"C'est l'arrivée à Grenoble, le 18 avril 1802, de Joseph Fourier, le nouveau préfet de l'Isère, qui fut vraiment déterminante pour la vocation égyptienne du jeune Champollion. Comme tous les participants de l'expédition orientale de Bonaparte, qui se nommaient entre eux les "Égyptiens",
le célèbre physicien et mathématicien montrait désormais un véritable
engouement pour tout ce qui touchait à l'Égypte. N'avait-il pas, en
Haute-Égypte,
dirigé une commission de savants envoyée par Bonaparte pour inventorier
les monuments et, au Caire, tenu le poste de secrétaire perpétuel de
l'Institut d'Égypte?" Michel Dewachter, Champollion, un scribe pour l'Égypte, Gallimard
|
"Au
nom de Dieu, écris moi donc et donne-moi ta parole d'honneur
que tu ne suivras pas une troupe d'hommes de talent, dont Berthollet
est à la tête, qui partent incessament. Le
mystère
qui environne ce voyage est bien extraordinaire [...] Berthollet a fait
des recrues dont Costaz, Perrier jeune, Dolomieu, et une
quantité d'autres hommes de cette tournure. [... ] Nous nous
perdons en conjectures sur ce voyage des modernes Argonautes.
Eschasérriaux dit qu'il n'y a que
l'Egypte qui puisse
attirer des voyageurs de cette espèce [...]" lettre
du 18 Mars
1798
"Toutes les personnes qui prennent engagement pour en être ne savent où elles vont. Le citoyen Fourier en est aussi[...] Quel que soit le but de ce voyage, il ne peut être que fort long et dangereux. Berthollet est aussi discret qu'il faut l'être en pareil cas. J'ai eu beau lui faire boire du vin de Champagne, je n'ai rien obtenu." lettre du 6 Avril
1798
|
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Buste
de Talleyrand Musée du Château de Versailles |
Buste
du général Bonaparte Musée Carnavalet, Paris |
"Enfin le 30 germinal (19 avril) le général Berthier me délivra un passeport pour Lyon sous la qualification de géomètre, à la suite de laquelle M. Fourier écrivit adjoint, petite faiblesse d'un homme supérieur.
À Lyon, ce passeport fut visé pour Marseille et Toulon." |
"J'avais conservé mes cahiers de l'École Polytechnique; je vais constater ici où en étaient les études après dix-huit mois de travail à cette École. [...]
Mes notes, prises aux leçons, allaient jusqu'au 24 Prairial, c'est à dire six jours avant mon départ pour l'Égypte. À ce moment-là, M. Fourier me faisait travailler en vue de notre absence, en me demandant des copies de mémoires
imprimés dans des collections académiques qu'il ne pouvait emporter;
mémoires dont il prévoyait avoir besoin, tels que la Théorie de la
Forme de la Terre, par Clairaut; les Éléments
de la Trigonométrie sphéroïde, par Euler; Essai d'une nouvelle méthode
pour déterminer les maxima et les minima, par Lagrange, etc..."
|
"Je
partis de Paris le 1er Floréal de l'an VI (20 avril 1798) dans la
meilleure diligence d'alors. Je veux dire quels étaient mes compagnons
de cette carossée: les quatre coins étaient occupés par Berthollet,
Fourier, Costaz et Descotil; le milieu des banquettes par Du Bois-Aymé et moi. [...] Partis de Paris le 1er Floréal à 9 heures du matin, nous ne sommes arrivés à Lyon que le 5 au matin. Nous avons mis quatre vingt douze heurs pour faire cent vingt lieues de poste.[...] Dès le lendemain, 6 Floréal, nous repartons à 6 heures du matin dans un bateau-poste. En passant à Vienne, notre curiosité nous entrâîne vers le temple de Jupiter, qui se dresse encore dans cette ville. Il est d'ordre corinthien et et les proportions en sont belles. il est peint aux trois couleurs et sert de leiu de réunion aux sociétés populaires.[...] Le 7 Floréal, nous nous embarquons à 8 heures du matin; toute la matinée, nous longeons les côtes du Rhône les plus célèbres par leurs vins.[...] Sur cette barque du Rhône, nous étions environ vingt-cinq jeunes gens tous pour "l'armée d'Angleterre". À Condrieu, Costaz fit une provision de vin qui égaya beaucoup le voyage...." |
Nelson
(Trafalgar
Square, Londres)
|
Sous
la menace de Nelson: partie de cache-cache naval en Méditerranée |
"11 Messidor. Je conçois des inquiétudes sur ma destination en Égypte, ne comprenant pas trop à quoi peut servir un géomètre dans une expédition semblable. Je communique mon inquiétude à M. Fourier
et à M. Norry, architecte. Ce dernier me tranquilise en me faisant
apercevoir les services que je puis rendre sous divers rapports. Il le
fait avec tant de bienveillance que, toute ma vie, j'en conserverai le
souvenir. Le 12. [...] À midi, nous voyons l'Afrique. Le 13. À notre réveil, Alexandrie est en vue. On commande le branle-bas. L'ordre arrive de débarquer les troupes.[...] La mer est très forte, la côte semée de rochers; plusieurs accidents se produisent. " Édouard de Villiers du Terrage, Journal et Souvenirs sur l’Expédition d’Égypte : 1798-1801, Plon
|
"Quatre
palais contigus, entourés de magnifiques jardins, ont été
réquisitionnés dans le quartier de Nasrieh pour pouvoir réaliser le
grand projet de Bonaparte: un Institut
d'Egypte , sur le modèle de l'Institut national. Il
s'agit de travailler au bord du Nil comme on le ferait au bord de la
Seine. La science française est en quelque sorte décentralisée. Cette
académie coloniale sera «la maîtresse favorite du général», selon des
militaires ironiques."
Robert Solé,
Les Savants de Bonaparte (Seuil, 1998) |
Maison de l'Institut, "Beit El-Séhémi" [ pour d'autres images de l'Institut dans l'ancien Caire, voir le site www.egyptedantan.com et particulièrement cette page ] |
Entrée
de Bonaparte à l'Institut: le président Monge, le bras tendu, lui fait
l'honneur des lieux. Derrière lui, Conté, avec son célèbre bandeau sur
l'œil. Derrière Bonaparte s'avancent, d'abord Berthollet, puis deux personnages en parallèle: au premier plan, Costaz, un peu rond, qu'on reconnait à ses lumettes. Au second plan, à ses côtés, marche Fourier (probablement). Enfin, le général Caffarelli (avec la jambe de bois) et le minéralogiste Dolomieu (très grand) |
"
Dès la première séance, le 23 Août, le général en chef pose six
questions à ses collègues: comment perfectionner la cuisson du pain?
