Cette page est un préliminaire
à notre promenade dans la Théorie
Analytique de
la Chaleur. Sa lecture n'est pas indispensable
pour lire les suivantes, mais elle peut (en tout cas, l'auteur
l'espère) aider à mieux appréhender le
travail de
Fourier:
en précisant certains
éléments historiques qui entourent cette
découverte;
en se plaçant dans un contexte a priori plus
naturel et
plus accessible parce que plus familier: celui des ondes sonores et des
instruments de musique;
la
musique adoucit les mœurs... et peut être aussi les
équations! (Promis, il n'y en aura pas trop)...
et le Mathouriste se souvient qu'il fut
aussiun Jazztouriste!
Analyse
Harmonique est, pour le mathématicien ou le
physicien, un simple synonyme d' Analyse de
Fourier.
Ce n'est évidemment pas le sens que donnerait à
l'expression un professeur du Conservatoire: pour lui, cela
signifierait l'étude d'une partition d'orchestre (ou de
chœur), afin de décortiquer l'agencement
sonore simultané des instruments (ou des voix). Pourtant, le
mot
harmonique a d'excellentes raisons de leur être commun. Lue après coup,
l'Histoire des Sciences rend inévitable
la question:
"Mais
pourquoi l'Analyse de Fourier n'est-elle pas
née de l'étude de la musique et des hauteurs
sonores? "
De fait, tous les ingrédients étaient
là... tous, sauf Fourier!
"Un seul être vous manque, et tout est
dépeuplé..."
Mise en Bouche (Contemporaine)
Le son d'un instrument de musique est une vibration de l'air,
elle-même engendrée une vibration
d'origine
mécanique, par exemple une corde (violon, guitare, piano),
une
lame de bois (clarinette) ou de métal (harmonica,
accordéon). Un diapason émet un son "pur" qui, on
le
verra un peu plus loin, correspond à une sinusoïde
dont la
fréquence est de 440 Hertz (ou battements par secondes).
Mais
personne ne confondrait le La 440 d'une clarinette avec celui d'une
trompette: c'est qu'il y a donc autre chose dans le
son émis que cette fréquence,
dénommée
fondamentale.
Ce qui donne à chaque instrument son timbre
particulier, ce qui "colore" sa fondamentale, ce sont d'autres
vibrations produites simultanément par l'instrument; elles
dépendent de sa forme, de sa matière, mais ont
des
fréquences multiples de celle
de la fondamentale: ce sont elles qu'on nomme les harmoniques. Et
comme une couleur s'obtient en sélectionnant d'abord les
couleurs de base qui la composeront, puis en dosant les
quantités, un timbre peut se construire en choisissant les
harmoniques qui l'accompagneront, puis en les dosant. Ou comme une
pâtisserie s'obtient en choisissant les produits de base
(farine,
sucre, chocolat...) puis en dosant leur proportions respectives. Mais
il y a une énome différence: si depuis toujours
le
peintre à partir des pigments, le cuisinier à
partir des
ingrédients, le parfumeur à partir des
fragrances,
ont synthétisé
le résultat à déguster avec nos sens,
il a fallu attendre le XXème
siècle et l'électronique pour être
capable de faire
de même dans le domaine sonore. Dès
l'antiquité,
les physiciens ont été confronté
à un
problème qu'on qualifierait aujourd'hui de reverse engineering:
faire l'analyse
du son pour en trouver les ingrédients et le dosage.
Nous savons faire aujourd'hui ce travail, et, magnifique retour sur
investissement de la théorie de Fourier, les instruments de
laboratoire qui démontent le signal acoustique pour nous
révéler ses secrets ont pour fondement
mathématique la transformation
de Fourier (voir La Partie 3 de notre promenade), et pour
implémentation informatique l'algorithme de transformation
rapide
(voir également La Partie 3). Voici, pour vous
allécher,
un exemple, que nous expliquerons mathématiquement plus
loin:
si, dans le saxophone, toutes les harmoniques (toutes les multiples de
la fréquence de la note émise, ici un La 880Hz)
sont
présentes, pour la clarinette en revanche, les multiples
pairs
sont absents, ou négligeables! Deux tuyaux sensiblement de même longueur
(si on considère le sax soprano) , le même type de bec et
d'anche... à vous d'observer la (les?)
différence(s), et rendez-vous en bas de page...
Instruments et solistes
Signal sonore
(fonction du temps)
Fréquences
présentes
à Nice-Cimiez:
Brandford Marsalis (ss, 8/7/1990, 22h) et Eddie Daniels (cl, 19/7/1992)
Images des signaux et des fréquences issues du site Physics of Music
Et
maintenant, apprécions la différence à
l'oreille,
et cela peut se faire sur autre chose que de mornes sons
filés.
Rien ne vaut de goûter le saxophone
soprano avec celui qui l'a inventé: Sidney Bechet,
qu'accompagnait depuis son arrivée en France... Claude
Luter,
encore à la clarinette! Idéal pour confronter les
deux
instruments.
En video: Les Oignons (1952). Solo de Luter
(cl) puis Bechet (spno sax)
Pour un répertoire plus authentiquement
Néo-Orléanais, voir ce Saint Louis Blues:
le son est de très piètre qualité
(l'image aussi, mais le document garde un
intérêt!), et
pourtant, impossible de confondre les deux, qui prennent chacun leur
solo.
Trouver l'Harmonie: Plus Compliqué qu'on ne
Croirait...
Comment est-on arrivé là? L'histoire remonte -au
moins!-
à Pythagore. On a fait une légende de sa
découverte dans l'échoppe d'un forgeron: les
marteaux de
Pythagore, comme il y a la baignoire d'Archimède et la pomme
de
Newton. Mais dans toute légende scientifique, il y a un fond
de
vérité, de sens de l'observation, et de
curiosité
essentielle pour pousser l'investigation en profondeur. Alors, tant
qu'à se servir une légende romancée...
n'ayons pas
peur de la lire dans un roman!
