équation | périodes des constituants | période | |
exemple 1 | f(t) = 2 sin (t/6) + 3 sin (t/8) | T1 = 12 π ;.T2 = 16 π | .T = 48π |
exemple 2 | f(t) = 2 sin t + 3 sin (t √2) | T1 = 2 π ; T2 = √2 π |
NON |
Le
cas des marées s'apparente à notre exemple 2, sauf qu'il
y a
beaucoup plus de termes, 7 à 10 dans la théorie de
Kelvin, une
quarantaine, voire une une centaine dans les modèles
utilisés
aujourd'hui dans les ordinateurs. Chacun correspond à une
influence
diurne ou semi-diurne (c'est à dire se manifestant deux fois par
jour)
de la lune ou du soleil: les facteurs prépondérants
viennent du
mouvement moyen des deux astres (mouvement apparent dans le cas du
soleil), mais des corrections concernent chacun d'eux et sont
responsables de termes d'importance décroissante, pris en compte
ou négligés suivant la précision recherchée. Voici, à gauche, les dix facteurs d'influence retenus par Kelvin pour construire son prédicteur; à droite, la table numérique des caractéristiques relevées pour un port des U.S.A., Bridgeport (Connecticut); les termes y sont classé par amplitude décroissante. Le terme prépondérant est, sans surprise, celui du à une rotation circulaire de la lune autour de la terre, noté M2; il se lit: M2 = 3.185 cos (28.984 t - 127.24)
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T: rotation terrestre (sur son axe) h: rotation terrestre (autour du soleil) s: rotation lunaire (autour de la terre) p: précession du périgée lunaire |
Remarque: cette théorie a été étendue à des séries, donnant naissance au concept de fonction presque périodique, inventé (1923) et étudié par Harald Bohr (Danois, 1887-1951). Attention, un Bohr peut en cacher un autre: il souffre un peu de l'ombre du prix Nobel (en Physique) de son frère Niels (1922)!
Au sens de Bohr, une fonction presque périodique est une limite uniforme de "polynômes triginométriques" du modèle ci-dessus. On peut les développer en série, conserver les formules de calcul des coefficients ci-dessus; ils prennent alors logiquement le nom de coefficients de Fourier-Bohr. On conserve aussi une formule de Parseval. Niels et Harald (photo sur le site du Niels Bohr Institute)
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Lord Kelvin, Texte de Présentation de l'Analyseur Harmonique des Marées in Mathematical & Physical Papers, vol. 6 (Cambridge University Press), pp. 272-297 |
Kelvin, un enregistrement et le dispositif "Disque-Sphère-Cylindre".
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Les Détails Techniques de l'Intégrateur (Calcul Mécanique des Coefficients de Fourier-Bohr)
Le disque tourne à une vitesse x(t) proportionnelle à une primitive de sin ωj t ou cos ωj t, le centre de la sphère (guidé par une fourche) étant maintenu à une distance proportionnelle à h(t) de celui du disque. L'inclinaison à 45° de ce dernier, qui saute aux yeux, n'a d'autre utilité que d'optimiser l'appui des surfaces les unes sur les autres, de manière à engendrer un roulement sans glissement. Lequel permet d'écrire l'égalité des vitesses tangentielles sur deux surfaces en contact:
Sommant ces variations infinitésimales, la variation d'angle totale de est donc bien proportionnelle à l'intégrale de h(t) x'(t) , soit à h(t).cos ωj t ou h(t).sin ωj t selon le cas. Restent encore deux détails techniques à régler. En premier lieu, comment obtenir une vitesse de rotation proportionnelle, non à t ou nt, mais à leur sinus (ou cosinus)? Kelvin emploie pour cela un mécanisme de crémaillère décrit avec plus de détails ci-dessous; pour le résumer, un mouvement de rotation uniforme en t fournit par projection un mouvement harmonique de translation (ie proportionnel à sin t), que la crémaillère sur roue dentée retransforme en rotation à cette vitesse.