Peut-on trouver un substitut au houblon pour fabriquer de la bière?
Estim possible de clarifier et de rafraîchir l'eau du Nil? Fautil
construire au Caire des moulins à eau ou des moulins à vent?
Comment fabriquer le la poudre avec les moyens locaux? De quelles
réformes auraient besoin le système judiciaire et l'enseignement en Égypte?"
Robert Solé, Les Savants de Bonaparte (Seuil, 1998)
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"Séance du 21 fructidor an VI. Fourier lit un mémoire sur la résolution générale des équations algébriques. On voit que, sur les bords du Nil, il s’occupait toujours du problème qui l’avait tant exercé à Auxerre et à l’École polytechnique, et ceci nous rappelle ce que nous a dit M. Navier, que plusieurs de ses mémoires sur les équations algébriques sont écrits avec de l’encre et du papier évidemment fabriqués en Égypte. [...]
Séance du 26 brumaire. an VII. Il lit un rapport sur l’aqueduc qui porte les eaux du Nil au château du Kaire; il détermine le temps de la construction de ce monument, et en fait la description, ainsi que des machines qui y sont employées. Séance du 6 frimaire. Il lit la première partie d’un écrit intitulé : Recherches sur la mécanique générale. [...] Séance du 16 pluviôse. Mémoire de mathématiques, intitulé : Recherches sur la méthode d’élimination. Séance du 11 messidor. Mémoire de mathématiques, qui contient la Démonstration d’un nouveau théorème d’algèbre." Victor Cousin, Notes additionnelles à l’éloge de M. Fourier
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ci-contre, deux exemples de mirage, sur la route qui relie Assouan à Abou-Simbel. Car si la présence d'eau n'est qu'une apparence trompeuse, le phénomène optique, puisqu'il est bien réel, peut être photographié! Le mémoire de Monge est à lire in extenso dans ce recueil: Mémoires sur l' Égypte, publiés pendant les campagnes du général Bonaparte, pp 64-79 À la fin du XIXème siècle, on n'a pas peur de populariser la science... une démarche à réinventer au début du XXIème ? |
Parmi les importantes "missions de reconnaissance" du pays figurent la recherche de l'ancien tracé du "canal des Pharaons" et l'expédition aux lacs de Natron. (Wadi el Natroun). La première, dirigée par Le Père et dont le souvenir est conservé sur une plaque de marbre au siège historique de la Compagnie de Suez, (ci-contre) s'accompagne d'un relevé topographique précis pour un but qui ne l'est pas moins, clairement énoncé: "Faire couper l'isthme de Suez" (12 Avril 1798). Mais le savoir-faire des jeunes ingénieurs se heurte aux difficultés du terrain : crue exceptionnelle du Nil, nécessité d'opérer en plusieurs sessions séparées, et surtout, qualité médiocre des instruments: Conté a eu beau déployer des trésors d'ingéniosité pour reconstruire des appareils en compensation des pertes suvbies lors du naufrage du Patriote, il n'a pu avec les moyens du bord et les matériaux locaux, égaler la qualité de ceux qui avaient été emportés. Fourier n'est pas de l'aventure (le géomètre du groupe est Costaz), mais il intervient pour contester la conclusion de Le Père, une différence de niveau qui place la Mer Rouge 9,918m -sic- au dessus de la Méditerranée: c'est, pour lui, comme plus tard pour Laplace à Paris, une violation des lois de la physique. Le Père a tout de même la bonne idée de suggérer un canal direct Mer Rouge/Méditerranée, plutôt que raccorder la Mer Rouge au Nil, avec un argument convaincant: ne plus dépendre des caprices de la crue du fleuve. L'idée fera son chemin... d'un Napoléon à l'autre! |
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Fourier est en revanche de l'expédition aux lacs de Natron; nous le savons par l'auteur du rapport et chef de la mission, le général Andréossy: |
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à lire in extenso dans ce recueil:Mémoires sur l' Égypte, publiés pendant les campagnes du général Bonaparte, pp 223-270, suivi d'un mémoire de Berthollet sur le Natron, pp 271-279: le chimiste a fait son travail! |
Les Mémoires présentés à l'Institut siont publiés dans un (presque...) périodique, la Décade égyptienne. Officiellement, son directeur de publication est Tallien. Mais ce "politicien professionnel", ancien journaliste, ne connaît sans doute pas grand chose aux sciences. De toutes façons, les mémoires sont donnés dans la rédaction de leurs auteurs, et c'est le le secrétaire perpétuel de l'Institut qui, en organisant ls séances, règle leur ordonnancement et qui est bien mieux à même que lui d'effectuer quelques ajustements de détail si nécessaire. |
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Ci-contre, un exemplaire conservé à la bibliothèque de l'École Polytechnique |
Fourier est à la tête d'un autre journal, dont la double fonction est de fournir autant que possible, aux Français de l' expédition, un écho des évènements en métropole et en Europe, et donner toutes les nouvelles de l'activité sur place. |
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" [29 août 1798]. Aujourd'hui a paru le premier numéro du Courrier
de l'Égypte, journal qui va être publié tous les quatre jours et nous
donnera, espérons le, des nouvelles dont nous avons fort grand besoin. Il est dirigé par Fourier." |
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Villiers a écrit machinalement, sans bien observer la manchette: car,
petite malice du directeur nommé par par le Général en Chef, Fourier a
fait écrire, cryptogramme transparent, Courier et
non Courrier,
pour mieux siginifier qui a la haute
main sur sa publication. Amusant, quand on se souvient de l'orthographe
initale de son nom, avec deux "r"! |
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La mairie d'Auxerre conserve l'exemplaire personnel du
maréchal Davout, natif de la ville comme Fourier, et son compagnon lors
de la campagne d'Égypte. Photographié sur place le jour exact des 250 ans de Fourier, il n'est pas ouvert au hasard, mais à une page capitale... |
page 1 |
page 2 | page 3 | page 4 |
source des images brutes: Gallica BnF; y
consulter l'ensemble des numéros (reliés, un volume) |
"
À dix heures du soir, les personnes présentes au palais de l'Institut
virent descendre les malles de Monge et Berthollet. Ce dernier, l'air
triste et ennuyé, vint bientôt s'asseoir au réfectoire. À toutes les
questions qu'on lui adressait il se bornait à répondre « Je ne sais
rien de la bouche du général.». Monge descendit bientôt, semblannt
aussi assez embarassé. Comme il se taisait, Costaz lui dit: «Eh bien, citoyen Monge, tiendrons-nous séances sur les ruines de Thèbes?» Monge très troublé balbutia «Oui, nous tiendrons séance à Denderah... sous.. dessus... Denderah.»[...] et il laissa échapper: «Le général va trop vite dans ses expéditions.» À onze heures il fit ses adieux. À Costaz et à Fourier qui le suivaient dans la cour en lui demandant quelques explications, Monge parla d'une absence de quatre mois, d'un voyage scientifique aux lacs de Natron et au Fayoum Mais, au moment où Berthollet était déjà dans la voiture du général, Fourier s'écria: «La Commission est alarmée de votre départ subit, que faut-il lui dire pour la rassurer? -Mes amis, dit Monge, si nous partons pour la France, nous n'en savions rien aujourd'hui avant midi»." |
"Il partit alors pour Alexandrie, et bientôt après il quitta le rivage d'Égypte. Le salut de la France, le devoir, le rappellent; il s'éloigne [...]