"Pythagore, devant
l'échoppe d'un forgeron, écoute de jeunesgarçons
qui frappent à tour de rôle du fer sur la
même
enclume. Certaines combinaisons de sons lui parviennent harmonieuses,
d'autres chagrinent l'oreille. Il étudie la
scène, vit
l'émotion qui s'en dégage. Les marteaux viennent
de lui
ouvrir une porte fondamentale! Les sonorités obtenues sur un
solide ne sont pas les mêmes. Pythagore
s'enquiert du poids de chaque marteau. Il en prend un puis double son
poids. On le laisse faire, intrigué. Très vite le
fureteur comprend que les intervalles musicaux sont en correspondance
avec les marteaux. Lorsque les masses des deux marteaux sont d'un rapport simple de
nombres entiers, tout va bien. Le premier marteau donne
une note. Si on double son poids, on obtient l'octave. L'octave, c'est
l'amitié, l'amour, un cycle... Pythagore trouve la tierce, la
quinte, et il veut transposer ces proportions abstraites aux cordes. Ah! Si le monde pouvait
délivrer un message... Lorsqu'il pince une corde à
plusieurs endroits avec un rapport facile: un demi, un tiers, deux
tiers, etc... il obtient une gamme qu'il trouve belle et
naturelle. Ce qu'il préfère, c'est la quinte...."
Que la
hauteur du son dépende, à tension
égale, de la longueur de la
corde était connu avant lui, et appliqué,
empiriquement sans doute, à
la construction de lyres, cithares,...
Ce qui est certain, c'est que Pythagore fut, de ce que l'on sait, le
premier à expérimenter
les consonances selon les longueurs de corde et, surtout, à quantifier
ces rapports pour tenter de comprendre lesquels lui paraissaient les
plus familiers, puis d'en déduire la construction
mathématique d'une
gamme musicale. Ce qu'on perçoit comme intervalle
correspond à un rapport de
fréquences,
inverse du rapport des longueurs.
Ci-contre: violon ou contebrasse: la gravité est affaire de
la longueur de la corde!
Stéphane Grappelli en
répétition, Juan-les-Pins, 25/07/1991
Prisonniers
jouant de la lyre, reliefs du palais de Ninive (Assyrie). Vers 800
av.J.C.
British
Museum, Londres
intervalles
fréquences
longueur
remarque
nul
(fondamentale)
f1
L1
octave
f2
= 2 f1
L2
=L1/
2
octave
+ quinte
f3
= 3 f1
L3
=L1/
3
quinte
f
= (3/2) f1
quarte
f
= (4/3) f1 = (2/3) f2
"octave -
quinte"
Dans le tableau ci-dessus, on
voit que Pythagore utilise les deux premières harmoniques
(fond
jaune), puis ramène la note à
l'intérieur de
l'octave [ f1, f2
] en divisant par 2: ainsi le rapport fondateur de la quinte
(ascendante) est 3/2, tandis que son inverse 2/3 (quinte descendante)
fonde la quarte. Pythagore veut bâtir la gamme en
réitérant le procédé: c'est
le cycle
des quintes,
qui malheureusement ne peut se refermer avec exactitude au bout de n
itérations, p octaves plus loin, car il faudrait
pour cela
que
( 3 / 2 )n = 2 p
soit 3 n = 2 p + n
ce qui contredit l'unicité de la
décomposition en facteurs premiers!
le livre de Zarlino, 1558
(Université de Strasbourg)
À la renaissance,
Gioseffo Zarlino ( 1517-)
a tenté d'améliorer les choses, utilisant la
cinquième harmonique pour engendrer la tierce majeure (et la
tierce mineure suivra grâce au rapport inverse, 5/6).
intervalles
fréquences
longueur
remarque
nul
(fondamentale)
f1
L1
octave
f2
= 2 f1
L2
=L1/
2
octave
+ quinte
f3
= 3 f1
L3
=L1/
3
2
octaves
f4
= 4 f1
L4
=L1/
4
(Pythagore)
2
octaves + tierce
f5
= 5 f1
L5
=L1/
5
2
octaves + quinte
f6
= 6 f1
L6
=L1/
6
(Pythagore)
tierce
majeure
f = (5/4) f1 = (1/4) f5
2
octaves plus bas
Mais que faire de la septième harmonique? D'autre part, ce
système fait que le ton du do au ré (9/8)
ne vaut pas exactement le même rapport que le ton du ré au mi (10/9)...
Ainsi donc, les problèmes de l'harmonie musicale se
dessinent-ils, peu à peu, à partir des harmonies
naturelles
d'une corde en vibration: celles qui correspondent aux
sinusoïdes
des séries de Fourier. Mais, hélas, elles posent
de
nombreux problèmes: outre les
précédents, elles
rendent impossible la transposition
(jouer le même air, un ton, ou une tierce au dessus, par
exemple), tout simplement parce que les rapports de notes ne seraient
pas conservés. Pas étonnant que Marin Mersenne étudie
longuement ces questions dans son Harmonie
Universelle...
Il est là,
discutant avec Desargues, mais un peu caché par Pascal, le
père Mersenne!
Grand escalier de la Sorbonne (Paris)
Il dépense beaucoup d'énergie pour
faire le point
sur ces rapports (au lieu de fréquences, il parle de
battements
de l'air, mais cela revient au même!)
une impressionnante liste
de consonances et dissonances
sons, rapports et
longueurs de cordes
Son travail encyclopédique a le mérite de dresser
l'état des lieux à l'époque de la
parution (1636),
intégrant les éléments les plus
récents, l'Harmonices
Mundi
de Kepler (1619) et ses correspondances hasardeuses entre orbites des
planètes et intervalles musicaux, mais surtout les
idées
laissées à l'état de manuscrit par Simon Stevin (1605)
sur la construction de la gamme
tempérée, divisant l'octave en douze intervalles égaux
-ce qui revient à prendre pour demi-ton la racine
douzième de 2. Ainsi, plus aucun
harmonique n'est naturel , pas même la quinte:
le rapport naturel 3/2 = 1,5 se voit substituer 2 7/12
= 1,49830... (elle comporte 7 demi-tons) mais il est possible
d'écrire dans toutes les tonalités, et une
magistrale
mise en travaux dirigés, "pour la pratique et le profit
des jeunes musiciens désireux de s'instruire et pour la
jouissance de ceux qui sont déjà rompus
à cet art" fut proposée en deux
temps (1722,1744). Conseil partial du Mathouriste: laissez Glenn Gould
aux snobs, et faites votre délice de la version de Keith
Jarrett ( commencez donc là
: prélude 1 du livre 1et poursuivez). Ah, oui: on allait
presque
oublier de mentionner son auteur, mais vous l'aviez sans doute
deviné...
Thomaskirche (Leipzig,
Allemagne) : devant, et à l'intérieur.