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Données à approcher | Qualité de l'approximation retenue |
analyseur à 5 termes (source inconnue) |
"Le
but est de prédire les marées pour n'importe quel port
pour lequel les composants de la marée ont été
déterminés par l'analyse harmonique à partir de
relevés : non seulement de prévoir les horaires des
hautes et basses eaux, mais la
profondeur à n'importe quel instant, de manière à
pouvoir la représenter par une courbe continue, pour un an,
voire un nombre d'années fixé à l'avance." Lord Kelvin
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Le cas, par sa difficulté, exige que soit réalisé exactement, pour chaque centre de poulie un mouvement vertical harmonique, c'est à dite en Asin ωt .
C'est pourquoi il aborde ce point au tout débur de la partie III, consacrée à l'appareil prédicteur... pour dire que c'est un problème fort classique, pour lequel il renvoie au célèbre traité dont il est cosignataire: W. THOMSON, P. TAIT, Treatise on Natural Philosophy, vol. 1, part 1 Dans cette référence, le mouvement rectiligne harmonique est engendré comme cas particulier d'une hypocycloïde (voir ci-dessous). Son article sur la machine prédictive signale, sans le moindre schéma, un système de came dont la rainure réalise la projection orthogonale H d'un boulon B, fixé sur un disque tournant uniformément à la vitesse ωt, sur l'axe qui porte le mouvement vertical. H a donc pour coordonnée sur cet axe Asin ωt (ou Acos ωt ): c'est la simple traduction mécanique de la définition du sinus (ou du cosinus)! |
sinus mécanique... d'après une image de Wikipedia, article: Tide Predicting Machine |
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Dans le Treatise on Natural Philosophy, une hypocycloïde un peu particulière! |
Ultime trésor mathématique de la machine, Kelvin revient sur l'approximation rationnelle des rapports de vitesses angulaires. Mais non seulement la liste est ici plus longue que dans la section relative à l'Analyseur, mais l'auteur se fait plus précis sur la méthode employée pour déterminer ces valeurs: il affirme avoir utilisé les convergents ( "converging fractions") des développements en fractions continues. Certes, la technique n'est pas nouvelle, puisqu'elle est attestée depuis la Grèce antique (Mécanisme d'Anticythère). Mais il est toujours sympathique de voir une nouvelle application horlogère d'un principe simple et performant, où les mathématiques démontrent leur efficacité en évitant de longs tâtonnements. |
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Page recomposée à partir de W. THOMSON (Lord KELVIN), Mathematical & Physical Papers, vol. 6 pp 294-295 |
"La machine peut sans difficulté être actionnée à une vitesse suffisante pour assurer en quatre heures le tracé de la prévision des marées pour un an, et ce pour n'importe quel port." Lord Kelvin
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Quelques captures d'écran: où l'on voit les poulies monter et descendre! |
la machine n°2, USA 1912
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Elles n'ont été réformées qu'entre 1965 et 1970 lors de la montée en puissance des ordinateurs (mémoire ET calcul); auparavant, la "deuxième machine" des USA, mise en service en 1912, tenait, avec ses 37 constituants et sa double rangée de poulies calculant simultanément les marées haute et basse, la dragée haute aux futurs géants du calcul électronique: |
"Pendant la décennie 1950-1960, les programmes de prédiction des marées qui tournaient sur l'IBM 350 ou l'IBM
1620 mettaient plus de temps à fournir leurs résultats que la machine
mécanique dont on tournait la manivelle à la main, et c'était
profondément déprimant pour les gens d'IBM qui y travaillaient . " |
La Machine de Kelvin et le D-Day (6 Juin 1944)Un très intéressant article de Bruce Parker (sur le site Physics Today)
dévoile à tout lecteur capable de lire un article
généraliste en Anglais le rôle important
joué, pour optimiser le choix de la date du
Débarquement, par la machine de Kelvin (et l'originale de
1872, sil vous plaît! - Il est vraie "doppée" en 1942 pour
traiter 26 composantes pluôt que 10) et une machine conçue
par Roberts en 1906. Les deux machines avaient été le
plus possible éloignées l'une de l'autre dans le
bâtiment de l'Amirauté afin de limiter les risques en cas
de bombardement, et, concernant les ports anglais, l'Amirauté
disposait de deux ans de résultats d'avance.