Sa fortune le dérobe aux flottes ennemies, et la mer, une seconde fois fidèle, rend à la patrie celui qu'elle pouvait opposer à ses plus redoutables ennemis.
Pendant toute la guerre d'Égypte et de Syrie, le général en chef n'avait point cesse de veiller aux intérêts des sciences. Ce grand objet était toujours présent à sa pensée, avant ou après la victoire, soit qu'il dirigeât les opérations militaires, soit qu'il méditât de nouvelles dispositions administratives ou politiques. [...] Les derniers jours qui précédèrent son départ, il s'occupait encore de favoriser les succès des recherches savantes, en donnant à l'académie qu'il avait formée les moyens de parcourir les provinces méridionales de l'Égypte, et d'en observer les merveilles avec sérénité. " Joseph Fourier,
Préface historique |
Alors, le citoyen Fourier, commissaire français près du divan, chargé par le général en chef d'exprimer dans ce jour la douleur commune, alla se placer [...] sur un bastion qui dominait l'armée rangée en bataille, et, d'une voie émue par la sensibilité, il prononça le discours suivant: « FRANÇAIS, Au mileiu de ces apprêts funéraires, témoignages fugitifs mais sincères de la douleur publique, je viens rappeler un nom qui vous est cher, et que l'histoire a déjà placé dans ses fastes. Trois jours ne se sont point encore écoulés depuis que vous avez perdu Kléber, général en chef de l'armée française en Orient. Cet homme que la mort a tant de fois respecté dans les combats, dont les faits militaires ont retenti sur les rives du Rhin, du Jourdain et du Nil, vient de préir sans défense sous les coups d'un assassin.[...] Et vous, Kléber, objet illustre et dirai-je infortuné de cette cérémonie qui n'est suivie d'aucune autre, reposez en paix, ombre magnanime et chérie, au milieu des monuments de la gloire et des arts! Habitez une terre si longtemps célèbre; que votre nom s'unisse à ceux de Germanicus, de Titus, de Pompée et de tant de grands capitaines et de sages qui ont laissé, ainsi que vous, dans cette contrée d'immortels souvenirs.» |
"Peu de mois après, sur le même bastion, devant les mêmes soldats, Fourier célébrait, avec non moins d'éloquence, les exploits, les vertus du général que les peuples conquis en Afrique saluaient du nom de sultan juste; et qui venait de faire à Marengo le sacrifice de sa vie, pour assurer le triomphe des armées françaises.." | |
"Homme sensible et guerrier philosophe, [Desaix] regardait le bonheur de civiliser comme le seul prix digne de la victoire; il pensait que l'on doit des respects à tous les peuples [...]
Il avait repoussé les Mameloucks ayu delà des déserts et des rochers de
Syène. Dès ce moment, il n'y eut plus de conquérant dans la Haute-Égypte,
et il eut été difficile de reconnaître s'il était le vainqueur, ou s'il
n'était point un ancien ami à qui les habitants donnaient une honorable
hospitalité.
Les lettres, qui ne perdent jamais le souvenir de ce qu'on a fait pour elles, ne laisseront pas effacer sa mémoire; il es aimait, il les a servies, elles lui doivent cette sécurité inaccoutumée avec laquelle on a observé les monuments de l'ancienne Égypte, dans des lieux où jusques avant lui l'âme était partagée entre l'admiration et le sentiment du péril de la vie . [...] Son nom a retenti sur les rives du Rhin,; il a été porté jusqu'aux rochers de la Nubie qui marquent les ancienne limites de l'empire romain; et il est inscrit en lettres immortelles sur la terre de Marengo, il est consacré par la douleur de la patrie et la reconnaissance empressées de tous les bons citoyens." Joseph Fourier, Éloge funèbre du général Desaix,
in Victor Cousin, Notes additionnelles à l’éloge de M. Fourier |
"Bonaparte confia l'examen de cette grave affaire à Fourier. Ne me proposez pas, dit-il, des demi-mesures. Vous avez à prononcer sur de grands personnages: il faut ou leur trancher la tête, ou les inviter à dîner. Le lendemain de cet entretien, les quatre cheiks dinaient avec le général en chef. En suivant les inspirations de son cœur, Fourier ne faisait pas seulement un acte d'humanité, c'était de plus de l'excellente politique." |
"Fourier ne montra pas moins d'habileté lorsque nos généraux lui donnèrent des missions diplomatiques. C'est à sa finesse, à son aménité que notre armée fut redevable d'un traité d'alliance offensive et défensive avec Mourad Bey. Justement fier du résultat, Fourier oublia de faire connaître les détails de la négociation. On doit vivement le regretter, car le plénipotentiaire de Mourad était une femme, Sitty Néfiçah [...] qui, du reste, était célèbre d'une extrémité de l'Asie à l'autre, à cause des révolutions sanglantes que sa beauté sans pareille avait suscitées parmi les mameluks." |
Vivant Denon |
Halte de l'armée française à Syène peinture de J.C. Tardieu, 1812 (musée du château de Versailles) |
détail de l'inscription |
Ca Casteix a signé tout en bas |
C'est une représentation imaginée, un peu naïve, de ce qui s'est vraiment passé, et dont le temple de Philaé conserve le souvenir:
|
|||
Un ordre assez savoureux quant au matériel dont le jeune ingénieur doit se munir! |
Villiers et son inséparable ami
Prosper Jollois ont eux aussi précédé et
motivé ces deux commissions savantes. Avec 5 autres ingénieurs et
Casteix, ils ont été réquisitionnés pour accompagner l'ingénieur des
Ponts & Chaussées Girard dans une mission utilitaire: réaliser une
étude géographique et hydraulique en vue d'améliorer l'agriculture....
mais ils vont se découvrir archéologues, au grand dam
de leur chef, d'ailleurs!
|
"Lorsque
les commissions dirigées par Costaz et Fourier arrivent en
Haute-Egypte, elles constatent l'ampleur du travail effectué par les
jeunes polytechniciens. Refera-t-on ce qui a déjà été fait? Sagement,
il est décidé plutôt de se répartir les tâches restantes, dans les
différents sites et villes de la région. Chacun -ingénieur, géomètre,
peintre ou naturaliste- choisit ses activités en fonction de ses
compétences ou de ses goûts. La hiérarchie cède la place au travail
d'équipe, et l'interdisciplinarité s'insère naturellement."