Noter
que l'orgue, son instrument chéri, obeit au même
principe
physico-acoustique que les cordes: un tuyau ouvert, par
exemple,
sonne d'autant plus est grave qu'il est plus long.
Le sujet "Gammes et
Mathématiques" est extraordinairement riche, passionnant
-malheureusement trop mal connu des enseignants de théorie
musicale,
souvent peu ou pas préparés à
répondre aux questions intelligentes d'un
apprenti musicien un peu curieux. Mais il nous éloignerait
trop de
Fourier, ce qui nous a obligé à limiter
drastiquement ce
paragraphe, qu'il faut conclure ainsi: c'est bien
la même notion d'harmonie qui est en jeu,
mais la musique a dû s'écarter
légèrement
des harmonies naturelles pour assurer le tempérament.
D'ailleurs, cela ne résoudra pas tout: lorsque des
instruments
jouent ensemble une même note (a fortiori un accord) , chacun
émet aussi ses propres harmoniques naturelles...
dont le mélange, pour le coup, échappe au
tempérament!
Enfin les vibrations d'une corde... peuvent même, par
résonance mécanique (transmise par l'air), engendrer
celles d'une corde voisine, pour peu que la fréquence à
vide de cette dernière soit une harmonique naturelle de la
première. Descartes le remarque dans son Compendium Musicae (1618):
«
Dans les cordes de luth, si on en pince une, celles qui sont plus
élevées qu’elle d’une octave ou d’une
quinte tremblent et résonnent d’elle même »
Il arrive que l'on exploite sciemment ce
phénomène: dans la facture instrumentale d'abord, comme
dans les violes d'amour: ce sont des violes, dotées au XVIIème siècle de cordes sympathiques,
excitées sans être touchées, par la seule vibration
d'une corde frottée voisine si leurs
fréquences propres sont en sympathie, on dirait aujourd'hui: en harmonie!
Les
cordes sympathiques sont bien visibles (en agrandissant l'image!)
à l'arrière plan des cordes que frotte l'archet. Il est
clairement impossible pour celui-ci de les atteindre, seule la
résonance peut les mettre en mouvement.
À l'autre extrémité de l'histoire de la musique,
les compositeurs contemporains ont exploité les
résonances naturelles: ainsi Luciano Berio, dans la Sequenza X pour trompette (1984), où le son de la trompette fait entrer en résonance les cordes d'un piano proche, ou encore Pierre Boulez, dans le Dialogue de l'ombre double,
l'excitateur étant cette fois une clarinette (1985).
Incidemment, ette œuvre est une dédicace à Luciano
Beerio pour son 60ème anniversaire.
L'Affaire des Cordes Vibrantes
Quand on y réfléchit bien, tout est
arrivé
à cause de Lucille, ou tout au moins... d'une de ses
sœurs
un peu plus âgée. Vous ne connaissez pas Lucille?
On vous
la présente!
à moins qu'on
ne laisse ce soin à celui dont elle a partagé la
vie...
"Ladies
and Gentlemen, Mister Be... BEEEE... KING
!!!!!!!"
Nice, Arènes de Cimiez
12 Juillet 1988, 19h
Nice, Jardins de Cimiez
10 Juillet 1990, 23h
Prenez le temps d'écouter le dialogue du
bluesman et de sa guitare, d'apprendre du boss lui-même l'origine de son nom... et
pourquoi pas vous offrir un petit concert en vidéo, Live
at Nick's à
Dallas (Texas), par exemple (histoire de vérifier que
l'annonce ci-dessus n'a rien d'exagéré!) et
si, après ça, vous n'avez pas envie de
savoir ce qui
se passe
quand la corde de guitare est mise en vibration, le Mathouriste
ne peut plus rien pour vous! (Ou alors, écrivez lui, et il
vous
conseillera quelques autres concerts du même, ou quelques
autres guitar-heroes
de sa discothèque...)
La première mise
en évidence expérimentale des harmoniques
fut l'œuvre... d'un théoricien, Joseph Sauveur (1653-1716),
mathématicien de son état,
considéré comme fondateur de l'acoustique.
Le Système
général
de Sauveur in Mémoires de l'Académie
Royale des sciences (1701).
Noter la parfaite définition de l'harmonique, avec l'exemple
le
plus simple hors l'octave: le triplement de la fréquence;
celle
des nœuds et ventres, toujours en usage.
La figure, elle, concerne le quintuplement de la fréquence,
en
immobilisant la corede à 1/5 ou 2/5 de sa longueur pour y
créer un nœud.
Il vient de mettre en évidence ce que l'on appelera
bientôt modes propres
de vibrations de la corde: propres, parce qu'ils lui appartiennent en
propre! La fixation aux deux bouts donne un statut
privilégié aux vibrations correspondant aux
divisions
entières de la longueur; ce ne sont donc pas toutes les
fréquences, mais une famille
privilégiée, celle
des harmoniques de la fondamentale.
Signalons aux apprentis mathématiciens que c'est de
là que naîtront les dénominations valeurs propres,
fonctions propres,
et enfin vecteurs
propres... quand on commencera à regarder les
fonctions comme des vecteurs, deux bons siècles plus tard!
Solutions et Premières Escarmouches
Brook Taylor, le premier, avait
utilisé le calcul différentiel (à une
seule
variable) pour montrer qu'une sinusoïde (sin ax).(cos avt)
peut représenter une vibration d'une corde tendue,
fixée
aux deux bouts (1715). Mais la première véritable
mise en
équation complète est due à d'Alembert
(1747);
c'est aussi la première fois qu'on forme une équation
aux dérivées partielles.
Le cadre pertinent est celui de petites oscillations transversales
(perpendiculairement à la corde au repos):
l'ordonnée
d'un point est fonction de son abcisse sur la corde, et du temps. Cette
équation s'accompagne de conditions aux limites
évidentes: il est bon que la corde reste fixée
aux deux
extrémités, et d'une condition intiale, qui, dans
le cas
de la corde pincée, représente la
déformation
initiale de la corde avant qu'elle ne soit lâchée.
L
désigne la longueur de la corde, v la
célérité de propagation de l'onde dans
le milieu.