Une note de 1943 demanda le
calcul urgent de prévisions d'Avril 1944 à Juillet
1944... pour un point désigné par le nom de code: Position Z. N'étaient fournies que les pulsations d'origine astronomique ωj relatives au lieu... certainement le meilleur moyen de le tenir secret! Ces constantes sont désignées par leur nom habituel, on le voit ci-contre.
Mais... comment celles-ci avaient-elles été obtenues? L'Amirauté Britannique en disposait pour Le Havre et Cherbourg, mais une interpolation linéaire semblait hasardeuse, pour ne pas dire vouée à un éche certain. Ce point d'histoire n'a pas été totalement divulgué; l'interpolation a sans doute été faite "au feeling" au vu des terrains côtiers, des courants... et des quelques maigres observations nocturnes glanées lors de misions de reconnaissance à hauts risques. Toujours est-il que le verdict tomba du cuivre des machines de Kelvin: 5, 6 ou 7 Juin! On sait que la météo du 5, très mauvaise, et l'espoir d'une légère amélioration, firent reporter la date du 5, choisie par Eisenhower, au 6. |
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Note demandant le calcul (d'après une image de l'article de B. Parker)
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"J' étais rempli de la plus profonde admiration pour la splendeur et la poésie qui émanaient du livre de Fourier. [...] Aussi, le 1er Mai, le jour même où les prix furent remis, j'empruntais son ouvrage à la bibliothèque de l'Université et je le dévorais sans relâche; en une quinzaine, j'en maîtrisais la matière. " Lord Kelvin
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Aujourd'hui,
les composantes principales de la marée dans un port quelconque
peuvent être facilement repérées en analysant les
données (hauteurs fonctions du temps) grâce à la...
Transformation de Fourier. Celle-ci déterminera les fréquences essentielles (en abcisse sur le graphique ci-contre) qu'il sera facile d'identifier avec leurs habituels noms de code, et l'importance de leur contribution (en ordonnée) Tout se passe comme si chaque port laisse, par transformée de Fourier, son empreinte digitale! |
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Spectre de marée, image issue de cette page (de ce site) | |
D'autres spectres de marée sur le site de l'Ifremer |
D'autres machines mécaniques plus ou moins similaires (pour les coefficients de Fourier)Un premier exemple
est une variante sur le principe (elle utilise une intégration
par parties) de l'analyseur de Kelvin. Elle a été
conçue par Olaus Henrici (1840-1918), présentée par lui-même (1894) ou décrite dans ce document (Dayton Miller in Journal of the Franklin Institute,
vol 182, n°3 [1916], pp.285-322). Cette machine calcule 30 paires de
coefficients, mais certains modèles pouvaient aller jusqu'à 100, ainsi
celui de la DGA au Bassin des Carènes à Rouen (voir l'ouvrage d'E.
Hébert dans les références ci-dessous).
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Un second et fascinant exemple est une machine construite en 1897 par Albert Michelson (le célèbre physicien de l'expérience éponyme, démontrant l'invariance de la vitesse de la lumière): elle peut effectuer à elle-seule l'analyse et et la synthèse! Son fonctionnement est détaillé en détails dans cette excellente préesntation vidéo de Bill Hammack:
Elle est complétée par cette description. Michelson a voulu éviter
la sommation par le câble, qui entrainait trop d'erreurs si l'on
augmentait le nombre de termes, d'une part, et produire les mouvements
harmoniques de base en utilisant des ressorts, d'autre part. Cette
première machine
pouvait sommer 20 termes, ou calculer 20 coefficients de Fourier; mais
fort de son succès, Michelson put obtenir les financements pour
en construire une à 80 termes dès l'année
suivante. Machine avec laquelle, grâce aux graphes tracés,
il a peut-être pris conscience de ce que l'on appelle le phénomène de Gibbs.
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