Robert Solé, Les Savants de Bonaparte (Seuil, 1998)
|
On
ne connait cependant pas
exactement de répartition du travail entre
les deux groupes. L'idée initiale était-elle de doubler
systématiquement les relevés, pour mieux se prémunir contre
d'éventuelles erreurs? Ou de travailler dans deux zones bien
distinctes?
Les textes ne mentionnent, à Dendérah, que la présence du groupe
Fourier. Si, à Philaé, seule l'équipe Costaz immortalise son passage
en inscrivant sa composition complète à l'intérieur du temple, à une
place vierge en hauteur, Jomard y étudie le mélange de grec et de
hiéroglyphes dansles inscriptions du portique; voilà qu'il avoue avoir
besoin de s'en ouvrir de suite à Fourier!: il est donc sur les lieux...
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Et pourtant, Fourier prenait des notes quotidiennes, si on en croit en de ses éminents compagnons:
que sont-elles devenues? |
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" [...] une porte de l'effet le plus imposant se présente à l'admiration des voyageurs: elle est ensevelie en partie sous les décombres, et construite avec des matériaux énormes. Au travers de cette porte, on découvre le grand temple, qui forme le fond du plus magnifique des tableaux. |
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"Le
temple de Dendérah, est encombré à l'est presque jusqu'à la hauteur des frises.
Des monticules de débris, où l'on aperçoit des pans de murailles de
briques tombant en ruine, semblent menacer de l'envahir tout entier."
|
"Denderah
m'apprit que ce n'étoit point dans les seuls ordres dorique, ionique
et corinthien, qu'il falloit chercher la beauté de l'architecture; que
partout où existoit l'harmonie des parties, là étoit la beauté. Le
matin m'avoit amené près des édifices, le soir m'en arracha plus agité
que satisfait. J'avois vu cent choses; mille m'étoient échappées :
j'étois entré pour la première fois dans les archives des sciences et
des arts. [ ...] Les
sciences et les arts unis par le bon goût ont décoré le temple d'Isis:
l'astronomie, la morale, la métaphysique, ont ici des formes, et ces
formes décorent des plafonds, des frises, des soubassements, avec
autant de goût et de grâce que nos sveltes et insignifiantes arabesques enjolivent nos boudoirs." Vivant Denon, Rapport à l'Institut du Kaire, préface de Voyage dans la Basse et la Haute Égypte
N.B: Champollion fera remarquer que "le grand temple est bien le temple de Hathor (Vénus), comme le montrent les mille dédicaces dont il est couvert, et non pas le temple d'Isis, comme l'a cru la Commission d'Égypte". Denon fait ici cette confusion; ainsi que Villiers dans la citation qui suit.. |
"Il
serait difficile de décrire tout ce que fait exprimer de sensations
diverses l'aspect de ces figures colossales d'Isis qui portent
l'entablement du portique. Il semble que l'on ait été
transporté tout à coup dans un lieu de féérie et d'enchantement;
on est, tout à la fois, saisi d'étonnement t d'admiration.
Ce que l'on aperçoit n'a aucun rapport avec les monuments de l'architecture des Grecs, ni avec ceux que le goût des arts de l'Europe a enfantés [...] et l'on contemple avec avidité un édifice qui se présente sous les dehors de la magnificence la plus importante. La seule vue des monuments de Dendérah suffirait pour dédommager des peines et des fatigues du plus pénible voyage, quand bien même on n'aurait pas l'espoir de visiter tout ce que renferme de curieux le reste de la Thébaïde. Ce temple a suscité l'admiration de l'armée qui a conquis le Sa'yd [=Haute-Égypte]; et c'était une chose vraiment remarquable de voir chaque soldat se détourner spontanément de sa route pour accourir à Tentyris et en contempler les magnifiques édifices. Ces braves guerriers en parlaient encore longtemps après avec enthousiasme, et quelque part que la fortune les ait conduits, ils ne les ont jamais oubliés [ ...] |
"Le
16 au soir, nous arrivâmes enfin à Dendérah. Il
faisait un clair de lune magnifique, et nous n'étions qu'à une heure de
distance des temples: pouvions nous résister à la tentation? [...]
Les temples nous apparurent enfin. Je n'essaierai même pas de décrire l'impression que nous fit le grand propylon et surtout le portique du grand temple. On peut bien le mesurer, mais en donner une idée, c'est impossible. C'est la grâce et la majesté réunies au plus haut degré. Nous y restâmes deux heures en extase, courant les grandes salles avec notre pauvre falot, et cherchant à lire les inscriptions extérieures au clair de lune. On ne rentra au maasch qu'à 3 heures du matin pour retourner aux temples à 7 heures. [...] Ce qui était magnifique à la clarté de la lune, l'était encore plus lorsque les rayons du soleil nous firent distinguer tous les détails. Je vis dès lors que j'avais sous les yeux un chef d'œuvre d'architecture, couvert de sculptures de détail du plus mauvais style. N'en déplaise à personne, les bas reliefs de Dendérah sont détestables, et cela ne pouvait être autrement: ils sont d'un temps de décadence. La sculpture s'était déjà corrompue, tandis que l'architecture, moins sujette à varier puisqu'elle est un art chiffré, s'était soutenue digne des dieux et de l'admiration des siècles." Jean-François Champollion, Lettres d'Égypte et de Nubie (18...) |
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"Le temple de Dendérah, en dehors de toutes ses beautés, renferme un monument d'un intérêt capital: je veux dire le fameux zodiaque circulaire découvert par Desaix et Denon. [ ...] Denon n'avait eu le temps que d'en prendre un croquis; nous voulions en avoir une représentation fidèle permettant d'étudier exactement les connaissances astronomiques des anciens Égyptiens. [ ...] Ce travail fut long et pénible; placé dans une petite chambre construite sur le haut du grand temple, le zodiaque se trouve dans une obscurité presque complète. Il nous fallut le copier, la plupart du temps avec de mauvaises lumières. Comme il est au plafond et très noirci par une sorte de fumée, pour bien discerner un signe il nous fallait souvent regarder de longs instants dans une position des plus incommodes. Nous avions commencé par le diviser en huit secteurs égaux par des fils tendus horizontalement au plafond." |
"Comme on avoit à poursuivre un ennemi toujours à cheval, les mouvements de la division ont toujours été imprévus et multipliés. J'étois donc obligé quelquefois de passer rapidement sur les monuments les plus intéressants; quelquefois de m'arrêter où il n'y avoit rien à observer. [ ...] J'ai pensé aussi qu'un artiste voyageur, en se mettant en marche, devoit déposer tout amour-propre de métier; qu'il ne doit pas s'occuper de ce qui peut ou non composer un beau dessin, mais de l'intérêt que devra généralement inspirer l'aspect du lieu qu'il se propose de dessiner. [ ...][Ces] dessins, je [les] ai faits le plus souvent sur mon genou, ou debout, où même à cheval : je n'ai jamais pu en terminer un seul à ma volonté, puisque pendant toute une année je n'ai pas trouvé une seule fois une table assez bien dressée pour y poser une règle." |
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Vivant Denon, Rapport à l'Institut du Kaire,
préface de Voyage dans la Basse et la Haute Égypte
ci-contre, un de ses dessins du temple de Denderah |
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Le Mathouriste
a, pour prendre la photo ci-contre, du imiter,
avec quelque émotion d'ailleurs, ses illustres prédécesseurs: Denon,
Villiers, Fouirer... et s'allonger à même le sol, sur le dos, avant de
pester qu'il n'y voyait rien!