évolution
conditions
au
bord
y (0, t) = 0
y (L, t) = 0
immobile
en x
= 0, x = L
conditions
initales
y (x,0) = f(x)
f: position initale donnée
vitesse nulle
Le
problème se présente donc sous une forme très
similaire à celui que rencontrera Fourier dans
l'étude de
la chaleur;
la différence la plus notoire porte sur la
dérivée temporelle, du second ordre ici, du
premier pour
la chaleur. D'Alembert a de la chance: un changement de variable banal,
mais physiquement pertinent eu égard à la
propagation de
l'onde et de l'onde réfléchie
u = x - vt ; w = x + vt
permet d'obtenir la solution de l'équation sous la forme
y (x, t) = F(x + vt) + G(x - vt)
et
après exploitation de la condition en x = 0
y (x, t) = F(x + vt) - F(vt - x)
où F est une fonction arbitraire,
à qui la condition initiale de vitesse imposera
d'être impaire et la condition en x = 0
d'être 2L-périodique.
Arbitraire... oui, mais pas tant que cela; d'Alembert la voulait
définie "par une seule formule" (autrement dit, il
n'admettait
pas une définition par morceaux), et deux fois
continûment
dérivable ("sans
sauts de courbure"),
pour pouvoir la reporter dans l'équation et effectuer les
dérivations requises. Ce deuxième point se
tenait,
mathématiquement, mais Euler,
qui avait résolu
l'équation à peu près en
même temps
argumenta avec bon sens à partir du
problème
physique:
"La
première vibration dépend de notre bon plaisir,
puisqu'on peut, avant de
lâcher la corde, lui donner une figure quelconque."
[...]
"Ayant donc décrit
une semblable courbe anguiforme,
soit régulière, contenue dans une certaine
équation, soit
irrégulière, ou méchanique,
son appliquée quelconque PM fournira les fonctions, dont
nous avons besoin pour la solution du Problême."
Leonhard Euler, Sur la Vibration des Cordes (E140, en ligne), 1748
exemple
de coube "anguiforme" (faisant un angle): c'est le cas le plus naturel
quand on pince la corde d'une guitare avant de la lâcher!
La Controversedes
Cordes Vibrantes
L'expression est devenue célèbre; elle provient
des termes mêmes employés par d'Alembert
"J'ai
parlé de vous dans ma Préface, comme je le dois
à
tous égards, à l'occasion de notre controverse sur la
vibration des cordes."
d'Alembert
à Lagrange, Lettre, 29 avril 1768
Décidément, Lucille a le
chic pour déclencher les bagarres. Celle-ci va
opposer un nouveau venu, Daniel Bernoulli, à
Euler et d'Alembert. Sa
méthode est radicalement différente (1755): sans
étudier l'équation, il somme les solutions
sinusoïdales de Taylor (en série, c'est
à dire: une
infinité),et propose une expression de la solution qui ne
peut
qu'être confrontée à celle de
d'Alembert: est-ce-ce la
même?
Bernoulli somme, sur la
fig.6, les deux harmoniques des fig.1 et fig.2
Il est bon de signaler qu'à cette époque, le "principe de
superposition" ne va pas de soi, tant que
le problème n'a pas clairement
été formulé comme une équation
linéaire.
Quant à sommer un nombre fini ou infini de termes, aucune
différence: c'est toujours sommer! Et, surprise,
Euler a
effectivement écrit la même série dans
l'article
E140 de 1748, mais comme un exemple possible, presque sans y
attacher d'importance.
Bernoulli, et cela
mérite d'être souligné, tient à faire le lien
avec
les harmoniques musicales: si le son
fondamental est un do, de fréquence f1
l'octave est le do
de fréquence f2
= 2 f1
sa
douzième est le sol
une octave plus haut de fréquence f3
= 3 f1
la double octave est le do de
fréquence f4
= 4 f1
la dix-septième est le mi deux octaves
plus haut, de fréquence f5
= 5 f1
Les premières
harmoniques physiques (en général
les plus présentes en intensité) donnent l'accord
parfait naturel! -comme on l'a vu avec Zarlino.
(par "vibrations
Tayloriennes" , il faut naturellement entendre
"sinusoïdales", terme alors inusité)
Euler ne peut que réagir; il commence par exprimer un doute
plutôt étonnant de sa part: une
série de solutions est-elle encore solution? ("le nombre infini semble
détruire la nature....").
Après avoir concédé que cela peut
fonctionner, sur
un exemple où il sait calculer effectivement la somme il va poser le
problème avec clarté et pertinence: toute forme de courbe est-elle
représentable par une telle série?
les 3
premières pages du mémoire E213,
disponible en ligne
Sincérité ou roublardise -pour mieux faire
triompher son
point de vue?- Euler se lance dans une sorte de débat entre
les deux
positions en présence. Physique et mathématiques
y
dialoguent aussi: sur le versant physicien, il rappelle le
caractère absolument
arbitraire de
la forme initiale de la corde (pp. 200,201);
mathématiquement,
alors même qu'il n'est pas prêt à
franchir le pas
d'une
définition de fonction
correspondante et qui deviendra la définition moderne, il
doute
clairement de la possibilité d'une représentation
de
toute fonction comme somme d'une telle série (p. 200): la
combinaison des trochoïdes "ne saurait être que
très particulière", mais pour tout
argument, il martèle "il
est bien clair que"
comme le premier étudiant venu qui ne sait comment se sortir
(autrement, de préférence un peu plus dignement)
d'une
démonstration. Euler n'est pourtant pas le premier venu...
il y
a de quoi consoler les étudiants (mais oui, même
les grands, même les meilleurs font aussi de
mauvais raisonnements!)
LA
question: une fonction peut-elle être somme d'une
série trigonométrique?
D'Alembert est, sur ce point, dans le même camp qu'Euler; on
comprend dès lors le sentiment de triomphe de Fourier
parvenant
à une conclusion, certes exagérément
optimiste
mathématiquement, mais valable pour tout signal physique (en
particulier sonore):
"Il
résulte de mes recherches sur cet objet que les fonctions arbitraires même
discontinues peuvent toujours être
représentées par les développements en
sinus ou
cosinus d'arcs multiples, et que les [solutions de
l'équation de
la chaleur] qui contiennent ces développements
sont précisément aussi
générales que celles
ou entrent les fonctions arbitraires d'arcs multiples. Conclusion que
le célèbre Euler a toujours repoussée."
Daniel Bernoulli n'a pas poussé plus loin son avantage, et
voilà comment trois éminents savants passent
à
côté des séries
trigonométriques pour le
problème qui les appelle de la façon la plus
naturelle.
