceci,
deux
décennies avant les écrits (1830)
de
Bessel (ou
biographie en allemand
bien plus complète!) dans lesquelles il introduit
les
célèbres fonctions
qui portent désormais son nom, mais que, comme l'a fait
unltérieurement remarquer
Heine
en 1868, on devrait plus justement
nommer fonctions de Fourier-Bessel. D'ailleurs, ce dernier n'avait pas
pris ombrage de cette antériorité, exprimant au
contraire toute son admiration pour son devancier, si l'on en croit
Kelvin -lui même, il est vrai, grand admirateur de Fourier.
Timbre
allemand pour le bicentenaire de Bessel.
Derrière lui, ses deux premières fonctions,
J0
et
J1
Dans le cas général, prenant
γ
> 0 tel que g = γ²,
on reconnait, tant sur le développement en série
qu'en faisant ce petit changement de variable dans
l'équation différentielle, que la solution de
Fourier est
u(r) = J0
( γ
r)
Tout se passe comme sur la sphère, mais une fonction usuelle
chasse l'autre... car si, pour le pionnier Fourier,
J0 n'a rien
d'usuel, ce n'est pas ce que dirait un physicien d'aujourd'hui! Bref,
J0 remplace
sin, et il reste donc
à tirer
une infinité dénombrable de valeurs de g de la
condition au bord, ce qui
"exige un examen attentif" (sic),
puis suivra
la routine de la sommation en série pour construire une
solution aux deux premières équations.
L'
examen attentif
se fait à grands coups d'alternance de zéros,
à la façon des futurs
théorèmes de Sturm. Fourier y est pour le moins
allusif, invoque
"des
propositions fondées sur la théorie des
équations algébriques et
démontrées depuis longtemps", mais
parait bel et bien traiter les séries entières
comme s'il s'agissait de simples polynômes. Il y a
certainement des lacunes, mais le résultat est le bon. Le
joli timbre ci-dessus illustre fort bien ce genre d'entrelacement.
Il reste à traiter la condition initiale, mais auparavant
Fourier explore plus avant la fonction de Bessel, parvenant de deux
manières à son expression intégrale!
Source : BnF
Fourier poursuit le parallèle
au cas de la sphère avec une grande
sérénité: le calcul des coefficients ne peut que provenir de relations d'orthogonalité.
Il est bien loin, le temps de son calcul de funambule du chapitre III
où il était d'abord passé à
côté de cette méthode: maintenant, il les cherche!
Jonglant avec l'équation différentielle et les
intégrations par parties, il finit par trouver la bonne fonction
poids pour le produit scalaire: après x² pour le cas de la sphère, c'est tout simplement x :
|
|
Utilisation de l'orthogonalité pour le calcul des coefficients, § 318 & 319 (extraits)
(Source: BnF) |
Soit, avec la magnifique concision
des notations géométriques modernes (il suffit de
regarder l'expression de la série générale
qu'obtient Fourier pour saisir la clarté qu'elles apportent):
"base" |
φj (x) = J0
( γj x ) = ψ
( γj x ) |
fonctions propres |
produit
scalaire |
|
"poids" x
|
orthogonalité |
<
φi , φj > = 0 |
i et j distincts
|
coefficients |
aj = < F , φj > / < φj , φj > |
|
|
|
Formule donnant la solution, § 319
Source du document : BnF
|
Petite Digression sur les Ondes
Certes, dans son livre, Fourier
traite d'un sujet unique: la chaleur. Ce qui ne l'empêche pas de
remarquer, ici ou là, que sa méthode s'applique à
d'autres problèmes. Quoiqu'il ne l'ait pas fait lui-même,
il est intéressant de comparer, pour une propagation/diffusion
radiale, les deux équations des ondes et de la chaleur: bien peu
de choses changent si nous nous attachons à la forme de ces
équations; la constante α
n'est bien sûr pas la même dans les deux cas, mais si cela
est d'une grande importance physique (homogénéité
dimensionnelle), cela n'importe en rien pour le mathématicien,
toujours tenté de pousser la désinvolture jusqu'à
prendre α = 1 !
chaleur (diffusion) |
ondes (propagation) |
|
|
|
|
Le Laplacien conserve la même expression; donc, quand on cherchera les solutions à variable séparées
v (r, t) = j(r). w(t)
la fonction f vérifiera la même équation différentielle, c'est à dire celle de Bessel. g
vérifiera, elle, une équation à coefficients
constants du second ordre, et non plus du premier. C'est tout!
On peut donc voir des fonctions de Bessel dans un bassin où se propagent des ondes radiales: vous en rêviez, le Mathouriste
l'a fait! (On peut supposer que la condition au bord est d'annuler la
solution, ce qui correspond à l'immobilisation sans
réflexion de l'onde; cela paraît une approximation
acceptable... et fait intervenir sans détour les racines de
J0)
Vu à Gaziantep (Turquie)
Leur ressemblance avec des sinusoïdes amorties a d'intéressantes conséquences musicales; nous y reviendrons ailleurs. |
La généralisation
magistrale à d'autres systèmes de fonctions orthogonales
sera l'œuvre de Liouville; ce n'est pas un hasard s'il part d'une
équation de la chaleur généralisée et rend
hommage à Fourier. Pour tout cela, rendez-vous dans
notre page Liouville, ou sur le site BibNum pour l'étude détaillée du
problème
de Sturm-Liouville qui y est réalisée.
Les Autres...
(à
suivre...)