Certes, c'est une copie... mais
l'a-t-on voulue fidèle au point de la noircir copieusement pour que le
visiteur éprouve les mêmes sensations que deux siècles auparavant?
|
original exposé au Louvre; deux vues encadrant la copie de Dendérah |
"L'étoile la plus brillante du ciel est Sirius, qui indique la mâchoire inférieure du grand chien. La tête a une étoile que l'on appelle Isis . On donne même le nom d'astre d'Isis à Sirius. À la fin de la bande des signes du grand zodiaque de Denderah, où se trouvent le Verseau, les Poissons, le Bélier, le Taureau, les Gémeaux et le Cancer, on voit une tête d'Isis enveloppée dans les rayons du soleil. M. Fourier explique cet emblème par le lever héliaque de Sirius, qui, à l'époque que nous considérons, arrivoit au solstice d'été, au commencement de l'année rurale des Égyptiens, et au moment de la crue des eaux" [...] |
|||
le même, dans la Description: on a retourné l'image pour mieux voir Isis dans sa barque (en haut, à gauche), décrite dans la suite de leur texte |
|||
[...] Le grand zodiaque de Denderah est le
seul où l'on voie ainsi une téte d'Isis : elle ne peut représenter la
constellation remarquable du Grand Chien, mais seulement le phénomène
particulier du lever héliaque de l'étoile d'Isis. Nous avons retrouvé
cette constellation sous une forme très-reconnoissable : elle est
au-dessous du Cancer du zodiaque circulaire, et un peu en avant du Lion. Là, en effet, on voit une vache dans un bateau , ayant une étoile
entre ses cornes. L'étoile de Sirius, ou l'astre d'Isis, est exactement
dans la même situation par rapport au Lion et au Cancer ; et l'on sait
que les attributs d'Isis sont particulièrement des cornes de vache et
un vaisseau. Le même emblème se voit encore dans le grand zodiaque de
Denderah, entre le Lion et le Cancer ; on le trouve aussi dans le petit
zodiaque d'Esné." P. Jollois, E. De Villiers, Recherches sur les Bas-Reliefs astronomiques des Égyptiens
|
"Le
génie des beaux-arts avait pris un grand essor: mais il était asservi à
des règles invariables; l'architecture avait un caractère grave et
sublime; la poésie, l'histoire, la musique, la sculppture;
l'astronomie, imprimaient la crainte des dieux, inspiraient la piété et
l'admiration. On conservait dans les temples les statues des rois et
des grands, les annales publiques, les observations du ciel; on gravait sur ces édifices le spectacle successif des révolutions des astres. Ces sculptures subsistent encore aujourd'hui, et serviront à fixer, dans l'histoire de l'Egypte, des époques ignorées jusqu'ici."
Joseph Fourier,
Préface historique |
Il faut évidemment réunir, ordonner, et présenter les riches moissons des deux commissions, et des francs-tireurs, Denon et le tandem Villiers/Jollois.Cette double tâche qu'annonce très officiellement le numéro 47 du Courier, Villiers l'apprend quelques jours plus tard, alors qu'il est en mission d'exploration vers Suez. En sa qualité de secrétaire perpétuel, c'est à Fourier de réunir ses collègues pour choisir celui qui sera chargé de la collation des textes et planches, et celui qui en écrira la préface d'un seul jet. Et qui, mieux que le secrétaire perpétuel, a le profil de l'emploi pour ces deux tâches? | ||
"L'un de nous a reçu des nouvelles de la séance de l'Institut du 1er Frimaire [21 Novembre]. Fourier a
lu une lettre que le président venait de recevoir de Kléber. Dans cette
lettre, il est dit que le Gouvernement serait heureux si tous les
citoyens français, à quelque corps qu'ils appartiennent, voulaient
réunir leur travaux sur la Haute-Égypte pour en faire un ouvrage commun. l'Institut décide donc que, pour donner à ce travail le plus d'unité et de perfection possible, Fourier devra réunir, pour s'entendre sur ce sujet, la Commission des Arts et tous les auteurs de mémoires dont on pourrait profiter. [...] Ce fut le premier point de départ de la réunion des documents qui, plus tard, ont servi à la rédaction de la grande Description de l'Egypte dont on voit que l'initiative revient sans conteste au général Kléber." Édouard de Villiers du Terrage, Journal et Souvenirs sur l’Expédition d’Égypte
|
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Champollion-Figeac
ne doute pas que la décision de rassembler tous les travaux en un
grand ouvrage ait été soufflée à Kléber par Fourier; et il donne quelques
détails sur sa désignation comme coordinateur:
Il précise que les notices sur les travaux des deux commissions, dans ce n°47 et les suivants, sont de Fourier, dont il reconnaît le style et les tournures. |
La Description
de l'Egypte, et
le meuble de rangement spécialement conçu pour
l'ouvrage.
Exposition au Musée de
l'Armée, Hôtel des Invalides, Paris
(2009)
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Lettre
à Bonard, son ancien professeur de mathématiques,
écrite à Toulon à son retour d'Égypte, le 29 Brumaire An X (20/11/1801) (Bibliothèque
municipale d'Auxerre)
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On n'a pas attendu l'expédition
pour s'interroger sur la datation des monuments égyptiens: quelques
informations proviennent des rares voyageurs qui sy sont rendus, et
surtout des sources antiques, grecques ou romaines. La question prend
un tour particulier avec l'avènement des Lumières et, plus encore, de
la Révolution: l'athéisme ne se cache plus, il s'affiche, il milite.