Fourier ne manquera pas de le faire observer pour souligner
l'importance de son apport personnel face à un jury qui a
totalement sous-estimé les avancées que contient
son
travail dès 1807
"À l'égard des
recherches de D'Alembert et d'Euler, ne pourrois-je point ajouter que s'ils ont connu ces
développements, ils n'en ont fait qu'un usage bien imparfait,
car ils étoient persuadés
l'un et l'autre qu'une fonction arbitraire et discontinue ne pourroit
jamais être résolue en séries de ce
genre."
Fourier , Lettre à [probablement] Lagrange
Traiter l'équation à la Fourier...
Fourier
ne l'a pas fait pour ne pas dévier de son étude
de la
chaleur, mais il aurait pu appliquer facilement sa méthode
(dont
vous trouverez les détails en page suivante) au
problème
mis en équation ci-dessus. Les étapes en auraient
été:
recherche des solutions à variables
séparées u(x,t) = g(x).h(t), ce
qui conduit à deux équations
différentielles en et (à coefficients
constants);
g(x) = A sin ax + B
cos ax
doit vérifier
les conditions aux limites fixant la corde en x = 0, x = L: B =0 et
seuls
les an = nπ/L fournissent
des solutions non
nulles;
sommer
en série, ce qui vérifiera l'équation
(en admettant qu'on peut dériver terme à terme);
la
condition initiale de vitesse nulle ne laissera qu'une
série Σ Kn(sin anx). (cos
ant) ;
la conditioninitiale de
forme de la corde exigera (en
faisant t
= 0)
que f soit
la sommede
la série des des Kn(sin anx),
ce qui fixera
les Kn comme
coefficients de Fourier de f
Analyser et Synthétiser le Son
Gibson ou Fender?
Histoire
de ne pas quitter trop vite les cordes vibrantes, posons une question
de plus (avec nouveau risque de bagarres, chaque camp ayant ses
inconditionnels...)
Ȇtes-vous
Gibson ou Fender?
Kenny Burrell et sa Gibson
(à sa gauche, Harold Land)
Nice, arènes de Cimiez, 6 Juillet 1984, 21h
Foley
Mac Creary et sa Fender Solid Body (avec Miles Davis, bien
sûr)
Nice, jardins de Cimiez, 17
Juillet 1990, 23h
Le son sec, incisif, plus rock de la Solid Body
-la caisse est réduite à une planche pleine- a
peu de choses en commun -la note fondamentale, tout de
même...- avec celui plus riche, chaud, naturellement jazzy de
la
Gibson à la profonde caisse de résonance ; or les
deux se jouent avec une
amplification. Où se cache la différence? Dans la
présence ou l'absence d'une caisse de résonance,
ce qui
modifie le dosage des harmoniques, évidemment: on pourrait
le
voir sur des spectrogrammes comme ceux de la clarinette et du sax
soprano. Plus subtil encore, si vous revenez à B.B. King,
vous
noterez que sa Gibson est une "demi-caisse", d'épaisseur
moitié par rapport à celle qu'emploie Kenny
Burrell: on
peut parier pour les mêmes harmoniques, en gros, mais avec un
dosage légèrement différent.
Si vous
partez Sur la Route de
Memphis,
n'hésitez pas à faire la visite de l'usine
Gibson, c'est
très intéressant! Pour vous aider,
le Mathouriste
a sélectionné une image vous donnant les
horaires... Il
ne peut en faire plus pour vous, car les photos sont strictement
interdites une fois passée la porte.
Vous y apprendrez que le secret de sa sonorité unique
résiderait dans les 17 couches de vernis que
reçoit la
guitare. Notez qu'on nous sert souvent la même explication
pour
la sonorité inégalée des Stradivarius,
assortie d'un nombre égal de contestations de cette
affirmation.
Inutile de dire que ni les unes, ni les autres, n'ont tout
avoué
aux examens spectroscopiques poussés, nombreux et
répétés, qu'ils ont subi!
Memphis, Tennessee (USA), Night
and Day...
Pionniers de l'Analyse Harmonique du Son
Au delà de Pythagore,
Mersenne et Sauveur, ce sont des
physiciens de la deuxième mitié du
XIXème
siècle qui réalisent les premiers dispositifs
expérimentaux, avec beaucoup de mérite! Les trois
principaux sont contemporains les uns des autres: Jules Lissajous (1822-1880), Hermann von Helmholtz (1821-1894)
et Alfred Cornu (1841-1902)
Lissajous,
notamment, conçoit pour la première fois (1857)
un dispositif optique
permettant de comparer des fréquences (données
par des diapasons
différents): utilisant ingénieusement des
réflexions à angle droit sur
de petits miroirs solidaires des fourches, il fait en sorte que deux
coordonnées orthogonales x et y
soient chacune gouvernées par un des deux diapasons; ainsi
l'image
ponctuelle de la source lumineuse décrit une courbe
paramétrée, à
laquelle son nom restera désormais attachée pour
les (futurs)
électroniciens du monde entier: une courbe de
Lissajous. En comparant son travail, ses
tableaux de références -noter
l'interprétation musicale-à cette page Wikipedia,
où l'utilisation en électronique est bien
présentée, plus de doute: ce montage'est l'ancêtre
mécanico-optique de l'oscilloscope!
Cornu
(au violon) se livrant à la détermination
expérimentale des fréquences
Le dispositif
expérimental de Lissajous
Courbes
de Lissajous en fonction des rapports de fréquences (et des
déphasages)
N'hésitez pas à réaliser vous
même, grâce à ce site,
vos propres courbes de Lissajous correspondant aux intervalles musicaux
évoqués plus haut (les rapports de
fréquence vous
sont rappelés dans la page pour plus de
commodité).
Lissajous n'était toutefois que... le deuxième
à
découvrir "ses" courbes; un dispositif purement
mécanique
avait été inventé en 1815 par un
"sorcier de
Salem", l'américain Bowditch
(1773-1838), encore afin de comparer deux fréquences, mais
celles de deux pendules. Significativement, son appareil fut
dénommé harmonographe!