Les 6000 ans accordés au maximum à la Terre par une lecture stricte de
la Bible (des
scientifiques aussi éminents que Képler ou Newton avaient préféré s'en
tenir-avec plus de prudence?- à 4000 ans) commencent à mettre
l'histoire de l'humanité bien à l'étroit; et en inversant
l'agument, toute preuve scientfique de l'ancienneté d'un civilisation
antique sera un coup de sape supplémentaire contre le diktat religieux
qu'on n'a pas encore baptisé du nom de créationnisme. Le sujet est donc hautement polémique.
Directeur de l'Observatoire de Paris depuis 1795, l'astronome Jérôme Lalande estime à 10000 ans au moins avnt J.-C. les débuts de la civilisation égyptienne; son disciple Charles-François Dupuis va jusqu'à 13000 ans, selon Jollois et De Villiers. Il a écrit en 1795 un ouvrage qui démonte la mécanique des religions, et il y évoque les zodiaques à l'appui de sa théorie: L'origine de tous les Cultes. On sourira au passage en regardant l'origine de la réédition ci-contre... |
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source : Gallica-BnF |
Le petit coin de la technique: zodiaque, quézako?
La technique n'empêchant pas le tourisme... le Mathouriste vous emmène découvrir tout cela au musée Boerhaave de Leyde, qui possède un magnifique objet d'art, dénommé sphère de Leyde: c'est un automate planétaire, maquette reproduisant avec exactitude le mouvement des planètes grâce à un jeu d'engrenage mathématiquement adapté pour que leur périodes mutuelles de révolution restent dans leur rapport exact. Le modèle place correctement le soleil au centre; le principe de fonctionnement est le même que pour celui de Huygens, à voir dans ce même musée.
Mais .... Au bout d'un an, pourtant, la terre (ou le soleil dans le mouvement apparent) ne revient pas exactement au même point par rapport au zodiaque: c'est la précession des équinoxes, ainsi nommée parce que le moment des équinoxes tourne par rapport au zodiaque, dans le sens rétrograde, très lentement: environ 1° tous les 72 ans. Le responsable est le lent mouvement de l'axe de la terre qui balaie un cône en 25 760 ans, un peu à la manière du manche d'une toupie lancée. Il déplace les alignements remarquables des planètes par rapport aux douze constellations du zodiaque; vous pouvez vérifier que 72 ans pour 1° (exactement) donnerait à la précession une période fort voisine de 360 x 72 = 25920 années. Ou vous puvez diviser 25 760 par360 x 72, pour calculer l'angle exact. SI des monments indiquent ces positions zodiacales, cela fournira donc une datation extrêmement précise! On donne souvent pour origine au zodiaque tel que nous le connaissons, la Grèce du Vème siècle avant J.-C. Fourier déduira de son étude des monuments pour la Description qu'il est nécessairement plus ancien, et que les astronomes grecs l'ont emprunté à des observateurs antérieurs:
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"ces zodiaques portaient dans l'ordre de leurs signes, une date de cinq
à six mille ans, et les temples qui recélaient ces tableaux célestes
étaient des plus modernes parmi ceux de l'Égypte. Cet écrit était un
rapport au Premier Consul ; l'auteur de ce rapport était son
bibliothécaire, et cet auteur, feu Ripault, disait dans une déclaration
écrite que j'ai sous les yeux : « Le Premier Consul a donné à
l'imprimeur la description que nous avons faite à la quarantaine. Dites
bien à mes camarades ( encore en Égypte) que c'est par sa volonté
formelle et irrésistible que cela a été publié. »" Jacques Champollion-Figeac,
Fourier et Napoléon, l'Égypte et les Cent Jours (1844) |
Fourier, par sa position morale à la tête de la commission se place,
c'est bien le cas de le dire, en... gardien du temple: chacun doit
s'abstenir de publier séparément tant que la Description n'
a pas paru, et il s'abstient de montrer à qui que ce soit le relevé du
zodiaque circulaire qu'il s'est fait remettre par ses deux élèves pour
qu'il figure dans un volume de planches. Il finit par céder, mais sous
conditions, à un Lalande qui se réjouit de voir arriver de l'eau à son
moulin... On est en 1804, à l'occasion du sacre de l'Empereur. |
"Le 4 décembre 1804, M. Fourier a enfin consenti à me laisser voir les
dessins[des zodiaques], mais à condition que je n'en ferais aucun
usage avant lui. Je les ai vus le 5 avec le cortége de l'empereur." J. Lalande, cité par J. Champollion-Figeac
in Fourier et Napoléon, l'Égypte et les Cent Jours (1844) |
"Le Premier Consul avait tenté d'accréditer les opinions les plus
exagérées de l'antiquité deszodiaques égyptiens; l'Empereur favorisa
ouvertement les opinions les plus restreintes, et sa première
politique dirigée selon les voeux des peuples, il la remplaça par une
politique conforme aux désirs des rois : il venait de s'introduire dans
leur rang.." Jacques Champollion-Figeac,
Fourier et Napoléon, l'Égypte et les Cent Jours (1844) |
images: GallicaBnF |
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"Nous ne savons jusqu'ici encore
qu'une chose, c'est que les points équinoxiaux et solsticiaux, à
l'époque à laquelle fut composé ce Zodiaque, répondaient aux
constellations du Bélier, de la Balance, du Cancer et du Capricorne;
mais ils y ont répondu pendant 2160 ans, c'est-à-dire depuis l'an 2548
jusqu'à l'an 388 avant le commencement de l'ère vulgaire. C'est donc
dans ces limites qu'est renfermée l'époque indiquée par ce monument.