Construit vers 1900, mais sur le
modèle original
(Science Museum, Londres)
Exemple
d'images produites
(rapport irrationnel ou rationnel peu simple)
Un modèle plus
récent (1940) et plus précis... plus complexe
aussi! (Science
Museum, Londres)
Helmholtz écrit en 1863 une Théorie Physiologique
de la Musique,
traduite en Français dès 1868. L'ouvrage est
remarquablement pédagogique, s'efforçant de
présenter les questions abordées sous une forme
lisible
par tous, tout en ne concédant rien à la rigueur
scientifique, cherchant à expliquer et non
asséner ex
cathedra: bref, l'antiThéorie de la
Musique
à la sauce Danhauser (conçue en 1872); les
explications
mathéatiques se trouvent repoussées dans des
suppléments en fin d'ouvrage, dont le lecteur peut disposer
à sa guise suivant son niveau d'études.
Savourons,
à titre d'exemple, sa présentation de la
sinusoïde,
courbe de base pour comprendre toute la physique vibratoire:
"[...]
ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de tendre le papier sur
un
cylindre, auquel un mouvement d'horlogerie imprime une
rotation
uniforme. On humecte le papier, et on le fait passer sur une flamme de
térébenthine, de manière à
le couvrir de
noir de fumée; on peut alors facilement y tracer des traits
déliés avec une pointe d'acier fine, un peu
arrondie. La
figure [a] été exécutée
par un diapason, sur le cylindre tournant du phonotaugraphe de MM.
Scott et König. "
Helmholtz, Théorie
Physiologique de la Musique (1863)
le fameux phonotaugraphe
eregistrement du diapason,
reproduit et commenté
Il paie tribut à Lissajous quand il étudie les
cordes
frottées (ex: le violon), créant ce qu'il nomme
"microscope à vibrations" grâce auquel il observe
un petit
grain placé sur la corde: une coordonée est
donnée
par la vibration d'un diaposon portant une loupe, l'autre par
celle de la corde.
"On
n'a encore donné aucune théorie
mécanique
complète du mouvement des cordes
ébranlées par
l'archet, parce qu'on ignore la façon dont l'archet agit sur
le
mouvement. Je suis arrivé cependant, dans la limite du
possible,
en m'appuyant sur une méthode particulière dont
le
principe a été trouvé par un physicien
français, M. Lissajous, à observer
la forme de
vibration d'un point isolé de'une corde de violon, et au
moyen
de cette forme qui est relativement très simple,
à
déterminer le mouvement de la corde entière et
l'intensité des harmoniques."
Helmholtz, Théorie
Physiologique de la Musique (1863)
Stéphane
Grappelli
Nice-Cimiez, 17/07/1987, 23h
un modèle de
"Microscope à vibrations" (Musée
d'Histoire Naturelle, Lille)
...le même, dans son
Traité d'Acoustique, avec les fiures engendrées
Et c'est plus loin Fourier à qui il rend hommage!
"La multiplicité des
diverses formes de vibration qu'on peut obtenir ainsi en composant des
vibrations pendulaires n'est pas seulement extraordinairement grande;
elle dépasse toute limite assignable. C'est ce que le
célèbre physicien français Fourier a
prouvé
dans une loi mathématique, que nous pouvons formuler de la
manière suivante, en l'appliquant à notre sujet: toute
forme quelconque de vibration, régulière et
périodique, peut être
considérée comme la
somme de vibrations pendulaires, dont les durées sont une,
deux,
trois, quatre, etc... fois moins grandes que celle du mouvement
donné. [...] Les
amplitudes des
vibrations simples composantes [...] peuvent être
déterminées, ainsi que l'a montré
Fourier, par des méthodes de calcul
particulières
qui ne comportent pas une exposition élémentaire.
Il en
résulte qu'un
mouvement
donné, régulier et périodique, ne peut
être
décomposé que d'une seule manière , en
un certain
nombre de vibrations pendulaires.[...]
Il en résulte , par consééquent, que
les
considérations théoriques, par lesquelles les
mathématiciens ont été
amenés tout d'abord
à ce mode de décomposition des vibrations
composées, ont un fondement réel dans la nature
des
choses."
Helmholtz, Théorie
Physiologique de la Musique (1863)
On lui doit la conception de résonateurs,
sphériques à l'origine,
parfois cylindriques comme dans les modèles ci-contre,
construit par Rudolf Koenig
(1832-1901) : chacun a sa fréquence propre de vibration,
réagissant à
la seule harmonique correspondante d'un son composé.
Derrière
l'appareil, pour chaque résonateur, une capsule
manométrique réagit à
la variation de pression, plus forte si le résonateur est
sollicité par
une harmonique correspondante, et agit sur le débit de gaz
qui alimente
une flamme; sur la droite de l'appareil, un prisme tournant,
animé
d'une rotation régulière, permet de visulaiser la
hauteur de flamme en
fonction du temps. C'est donc l'un des
premiers analyseurs de
Fourier construit, et il est dédié
au son!
Analyseur de Koenig, avec 14
résonateurs de Helmholtz (Musée
d'Histoire Naturelle, Lille)
"Ces
vibrations composantes du mouvement de l'air, se manifestent donc comme
exerçant une action dans le monde extérieur,
indépendamment de l'oreille et de la théorie
mathématique.Il
en résulte , par conséquent, que les considérations
théoriques, par
lesquelles les mathématiciens ont été
amenés tout d'abord à ce mode de
décomposition des vibrations composées, ont un
fondement réel dans la
nature des choses."
Helmholtz, Théorie
Physiologique de la Musique (1863)
Voilà de quoi être en...harmonie avec le vibrant
plaidoyer par lequel Fourier introduit son ouvrage:
"L'étude
approfondie de la nature est est la source la plus féconde
des
découvertes mathématiques.
Non
seulement cette étude, en offrant aux recherches un but
déterminé, a l'avantage d'exclure les questions
vagues et
les calculs sans issue; elle est encore un moyen assuré de
former l'analyse elle-même, et d'en découvrir les
éléments qu'il nous importe le plus de
connaître,
et que cette science doit toujours conserver: ces
éléments fondamentaux sont ceux qui se
reproduisent dans
tous les effets naturels."
Fourier,Discours Préliminaire
à la Théorie Analytique de
la Chaleur
(1822)
Les Débuts de la Synthèse
Koenig
est probablement le premier à avoir
réalisé
à la fois
des instruments
mécaniques d'analyse et de synthèse harmonique.
Helmholtz
a décrit au début de son livre des
sirènes, dont
le son est produit par un disque perforé tournant dans un
flux
d'air soufflé. Le modèle
réalisé par Koenig
sculpte le son grâce à son bord... qui est le graphe
d'un polynôme trigonométrique, enroulé
sur le bord du disque
-périodicité garantie. Sans doute n'y a-t-il que
3
termes... mais qui peut dire mieux, en matière
d'antériorité?
description de
sirènes dans le traité d'Helmholtz
disque d'une sirène
conçue par Koenig (Musée
d'Histoire Naturelle, Lille)
Aujourd'hui, synthétiser se fait avec un...
synthétiseur. Mais avant?
D'abord, l'instrument acoustique
poussant
le plus loin le principe de
synthèse harmonique est l'orgue. Il suscite
l'intérêt théorique de ... Mersenne et
Bernoulli,
comme par hasard. Et, ô surprise, voyez
qui, en 1865, est responsable du rapport sur la
rénovation
de l'orgue de Saint Sulpice, à Paris!
St Sulpice: rapport de
Lissajous, son tableau des possibilités combinatoires
Néanmoins, s'il
réalise, par sa mécanique de tirettes,
l'utilisation
simultanée de plusieurs tuyaux, il faut bien remarquer qu'il
s'agit d'une
synthèse de sons dont chacun est déjà
composé: aucun tuyau n'émet un son pur,
sinusoïdal.
Or, un
synthétiseur de sons sinusoïdaux a bel et bien
existé,
avant l'époque des circuits intégrés,
dès
le temps héroïque des amplis à lampes:
c'est l'orgue Hammond,
conçu en 1934, dont le modèle phare B3,
a fait les
belles heures des églises baptistes et des petits combos
jazz
des années 1950-60. Avec son pivot central "The Incredible"
Jimmy Smith: tendez une petite oreille (et un petit oeil) à Organ
Grinder's Swing
avec Kenny Burrell à la guitare, pour vous remettre en
mémoire les cordes vibrantes à la Gibson,
ou le non
moins emblématique Midnight
Special.
Avant, il y a Milt Buckner et Wild Bill Davis, après, en
digne
fils spirituel, le jeune et bouillant Joey de Francesco (un excellent concert en compagnie de
David Sanborn au sax alto)...
Jimmy Smith...
Nice, jardins de Cimiez, 16 Juillet 1993, 23h
... et son B3, ventre ouvert
pour aérer les tubes! (c'est chaud, Nice,
l'été... )
Nice, jardins de Cimiez, 15
Juillet 1983, 18h
L'idée géniale est de construire tous les sons à partir d'une
sinusoïde pure par excellence: celle du courant secteur
(60Hz aux USA). Au dessus de chaque touche, des tirettes (bien visibles
sur le Midnight Special
recommandé,
et encore mieux avec Joey de Francesco -le clavier
est souvent filmé en gros plan) permettent d'ajouter
à
chaque son des harmoniques choisies, chacune avec 8
possibiltés
de niveau différentes! C'est donc la mise en œuvre
exacte
de la synthèse de Fourier, l'instrument qui est le plus
proche
de sa théorie! Après quoi, vous n'oserez plus
jamais prétendre que Fourier, ça ne swingue pas...
Analyse et Synthèse: d'autres Machines
Extraordinaires!
L'ampleur des
calculs
nécessités par
l'évaluation des coefficients
de Fourier, ainsi que leur caractère fastidieux, ont
fortement
motivé la recherche d'une automatisation -dans un premier
temps,
une mécanisation- de ces calculs.
Un premier et magnifique exemple
est celui des calculateurs de marées de Lord
Kelvin:
vous pouvez vous y rendre sans plus attendre puisqu'il s'agit seulement
de manipuler des polynômes trigonométriques et non
des
séries; une machine effectue l'analyse, une autre la
synthèse.
Un second, tout
aussi fascinant, est une machine construite en 1897 par Albert Michelson (le
célèbre physicien de l'expérience éponyme,
démontrant l'invariance de la vitesse de la
lumière): elle peut effectuer à
elle-seule l'analyse et et la synthèse!
Son fonctionnement est présenté en
détails dans cette excellente préesntation
vidéo de Bill Hammack:
Cette
première machine
peut sommer 20 termes, ou calculer 20 coefficients de Fourier; mais
fort de son succès, Michelson put obtenir les financements
pour
en construire une à 80 termes dès
l'année
suivante. Machine avec laquelle, grâce aux graphes
tracés,
il a peut-être pris conscience de ce que l'on appelle le phénomène
de Gibbs..En tout cas, il a suscité
l'intervention et la clarification donnée par Gibbs. Il n'était
que... le second, mais l'article premier, publié en en 1848
par Henry Wilbraham, était
passé inaperçu en dépit de sa
clarté.
"Ce n'est pas de la Musique, c'est du Bruit !!! "
Que de fois cet anathème n'aura-t-il pas
été
lancé! Beethoven, Berlioz, Stravinski ou Varèse
en savent
quelque chose, leur seule faute étant d'avoir
écrit de la
musique contemporaine (étonnant, non?) et même
pire: en
avance sur leur temps.
Mais disposons nous d'un critère objectif et scientifique
pour
distinguer les deux? Déjà, Helmholtz tente de
répondre, toutefois assez lucide pour affirmer le
caractère flou et subjectif de la frontière:
"La
première et la plus importante différence entre
les
impressions auditives, est celle qui existe entre les bruits et les
sons musicaux.
Le
bourdonnement, le gémissement, le sifflement du vent, le
murmure
de l'eau, le roulement d'une voiture sur le pavé, sont des
exemples de la première espèce de sensation
auditive, les
sons de tous les instruments de musique donnent l'exemple de la seconde
espèce. Le son et le bruit peuvent, il est vrai, s'associer
dans
des rapports très variables, et se
confondre dans la transition de l'un à l'autre, mais les
extrêmes sont très nettement
séparées. [...] Une sensation
musicale apparait à l'oreille comme un son parfaitement
calme, uniforme et invariable. [...]
Il lui correspond, par conséquent, une sensation simple
d'une
nature régulière, tandis que, dans un bruit, de
nombreuses sensations auditives sont
irrégulièrement
mélangées, et se heurtent l'une à
l'autre. On peut
effectivement composer un bruit avec des sons, par exemple, en
frapppant à la fois les touches d'un piano comprises dnas
l'étendue d'une ou deux octaves. D'après cela, il
est
évident que les sons musicaux constituent les
éléments simples et réguliers des
sensations
auditives."