On sait que le nœud équinoxial parcourt par son mouvement rétrograde un
degré en 72 ans environ. Si l'on suppose que les colures coupaient ces
constellations par le milieu, on aura un moyen terme qui fixe l'époque
de ce Zodiaque à 1468 ans avant notre ère, c'est-à-dire au règne de Sésostris [...]" |
"Les contradicteurs ne firent donc point faute à ces zodiaques; mais il est juste de dire qu'il n'existe de Fourier aucun écrit qui puisse le rendre responsable des opinions exagérées qui eurent cours dans ces premiers temps au sujet des zodiaques égyptiens. Il repoussait publiquement ce qu'on lui en attribuait; et il ne ménageait point ses protestations, souvent renouvelées, contre l'intention qu'on lui supposait, bien gratuitement en effet, de rattacher ses opinions aux conjectures ingénieuses que Dupuis avait publiées en 1781 sur l'origine des constellations. [...] Il arriva ensuite que le consulat, et l'empire surtout, exigèrent, quoique tacitement, une réserve annuellement croissante de la part des écrivains sur les antiquités de l'Orient; l'Église était rappelée au secours de la société civile. La Restauration rétrécit encore ce terrain des libres discussions, et c'est ainsi que pour Fourier, et par l'effet de ses temporisations, peut-être même de ses doutes, la question des zodiaques se compliquait de plus en plus de ces contradictions savantes et de ces difficultés politiques. C'est par l'influence simultanée de ces causes diverses, que peut s'expliquer le silence absolu gardé par Fourier, au sujet des monuments astronomiques égyptiens, dans la première rédaction de sa Préface historique, terminée en l'année 1809." Jacques Champollion-Figeac,
Fourier et Napoléon, l'Égypte et les Cent Jours (1844) |
"Les recherches sur les monumens astronomiques qui ont été découverts dans la Thébaïde, appartiennent à la première partie de cet ouvrage, et la publication n'en est que différée. Dans les dissertations nombreuses et prématurées auxquelles cette question, déjà célèbre, a donné lieu, on a souvent attribué à l'auteur de ces recherches, des opinions différentes de celles qu'il se propose d'établir. Les conséquences qui résultent de l'étude attentive des monumens ne permettront jamais de comprendre l'histoire de l'Egypte entre les limites d'une chronologie restreinte qui n'était point suivie dans les premiers siècles de l'ère chrétienne. Elles ne sont pas moins contraires au sentiment de ceux qui fondent sur des conjectures l'antiquité exagérée de la nation égyptienne, et ne distinguent point les époques vraiment historiques, des supputations qui servaient à régler le calendrier." Joseph Fourier,
Préface historique |
Enfin, en 1818 paraît le volume de la Description relatif aux monuments, écrit par Fourier lui-même. Il a été mûri pendant le séjour à Grenoble, mais on ne dispose pas d'éléments plus précis sur l'époque de sa rédaction. Fourier y maintient son point de vue sur la possibilité de dater le zodiaque et le temple grâce à la précession des équinoxes, et propose par deux fois de situer cette construction 25 siècles avant notre ère.
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L'article,
on le voit, joint un plan schématique avec, pour Dendérah (alias
Tentira ou Tentirys!), les emplacements des deux demi-sodiaques 'fig 1,
en bas) et le principe de son enroulement en spirale sur le zodique
circulaire (fig 4, à droite). Il s'agit juste de schémas de principe,
réduits à l'essentiel -on sent celui qui a appris de Monge la rigueur
de l'épure! Par ailleurs, il ne manque pas de rendre hommage au travail
de précision réalisé par Jollois et De Villiers, mais ici, il s'agit
d'extraire pour le lecteur l'information qui va guider sa lecture de
l'image.
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"Les
sculptures astronomiques que nous venons de décrire, étaient
jusqu'ici entièrement ignorées. Les voyageurs qui
avaient parcouru l'Egypte avant nous, n'avaient pu
se consacrer à des observations lentes et pénibles.
La plupart n'ont point pénétré dans l'intérieur des
édifices; des recherches aussi rapides, et souvent troublées
par le sentiment du danger personnel, ne pouvaient
donner que des résultats très-imparfaits. Les Romains
ont visité toutes les parties de l'Egypte; mais ils
ne nous ont laissé que des mémoires succincts, et qui
prouvent que leurs voyageurs ne connaissaient pas l'intérieur
des temples. Quant aux Grecs qui formaient l'académie
des Ptolémées, nous n'avons qu'un petit nombre
de leurs écrits; il n'y est point fait mention des sculptures
astronomiques de l'Egypte."
Joseph Fourier, op. cit. |
1822, le zodiaque arrive, on en reparle !
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Zodiaque
de Dendérah (moulage, musée du Louvre-Lens)
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Dessin dans la Description de l'Égypte |
C'est en 1822 que la plaque de grès, un carré d'environ 2,50m de côté, arrive en France, prélevée sur le temple avec l'accord des autorités égyptiennes. Une première réunion d'experts en astronomie se tient chez le fils de Laplace: Fourier y participe, ainsi qu'Arago, Berthollet et Biot. Ce dernier tient, à partir de calculs sur les positions astronomiques, pour l'année 716 avant JC, alors que Fourier le datait, avec quelque imprudence, de 15 à 20 siècles avant notre ère! Dans le livre qu'il publie en 1823 (disponible en ligne sur Gallica-BnF), Biot cite souvent Fourier dans sa préface... pour s'opposer à son avis.
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"
[...] un respectable ecclésiastique, ancien bibliothécaire de
l'impératrice Joséphine, mathématicien et helléniste, vouait, à
l'exécration des siècles, la mémoire de l'homme pervers qui avait parlé
de treize mille années révolues, et maudissait même ceux qui avaient
apporté en France cette vilaine pierre noire. A la tribune nationale un
zèle politique et religieux de nouvelle formation, tonnait contre ce
monument d'athéisme et d'irréligion : ce fut alors que le roi Louis
XVIII ordonna inopinément l'acquisition de ce monument" Jacques Champollion-Figeac,
Fourier et Napoléon, l'Égypte et les Cent Jours (1844) |
"En 1823, il n'était pas permis d'assigner une antiquité trop étendue aux monumens astronomiques des Egyptiens, et M. Fourier, qui avait annoncé des idées contraires, était alors secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. De là résultait la nécessité de fixer une limite très resserrée aux observations des anciens, 7oo ans par exemple avant Jésus-Christ, et de démontrer que M. Fourier, qui appuyait des opinions dangereuses sur de faux calculs des levers héliaques de Sirius , était peu digne de la place qu'il occupait. Une heureuse circonstance se présente; c'est l'arrivée en Europe du zodiaque de Denderah : on la saisit."
P. Jollois, E. De Villiers,
Appendice aux Recherches sur les Bas-Reliefs astronomiques des Égyptiens (1834)
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"On
voit que M. Biot cherche à dissoudre cette ligue, cet esprit de
corps qu'il attribue aux membres de la commission d'Egypte , dont
il traite les opinions de dogme , et qu'il présente en
quelque sorte comme groupés autour du grand-prêtre Fourier; mais il ne voit pas qu'il fournit lui-même la preuve du
contraire de ce qu'il avance. Jamais les opinions n'ont été plus
libres que dans le sein de la commission d'Egypte ; elles ont
toujours été presque individuelles: c'est ce que l'on a peine à
croire, lorsque l'on s'est livré à des associations moins
indépendantes. Nous nions formellement que M. Fourier ait dit en notre nom le contraire de ce que nous avons écrit ."
P. Jollois, E. De Villiers, Appendice aux Recherches sur les Bas-Reliefs astronomiques des Égyptiens (1834)
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"Peu
de jours après l'accomplissement de cet ordre du roi, la découverte de
l'alphabet hiéroglyphique par mon frère (septembre 1822) leva bien des
doutes; le temple d'Esnèh et celui de Dendérah, où sont les zodiaques,
furent reconnus pour des édifices élevés et terminés du temps de la
domination des Romains en Égypte. Avant de rendre public ce résultat bien inattendu, mon frère en fit part à Fourier,
qui, après être revenu d'une profonde surprise, demeura dans ce doute
de la bonne foi qui aspire après la révélation de la vérité. [...] A Dendérah, on lisait sur la partie la plus ancienne le nom de la dernière Cléopâtre ; et tous les souverains qui, après cette reine, avaient concouru à la construction ou à l'achèvement de cet admirable et immense édifice, étaient également romains : c'étaient Auguste, Tibère, Caïus, Claude et Néron. Enfin le nom qui se trouvait sculpté sur le zodiaque même selon le dessin publié par la Commission d'Égypte, était un titre impérial romain, celui de Claude ou de Néron. La merveilleuse antiquité des zodiaques s'évanouissait par la conséquence naturelle de ces observations [...]" Jacques Champollion-Figeac,
Fourier et Napoléon, l'Égypte et les Cent Jours (1844) |
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Statue de JFC par A. Bartholdi (1875). La même, en bronze, se trouve dans la cour du lycée Champollion de Grenoble. (Voir son histoire) |
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Fourier qui suivit avec un si vif intérêt les travaux de mon frère
qu'il avait connu et aimé dès sa première jeunesse, qu'il aurait vu
avec attendrissement et orgueil assis à ses côtés sur les bancs de
l'Institut, Fourier, disons-nous, ne fut pas privé de la satisfaction
d'apprendre de mon frère même que toutes ses opinions sur les origines,
les époques et l'état avancé de la civilisation égyptienne, étaient
confirmées ; et que si l'interprétation des zodiaques devait être
distraite du nombre des témoignages sur lesquels ces opinions étaient
fondées, les autres considérations qui avaient déterminé ses jugements
tiraient de l'ensemble des travaux de mon frère et des documents qu'il
avait recueillis en Égypte et en Nubie, les plus éclatantes
confirmations.
Jacques Champollion-Figeac,
Fourier et Napoléon, l'Égypte et les Cent Jours (1844) |
"Enfin, [les Égyptiens] ont-ils voulu
exprimer un sujet purement astronomique,
ou bien symbolique
et mythologique,
ou composé de toutes ces notions réunies? Alors, comment
dire dans quelles proportions s'est fait ce mélange?
[...]. Un profond astronome, [Delambre], qui n'aimait point les hypothèses, a déclaré la question 'insoluble et bonne seulement à produire des discussions interminables.' " J.-A. Letronne, Recherches pour servir à l'Histoire de
l'Égypte, 1823
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Et pourtant! Peut-on oublier ces images terribles le l'incendie qui a ravagé le 17/12/2011 ce bâtiment où il était installé depuis le début du XXème siècle? Les circonstances, liées aux affrontements violents qui ont eu lieu place Tahir, en sont pour le moins mal élucidées, qu'il s'agisse de la responsabilité de l'acte ou de la lenteur d'intervention des pompiers, dont une caserne est pourtant tout proche... |
Le secrétaire de l'Institut,
devant sa bibliothèque (partiellement seulement) reconstituée |
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source: Le Monde, blog
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Le fait est là, évident sur les images: le lendemain, il ne restait que
des murs calcinés entourant des cendres. Pendant trois jours,
malgré le risque permanent d'effondrement des murs, des volontaires se
sont efforcés de trier et d'emballer dans des sacs en plastique -ou
parfois, simplement dans du papier journal- des restes susceptibles
d'être restaurés, pour les déhumidifier. [voir aussi ces brèves vidéos
de l'AFP: du 18/12/2011, et du 19/12/2011] Car, le phénomène est malheureusement classique, l'eau déversée pour éteindre le feu est responsable d'autant, sinon plus de dégâts sur les livres et manuscrits. Le secrétaire de l'Institut, c'est à dire le successeur actuel de Fourier, le Dr Abd-el-Raman Al Sharnoby, qui nous a reçu avec beaucoup d'amabilité, ne peut évoquer sans une profonde émotion ces journées où, un parmi les autres, il faisait son possible au milieu des cendres. Voici un autre témoignage: |
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Et la Description de l'Egypte, dans tout cela? Des informations
contradictoires ont circulé: l'exemplaire de l'ouvrage que possédait
l'Institut aurait péri dans les flammes, et puis non, il serait
finalement miraculeusement indemne... un peu plus tard, on rectifiait
encore, déplorant une perte partielle: huit volumes. La photo de presse
ci-contre (AFP pour Le Figaro, lire l'article)
ne laisse malheureusement aucun doute: c'est manifestement un volume de
planches de cet ouvrage que tient le personnage à gauche. Les dégâts
sont flagrants.
Si l'importance de cette perte a été soulignée à juste titre, il était bien inutile d'enchérir dans la dramatisation en affirmant, comme certains, qu'il ne subsistait qu'une dizaine de collections dans le monde. L'édition princeps avait été tirée à 1000 exemplaires, et si personne ne semble connaître exactement le nombre exact de celles qui ont traversé, indemnes, deux siècles jusqu'à nous, les spécialistes avancent l'estimation plus vraisemblable de quelques centaines. Il n'empêche: au Caire, là où a été conçu le projet, cette destruction a une valeur symbolique terrible. Notre interlocuteur nous a dit avoir pleuré devant les restes en lambeaux d'un de ses volumes. |
Le Dr Al Sharnoby a pourtant retrouvé le sourire. Un
prince des Émirats, grand collectionneur de livres rares, a fait don à
l'Institut des volumes de sa bibliothèque personnelle!
Et c'est ainsi qu'il peut nous présenter fièrement le premier volume,
celui dont l'auteur est Fourier à 100%, puisquil s'agit de la Préface
Historique si longuement travaillée à Grenoble.
Mais pas question de s'en tenir
là: il faut aussi admirer les volumes de planches, dont les feuillets
sont séparés par de fins feuillets de protection, comme les albums
photos d'autrefois. Plans d'une précision à couper le souffle pour les
temples, oiseaux représentés à leur taille exacte... Notre guide -et
interprète pour la circonstance- Nader a même, pour la circonstance,
joué de bonne grâce le porteur. Pour lui aussi, c'était beaucoup
d'émotion: il n'avait jamais pénétré jusqu'à ce jour dans ce lieu
renommé, en dépit de sa grande expérience du métier. Demander à visiter
ce lieu n'est pas une requête ordinaire des touristes. Alors, merci
aussi à Carmen, qui a organisé ce rendez-vous depuis la France!
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