Helmholtz, Théorie
Physiologique de la Musique (1863)
Et à une extrême, justement, il y a le bruit blanc,
souvent utilisé par les acousticiens pour faire des mesures
pratiques, qu'il s'agisse de qualité des salles de concert
ou
d'isolation phonique des logements. Il s'agit d'une émission
sonore où toutes les fréquences sont
présentes,
(presque) au même niveau. Le ressenti à l'oreille
est un
bruit totalement neutre (alors que le bruit de la mer, ou celui d'une
salle de concert pendant que le public s'installe, fournissent
à
l'oreille assez d'éléments pour les distinguer,
et les
identifier: il y a mélange, excès de
fréquences
entendues, certes, mais les inégalités de leurs
amplitudes permettent de les typer). Pourquoi
blanc,
au fait? Par analogie avec la décomposition de la
lumière
blanche, réussie par Newton à l'aide d'un prisme:
tout le
spectre des longueurs d'onde audible est
présent dans l'un comme tout le spectre
des radiations visibles dans l'autre! C'est d'ailleurs Newton qui
emploie le premier ce mot dans une lettre à Oldenburg
(19/02/1672) et l'officialise dans son Optique (1704)
Spectre d'un bruit blanc,
visualisation dans le logiciel Audacity:
les fréquences sont en abcisses, leurs intensités
en ordonnée. Elles sont toutes là!
Newton séparant la
lumière blanche
(National Galery of Portraits,
Londres)
Sur la vie du mot spectre
en physique, puis en mathématiques, on pourra consulter cet article de J. Mawhin; autre
agréable introduction (où l'on reparle de cordes
vibrantes...), celui de San Vu Ngoc sur le site
Images des Mathématiques (CNRS). Si, en
mathématiques, le spectre désigne aujourd'hui l'ensemble des valeurs propres,
il le doit justement aux modes
propres de vibration!
La Musique des Spectres
Un courant de musique du XXème siècle, né vers 1970, a fait de l'étude fine du son par son spectre un principe de base pour la composition;
et de l'analyse par ordinateur un outil fondamental. Le son comme
matériau avait déjà suscité l'intérêt de deux grands maîtres de cette
époque, Olivier Messiaen, et, plus encore, Edgard Varèse,
le premier à mêler électronique et instruments habituels dans sa
scandaleuse (à l'époque) et célébrissime (aujourd'hui) partition, Déserts
(1954). Mais c'était encore trop tôt pour tirer parti de l'ordinateur.
La génération suivante arrive au bon moment: en janvier 1973, les
compositeurs Tristan Murail, Michaël Lévinas et Roger Tessier, qui viennent de se rencontrer à la Villa Médicis, fondent un ensemble, L'Itinéraire, dédié à la création contemporaine. Ils sont rapidement rejoints par Hugues Dufourt et Gérard Grisey. Un courant, qui est aussi une alternative au sérialisme en vogue, voit le jour: celui de la musique spectrale,
expression forgée par Hugues Dufourt. Sollicité par l'auteur de ces
lignes pour apporter son soutien à l'érection d'une nouvelle statue de
Fourier à Auxerre, Hugues Dufourt lui a fait la surprise d'offrir, pour
les 250 ans de Fourier, un texte ample et original sur ce qui le lie à
Fourier: vous pouvez le télécharger ici.
En outre, en utilisant des sonogrammes,
qui déploient la musique selon deux axes, lle temps (horizontalement)
et les fréquences (verticalement), l'intensité dans chaque composante
étant marquée par le niveau de gris, ils ont été pionniers (avant les
mathématiciens!) des atomes temps-fréquences si essentiels dans la théorie de l'analyse multirésolution... qui n'est autre qu'un des remarquables prolongements de l'analyse de Fourier!
sonogramme d'un Do 130Hz, suivi d'un Sol 200Hz, joués sur un alto.
source: ce document, qui présente la musique spectrale.
Remarque: quand la Physique
permet d'éviter (temporairement) les douloureux
problèmes de Mathématiques:
Notre oreille est limitée: nous ne percevons
les fréquences qu'entre 20Hz et 20000Hz.
Il en résulte que pour elle, toute série (somme
infinie d'harmoniques) se
réduit physiologiquement à une somme finie.
Alors, tous les problèmes mathématiquement ardus:
la série converge-t-elle? (soit: peut on donner un sens raisonnable
à une somme infinie?)
peut-on la dériver
terme à terme
comme une brave et honnête somme finie, ce qui est utile
à la
vérification de l'équation? (hélas, la
réponse est non, quoiqu'il ait
fallu du temps pour s'en apercevoir)
se trouvent évacués "en
pratique". Revers de la médaille, la forme initiale de la
corde, par
exemple, ne sera pas forcément représentable par
une somme finie...
mais représentable avec un certain degré
d'approximation, très
certainement: les lecteurs qui le connaissent savent que le
théorème
d'approximation trigonométrique de Weirstrass peut voler
à notre
secours.
Cette remarque peut vous aider (si vos connaissances
mathématiques n'ent sont pas encore là...)
à faire
temporairement comme si ces difficultés
n'existaient pas,
en lisant la théorie de Fourier. Ne soyez pas dupe, il
faudra y
revenir... un peu plus tard, mais ce n'est pas une raison pour se
priver du plaisir de parcourir cet ouvrage exceptionnel.
Fourier et les Ondes: la Musique ne
s'arrête pas là!
Au terme de cette introduction, vous devez pouvoir (l'auteur
l'espère) aborder plus facilement notre lecture commentée
de la Théorie
Analytique de
la Chaleur.
À moins que vous ne préfériez
poursuivre en
musique! Mais comme il y aura un peu plus d'équations, nous
y
avons consacré une page distincte. N'ayez pas peur pour
autant,
ce sera avec modération! Et vous n'allez quand
même pas
passer à côté de liens vers
d'excellents
concerts... allez, un petit sommaire pour vous
allécher:
Pourquoi
les Tambours sont-ils circulaires?
Quelles
équations pour les cymbales?
My Favourite
Things...
(Clarinette ou Sax Soprano?)
John Coltrane
Capture d'écran, lien vers la vidéo dans la page
suivante.
Le Mathouriste n'oublie pas sa
promesse initiale; c'est dans cette deuxième page que la
résolution du problème clarinette vs sax soprano
sera traitée.
Et elle est maintenant
disponible, avec des suppléments surprise!